« Le rectorat doit ouvrir les portes de l’école à nos langues régionales »

L’association Shimé se bat depuis des années afin de promouvoir le shimaoré et le kibushi. Ces deux langues régionales sont de plus en plus délaissées à Mayotte et pourtant elles sont un véritable atout pour le territoire. Rastami Spelo, le président de l’association, multiplie les actions afin que ces langues retrouvent leur place au sein de la société et la culture mahoraise.

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Tamasha, un concours d’éloquence en shimaoré et kibushi, a été présenté ce mardi matin, dans les locaux de la Cadema.

 Flash Infos : Le shimaoré et le kibushi sont des langues vivantes et sont donc menées à évoluer. N’est-ce pas plus judicieux d’accepter qu’elles changent et que le vrai shimaoré n’est plus ce qu’il était ?

Rastami Spelo : Faire du laisser-aller, ce n’est dans cette direction que nous voulons aller. Nous devons nous unir et être d’accord pour fixer un certain nombre de choses. Notre langue est belle mais il faut la fixer, il faut encourager nos jeunes à faire des mémoires sur ça pour établir les règles. Toutes les langues sont en contact et évidemment elles vivent et évoluent, mais aucune des langues fixées ne se laisse aller.

Nos jeunes parlent une langue qui n’est ni le français ni le shimaoré. Il faut y remédier. Nous devons faire un travail pour permettre à nos enfants d’apprendre le shimaoré et le kibushi, elles doivent être enseignées dans les écoles de chez nous. Le rectorat doit ouvrir les portes de l’école à nos langues régionales depuis la maternelle jusqu’à l’université, parce qu’elles sont le vecteur de notre identité. Elles contiennent des éléments qui peuvent aider nos enfants à être bons dans les matières scolaires. Quand on maîtrise sa langue natale, on a plus de facilité à apprendre les autres langues étrangères.

F.I. : Avec l’ancien recteur Gilles Halbout, le conseil départemental, le CUFR et Shimé ont signé une convention pour apprendre les langues régionales dans les écoles primaires, mais le nouveau recteur Jacques Mikulovic ne semble pas vouloir poursuivre dans ce sens. Qu’avez-vous à lui dire ?

 R.S. : Je n’ai pas encore discuté avec lui, mais je lui rappelle que dans l’administration, il doit y avoir une continuité de service. Le discours qu’il tient, nous l’avons déjà entendu plusieurs fois ici. Pourtant, l’utilisation de nos langues a donné de bons résultats, mais ceux qui sont passés avant lui ne sont jamais montés au créneau pour vanter les mérites de leur apprentissage.

Et puis, il est hors de question que je tombe dans le panneau de ce nouveau recteur qui met en compétition le shimaoré et le français pour écarter le shimaoré. Il doit comprendre que notre langue n’est pas un poison pour l’apprentissage du français à l’école.

Depuis mai 2021, la loi reconnaît nos langues comme régionales et on peut les enseigner, on doit le faire. Les expériences faites avec les précédents recteurs ont montré que leur utilisation est bonne et ça permet à nos enfants d’avoir plus de facilité avec la langue de Molière. Donc monsieur Jacques Mikulovic doit regarder dans son rétroviseur avant de tenir ce genre de discours. Partout ailleurs, les langues régionales sont acceptées et enseignées aux enfants dès le plus jeune âge et ici il veut tenir un discours d’un ancien temps. Je ne suis pas d’accord avec lui, et ce qu’il dit ne tient pas la route. N’oublions pas que chaque langue que nous apprenons est une fenêtre pour voir le monde.

FI : Ceci-dit, pour apprendre une langue à l’école, il faut des règles, une grammaire, mais celles du shimaoré et du kibushi ne sont pas établies. Comment faire ?

 R.S. : Bien sûr qu’elles existent, et il y a des gens à Mayotte qui les connaissent. Ailleurs, on enseigne les langues sans manuel donc qu’on ne vienne pas nous mettre un frein à cause de cela. Et puis il faut bien commencer quelque part et c’est justement l’Éducation nationale qui doit former les personnes pour que l’on puisse avoir la grammaire.

F.I. : Les parents ne parlent quasiment plus en shimaoré ou kibushi à leurs enfants. N’avez-vous pas peur que dans quelques années, nous les perdions ?

 R.S : Je me demande déjà pourquoi les parents parlent peu leurs langues à leurs enfants ? C’est parce qu’ils sont colonisés et je pèse mes mots. Quand on est colonisés, on nous demande de mettre en valeur tout ce qui appartient au colonisateur plutôt que ce qui nous appartient. Mais nous avons tort de tourner le dos à ce qui est à nous. Les gens qui n’apprennent pas leur langue à leurs enfants sont les mêmes qui viennent me voir pour me demander de les enseigner aux petits. Je fais le travail qu’ils auraient dû faire.

F.I. : En quoi les langues de Mayotte sont un atout pour la France ?

 R.S. : Si nous aimons la France nous devons travailler de manière à ne pas être un poids pour elle mais plutôt un plus. Nous devons apporter notre part pour l’avenir économique de la France, et il se joue dans le canal du Mozambique. Nous devons préparer nos jeunes à être des acteurs. La langue du canal du Mozambique, c’est le swahili, et le shimaoré en est proche. Si nous ne parlons que français, nous ne serons pas un atout pour la France. Nous devons être fière de notre identité pour pouvoir aller vers les autres.

Tamasha, un concours d’éloquence en shimaoré et en kibushi

Le conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement, en collaboration avec l’association Shimé, organisent un concours d’éloquence en shimaoré et kibushi. Les participants doivent tous avoir au moins 18 ans. La règle est simple, on leur demande d’écrire un texte dans l’une de ces deux langues parmi ces trois thèmes : éducation, environnement et culture. Des pré-sélections auront lieu dans chacune des cinq intercommunalités de l’île. Le ou la gagnant(e) de chaque langue participera à la grande finale qui se tiendra le 28 octobre au conseil départemental. Ceux qui souhaitent participer peuvent se rapprocher de l’association Shimé qui les aidera à mieux écrire leurs textes. « Attention, on ne leur donnera pas les idées », avertit son président. Les grands gagnants remporteront respectivement un voyage en immersion en Tanzanie et un autre à Madagascar.

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