La société Total Mayotte est née de la privatisation du secteur des hydrocarbures en 2003.
L’investissement humain des salariés et des partenaires ainsi que le soutien financier du Groupe ont permis à l’entreprise d’être aujourd’hui leader de la distribution de produits pétroliers sur le territoire mahorais. Total compte à ce jour 7 stations-service déployées sur toute l’île, contribuant au développement socio-économique et aussi au désenclavement des villages de l’intérieur.
L’énergie est au cœur des défis à relever pour contenir le réchauffement climatique. Cela nécessite d’entamer de profondes mutations. Total est un acteur engagé de cette transformation. Les hommes et les femmes que le groupe emploie travaillent quotidiennement pour offrir aux usagers un service public de qualité et sécurisé. Les clients attendent d’eux qu’ils agissent de manière responsable. La direction a pris vis-à-vis d’eux l’engagement de développer, à tous les niveaux de l’organisation, des relations « constructives et transparentes » avec l’ensemble des parties prenantes. « Chez Total, la responsabilité environnementale et sociétale est placée au cœur des activités du Groupe, afin de travailler, tous ensemble, à une croissance durable », note la brochure de l’entreprise. « Afin d’être un employeur de référence pour chacun d’eux, notre Groupe accompagne ses collaborateurs pour leur permettre d’exprimer pleinement leur potentiel parmi les 500 métiers que nous proposons. Partout dans le monde, nous pratiquons une politique axée sur l’égalité des chances et la diversité », ajoute la plaquette d’information.
La grève qui a paralysé l’île la semaine dernière, pendant une dizaine de jours, vient démentir cette publicité. Avant elle, d’autres conflits internes à la société avaient déjà démenti ce propos. Si « mobiliser toutes les énergies » demeure une constante de la communication de la firme, cette accroche est loin de correspondre à la réalité à Mayotte. D’ailleurs, l’image de la marque est de moins en moins rassurante, de l’avis même des employés dont une minorité significative a affiché pas moins de 10 revendications pendant la grève, avec des doléances touchant tous les domaines d’administration d’une entreprise, notamment la gestion des ressources humaines et la politique salariale. Bref, c’est une portion très représentative du personnel qui s’estime méprisée par sa direction et exprime son mécontentement régulièrement.
Bref, au chapitre social, Total doit encore faire de gros progrès et l’augmentation de salaire de 15% pour l’ensemble de l’effectif est là pour le prouver. Cette demande ne figure pas d’ailleurs dans le protocole de fin de conflit mettant fin à la grève, ce qui indique au bilan celle-ci que les grévistes ont été sevrés de leur principale requête. « Tout ça pour ça », peut-on lire sur les réseaux sociaux, commentaires navrants que reprennent également ceux qui se préoccupent du coût économique et financier de la grève pour les entreprises, les associations, les administrations et les ménages.
Outre d’avoir déstabilisé la vie quotidienne des habitants, le fonctionnement des services publics et la vie économique et sociale de l’île, cette grève entache considérablement la réputation d’une enseigne par ailleurs respectable au regard de son importance pour le développement du territoire. L’onde choc du mouvement social risque bien de faire perdre à la société sa position de monopole, les élus ayant juré de mettre fin à sa suprématie sur le marché et d’ouvrir le secteur à la concurrence, et cela dès l’année prochaine.
La désillusion des employés insatisfaits et la menace que fait peser des élus protestataires sur l’entreprise posent alors question. Ces salariés aigris connaissent-ils vraiment l’entreprise pour laquelle ils travaillent ? Ces décideurs politiques frondeurs savent-ils seulement avec quelle entité ils sont en affaires ?
A ces questions, un ouvrage critique permet d’apporter quelques réponses.
UNE MULTINATIONALE PERVERSE
Docteur en philosophie de l’université Paris-VIII et directeur de programme au Collège international de philosophie de Paris, le Canadien Alain Deneault, a publié, « De quoi Total est-elle la somme ? Multinationales et perversion du droit ». Fruit d’un travail minutieux de deux ans et demi, ce livre détaille comment la firme, par un entrelacs de sociétés, représente partout elle se pose le vieux système tant redouté d’un « Etat dans l’Etat ».
Beaucoup de livres ont été écrits sur Total. Pourquoi ce nouvel ouvrage ?
Deneault répond que nous sommes aujourd’hui confrontés à une firme qui communique énormément, qui commente tout, qui est présente partout et qui dépasse largement ce qu’on peut attendre d’une compagnie pétrolière. Elle est en réalité une autorité souveraine qui s’interpose sur un plan diplomatique, culturel, social, associatif, sportif, politique… Cette parole, devenue omniprésente, méritait un traitement critique pour éviter que son processus idéologique ne fonctionne trop rondement.
A l’abondante documentation de la firme elle-même, ce qui comprend les bilans annuels et les déclarations publiques, mais aussi les sources d’information financées par la firme, comme le site Planète Energies, et ses propres travaux d’histoire, s’ajoute le travail des journalistes, des ONG, des documentaristes.
A l’issue de son enquête et de ses découvertes, l’auteur aboutit à la conclusion que Total est une autorité souveraine d’un genre nouveau, capable de rivaliser avec des Etats et de générer un nouveau rapport à la loi. Elle est composée d’un réseau d’entités indépendantes partout dans le monde, via 882 sociétés présentes dans 130 pays. Aucun Etat n’est à même d’encadrer Total, puisque la firme évolue sur une échelle qui échappe à leur portée législative. C’est une firme qui, en étant éclatée et active dans un très grand nombre de secteurs, ne peut être réduite à la seule filière pétrolière.
Ce nouveau rapport à la loi aurait été incarné jusqu’à la caricature par l’ancien PDG du groupe, Christophe de Margerie (mort en 2014) qui disait : « Tant que ce n’est pas interdit, c’est permis. » Mais cette « légalité » repose parfois sur la complicité d’un Etat, d’autres fois sur la passivité d’un parquet, sur un vide juridique ou sur l’exploitation de la lettre de la loi au détriment de son esprit grâce à une armée d’avocats.
Alain Deneault explique que Total profite du fait que les filiales ne sont pas solidaires de la maison-mère et qu’elles sont donc des entités autonomes qui dépendent de la législation du lieu où elles sont actives. Quand la firme dit qu’elle a agi légalement, ça veut dire que sa filiale respectait le droit… Sauf qu’il s’opère parfois un divorce entre la morale élémentaire et la technicité du droit.
UNE FIRME APATRIDE
L’auteur écrit que « Total a colonisé l’Afrique à des fins d’exploitation ». Quels leviers ont été utilisés ? Selon lui, dans son empire africain, De Gaulle a reproduit le modèle de la Grande-Bretagne. Ce schéma consiste à créer des enveloppes juridiques où ce ne sont plus les Etats qui encadrent les sociétés industrielles, mais où ce sont elles qui se créent des Etats sur mesure, une société pétrolière va alors directement relever du pouvoir politique de Paris. Ainsi, héritier d’un patrimoine historique, Total va développer un savoir-faire dans l’exploitation des hydrocarbures, mais aussi dans le renseignement et la stratégie politique afin de se donner des interlocuteurs publics choisis. « On va transformer un Etat d’Afrique en une sorte de comptoir, d’émirat», soutient Deneault, précisant : « La firme dit que le passé est le passé. Mais les infrastructures, les brevets, le savoir-faire et les réseaux d’influence sont le fruit d’un passé où les choses ont parfois eu lieu de manière controversée, à la faveur de guerres, de conquêtes, de bombardements et de tractations diverses… »
Cette affirmation tend à démontrer que Total est toujours lié aux réseaux de la Françafrique ? A ce sujet, l’auteur fait l’analyse suivante. En 1998, date à laquelle la République française n’a plus d’action ni dans Total ni dans Elf, les politiques ont dit que la Françafrique était terminée. En réalité, on a assisté à sa privatisation. Et Total est devenue « une firme apatride » comme une autre, qui a hérité de réseaux d’influence, de savoir-faire et de modalités qui lui permettent d’exercer des pressions pour arriver à ses fins sur le continent africain. On notera qu’elle n’est plus véritablement française puisque 72 % de ses actions ne sont pas détenues par des actionnaires français.
« Plusieurs pays ont vu une telle firme s’ériger comme un pouvoir et en ont payé le prix fort. Les multinationales pétrolières ont été créées il y a une centaine d’années pour que ne puissent pas exister de petites structures, des PME ou des coopératives, capables de se livrer à une concurrence libérale. Elles auraient été suffisamment petites pour que les Etats puissent vraiment les encadrer. Les Etats auraient ainsi pu planifier l’exploitation de leur pétrole sur le long terme afin que leurs gisements ne soient pas siphonnés en un siècle et demi », avance Deneault.
Cet éclairage saisissant nous renvoie à la grève et à la menace des élus d’ouvrir le marché pétrolier à la concurrence. Il suscite surtout une interrogation : le département de Mayotte serait-il considéré par Total comme un vulgaire comptoir de la Françafrique ? Si tel était le cas, l’ouverture à la concurrence du marché des hydrocarbures serait une nécessité impérieuse pour les PME mahoraises et une obligation de principe pour les élus de la République.
Source : De quoi Total est-elle la somme ? Multinationales et perversion du droit, coédition Rue de l’échiquier et Ecosociété, 512 pages, 23,90 euros
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