Dans sa relation avec les collectivités territoriales et les acteurs socioprofessionnels, l’objectif du préfet est d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure et de favoriser l’accès aux aides publiques.
Ce mois de juillet est marqué par deux événements : l’élection de Ben Issa Ousseni à la présidence du conseil départemental, jeudi dernier, et l’arrivée prochaine du nouveau préfet, Thierry Suquet. Ces deux personnalités vont jouer un rôle décisif dans l’élaboration de la future Loi spécifique à Mayotte. Le premier est élu pour six ans, le second nommé par le gouvernement pour un séjour de deux ans. Leur relation va déterminer l’avenir de l’île, qui dépend de l’efficacité des politiques publiques financées et mises en œuvre par l’État, le Département et les collectivités territoriales (communes et intercommunalités), avec la participation des organisations socioprofessionnelles, des associations et des représentants de la société civile.
Le système de gouvernance mis en place par le président du conseil départemental, assis sur une majorité stable ou bancale, aura forcément des répercussions sur l’action du préfet, dont les attributions sont désormais inscrites dans le cadre de la territorialisation et de la simplification administrative.
De la centralisation à la déconcentration
Pour Henri Bouillon, Maître de conférences en droit public, la fonction première du préfet est d’appliquer localement les politiques du gouvernement, dont il est en quelque sorte « le bras armé territorial ». Cependant, les attributions des préfets ont été redéfinies par des décrets successifs. Le système administratif français est historiquement centralisé : l’impulsion politique émane du pouvoir central, de l’État. Cette organisation protège de grands principes issus de la Révolution. Elle assure d’abord l’indivisibilité de la République : les décisions adoptées au niveau central prévaudront dans toute la République, assurant ainsi l’unité du territoire et de la population par un droit uniforme.
La centralisation préserve aussi l’égalité des citoyens devant la loi : tous seront soumis au droit unique édicté par l’État central. L’unité de décision de l’État garantit la cohésion sociale et l’identité du droit applicable à tous. La centralisation engendre toutefois le risque d’une déconnexion entre le niveau central, qui adopte les décisions, et le niveau d’exécution, aux prises avec les réalités de terrain. En effet, un État centralisé où toutes les décisions seraient prises depuis la capitale et appliquées uniformément sur le territoire aurait une grande rigidité bureaucratique, en faisant abstraction des particularités locales. Les autorités dites déconcentrées furent instituées pour préserver ces principes, tout en remédiant à cette difficulté. La déconcentration se définit comme le fait d’octroyer des compétences aux services de l’État placés sur le territoire (services déconcentrés) plutôt qu’à ses services centraux. Le préfet est la figure de proue de ces autorités déconcentrées. Il est l’État au cœur du département. Il garantit donc les principes de l’État unitaire.
Réorganisation des administrations de l’État
À partir de 1982, avec les lois de décentralisation, les fonctions de préfet ont été marquées par la réorganisation des administrations au sein de l’État. La déconcentration devient la règle. Les administrations centrales ne sont plus chargées que des missions qui présentent un caractère national ou dont l’exécution ne peut être déléguée à un échelon territorial. Les services déconcentrés ont donc une compétence de principe, et ce n’est que par exception qu’agissent les autorités centrales, même si, dans la pratique, les outils numériques facilitent et multiplient leurs interventions.
Cette répartition des compétences a été confortée par le décret n°2020-412 du 8 avril 2020, qui confère au préfet un droit de dérogation dans certaines matières. Le décret du 29 décembre 2017 autorise les préfets à déroger, à titre expérimental, aux normes réglementaires dans sept domaines (aménagement du territoire, construction, emploi et activité économique, etc.). Les dérogations doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et par l’existence de circonstances locales. Elles doivent avoir pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques.
Dans cet objectif de simplification, le préfet peut dispenser des particuliers, des entreprises ou des associations de certaines obligations administratives. L’évolution est importante : elle rompt avec la stricte uniformité du droit sur tout le territoire, en laissant le préfet moduler les actes du gouvernement dans son département. Faute de réduire la complexité des règles, le préfet peut l’atténuer lors de son application.
Un président décomplexé face au préfet
La fonction de préfet est ainsi revalorisée par la République décentralisée. Il conquiert une nouvelle liberté d’initiative. Mais il ne faut pas s’y tromper. Il reste représentant du gouvernement et, donc, subordonné à ses orientations politiques. Son autonomie est certes amplifiée, mais bornée par la loyauté politique dont il doit faire preuve à l’égard du gouvernement. Sa marge de manœuvre ne s’épanouit que dans le cadre défini par les politiques gouvernementales.
Pour éviter tout abus de cette liberté accordée au préfet, le conseil départemental doit assumer pleinement les compétences qui lui sont dévolues, notamment au niveau de l’échelon régional. Cette exigence suppose que le président nouvellement élu, Ben Issa Ousseni, joue le rôle d’exécutif du territoire avec une grande rigueur, sans réserve et sans complexe vis-à-vis du représentant de l’État et des directeurs des services déconcentrés.