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Le maître de conférences Thomas M’saïdié était invité à l’Assemblée nationale, le mercredi 5 juin, pour expliquer le statut de Mayotte au regard du droit international.

Thomas M’Saïdié, maître de conférences HDR à l’« Université de Mayotte » (l’universitaire s’oppose au statut d’institut universitaire), revient sur la dissolution de l’Assemblée nationale effectuée le dimanche 9 juin. Règles, conséquences, histoires, il nous explique tout dans cet article.

Qu’est-ce qu’une dissolution ?

Il s’agit d’un pouvoir conféré au président de la République lui permettant de mettre fin au mandat des députés avant l’échéance de cinq ans. Il s’agit d’un pouvoir propre issu de l’article 12 de la Constitution dont l’exercice n’est pas soumis à un contreseing ministériel, mais qui dépend uniquement du chef de l’État. Autrement dit, la mise en œuvre de cette faculté demeure totalement libre, pour autant que le président de la République ait préalablement consulté le Premier ministre et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat.

La dissolution provoque nécessairement de nouvelles élections législatives, qui doivent se tenir au moins vingt jours ou au plus quarante jours après (la dissolution). Dans le cas présent, la dissolution ayant eu lieu le 9 juin, vous noterez que le président de la République a choisi, ce qui est inédit sous la Ve République, la date presque minimale exigée par la Constitution (21 jours) pour organiser les élections, puisqu’elles se dérouleront les 30 juin et 7 juillet. Afin de réduire le recours abusif à cette mesure, le chef de l’État ne peut pas dissoudre l’Assemblée nationale dans un délai d’un an à la suite de ces élections.

Cette mesure est-elle inédite ?

Cette mesure permet au président de la République notamment de faire face à une situation de crise. Sous la Ve République, elle a été mise en œuvre six fois : deux fois par le Général Charles de Gaulle, en 1962 et en 1968, deux fois par François Mitterrand, en 1981 et en 1988, une fois par Jacques Chirac en 1997 et une fois par Emmanuel Macron en 2024. Les raisons ayant conduit à sa mise en œuvre sont totalement différentes d’une dissolution à une autre.

La première fois, en 1962, De Gaulle avait proposé de réviser la Constitution pour y instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel direct, par le biais d’un référendum organisé le 20 septembre 1962 au titre de l’article 11. Une grande partie des parlementaires étaient opposés à la réforme ainsi entreprise. Pour manifester leur mécontentement, les députés ont renversé le gouvernement Pompidou par une motion de censure. En guise de représailles, le Président De Gaulle a dissous l’Assemblée nationale, ce qui a permis aux députés gaullistes d’avoir une majorité absolue dans la nouvelle assemblée, au gouvernement Pompidou de disposer d’une majorité qui lui était favorable, et au président d’asseoir son autorité politique.

La deuxième fois, le général De Gaulle voulait répondre à la crise de mai 1968. La dissolution prononcée le 30 mai 1968 a permis là aussi aux députés Gaullistes de disposer d’une majorité absolue, tandis que les partis de gauche, qui avaient indiqué être prêts à exercer le pouvoir, ont essuyé un échec cuisant. Les deux dissolutions du 22 mai 1981 et du 14 mai 1988 réalisées par Mitterrand avaient pour principal objet de lui permettre de disposer d’une majorité pour mieux gouverner. Les scrutins ont permis à ses gouvernements de disposer d’une majorité favorable à leurs actions.

La dissolution du 21 avril 1997 est sans doute celle qui a suscité le plus d’étonnement. En effet le Président Chirac disposait d’une majorité et pouvait donc mener ses actions sans difficulté. Il a pourtant procédé à une dissolution de « confort », qui a fait basculer la majorité parlementaire et par conséquent, a provoqué la cohabitation la plus longue qu’a connue la Ve République. Cette dissolution était donc un échec. Enfin, la dissolution du 9 juin 2024, totalement inattendue, a pour seul objet de permettre au président de faire face à l’échec de la majorité présidentielle aux élections européennes, alors qu’il avait prétendu qu’il n’y avait pas d’enjeu national. Il espère à travers celle-ci freiner l’essor du Rassemblement national, qui a fait un score historique, en confiant « le choix de notre avenir parlementaire » aux français.

Quel est l’impact de la dissolution sur le travail parlementaire engagé ?

La dissolution a des effets immédiats sur les travaux parlementaires déjà engagés : ceux-ci sont stoppés net et deviennent caducs. Elle entraîne également l’abandon de toutes les commissions et les missions d’information en cours.

Du fait que la dissolution ne produit d’effet que sur l’Assemblée nationale, les travaux entrepris par le Sénat demeurent intacts, même si la pratique veut qu’il cesse tout travail à partir de la date de dissolution jusqu’à la constitution de la nouvelle Assemblée.

Vous voulez dire que les deux projets de loi concernant Mayotte sont définitivement abandonnés ?

Malheureusement, au même titre que les autres projets importants comme notamment celui de la fin de vie, les deux projets de « loi Mayotte » sont gravement compromis. Ils le seront définitivement à moins de disposer d’une majorité propice aux Mahorais et à l’écoute de leurs attentes. Comme le travail parlementaire nécessite un temps d’adaptation souvent long, dont notre île ne dispose pas, compte tenu des défis et enjeux immédiats auxquels nous sommes confrontés, il me semble important de ne pas se tromper sur le choix des élus mahorais qui devraient nous représenter ou défendre notre île à l’Assemblée nationale.

L’étude parlementaire de ces deux textes (dont le contenu n’a jamais été dévoilé) dépendra donc en grande partie de notre choix les 30 juin et 7 juillet 2024. Je ne peux qu’encourager tout le monde à aller voter, il y va de notre avenir.

Est-ce que la dissolution a un impact sur la durée du mandat des députés ?

Bien sûr ! En interrompant le mandat des députés, la récente dissolution a mis un terme à la XVIe législature qui avait commencé le 22 juin 2022. Cette dissolution bouleverse la synchronisation des élections présidentielles et législatives mise en place à la suite de la réforme constitutionnelle du 2 octobre 2000 instaurant le quinquennat présidentiel. En faisant coïncider la durée du mandat présidentiel avec celle du mandat des députés, la révision constitutionnelle de 2000 nous a, jusqu’à présent, mis à l’abri de toute cohabitation, en la rendant difficile voire improbable.

Depuis 2002 donc, les élections présidentielles intervenaient avant les élections législatives, de sorte qu’il était possible de dégager une majorité législative confirmant le scrutin présidentiel. L’inversion des calendriers électoraux due à cette nouvelle dissolution va non seulement rendre la tâche du président de la République plus délicate, puisqu’il n’est pas certain de disposer d’une majorité présidentielle, mais surtout renforcer le rôle du Parlement.

Les futurs députés seront élus pour une durée de cinq ans. Cependant, rien ne s’oppose à ce que le président de la République, qui sera élu en 2027 (sauf scénario de destitution ou de démission), ne décide, comme l’avait fait François Mitterrand en 1981 et en 1988, de dissoudre à nouveau l’Assemblée nationale, pour espérer gouverner avec une majorité présidentielle.

Thomas M’saïdié, maître de conférences HDR à l’« Université de Mayotte »