« Vous voulez incarner l’ordre et vous le contestez »

Deux cousins d’une vingtaine d’années, l’un gendarme volontaire et un autre agent de sécurité, ont été condamnés à dix mois de prison avec sursis, ce mercredi soir, après un contrôle de police qui s’est mal passé dans le quartier M’rowahandra, dimanche dernier. Deux hommes de la brigade anticriminalité ont été blessés et l’équipage a été pris à partie par des jeunes qui voulaient s’en mêler.

La scène s’est déroulée dans la rue Maéventana, à M’tsapéré. Dimanche, en début de soirée, la brigade anticriminalité (Bac) était sur une opération de contrôle. Les fonctionnaires de police ont arrêté un scooter et vérifié ses papiers, quand une voiture de location est passée à côté et des propos ont été prononcés à l’encontre des forces de l’ordre. Deux versions divergent sur leur teneur. Pour les policiers, ils ont entendu : « vous n’avez pas mieux à faire, de faire chier le monde », agrémentés d’une insulte en shimaore. Selon le conducteur de 24 ans, il aurait plutôt maugréé à cause du scooter : « vous bloquez la route ». Convaincue par la première version, la Bac s’est lancée à la poursuite de la voiture et l’a trouvée un peu plus loin à l’entrée du chemin de M’rowahandra. Le chauffeur, en vacances à Mayotte, leur a demandé directement quel était l’objet du contrôle. « Il a dit que les policiers n’avaient pas à le contrôler parce que c’est un collègue. Ici, il est chez lui, on ne le contrôle pas », rapporte la présidente du tribunal correctionnel de Mamoudzou, Alexandra Nicolay, ce mercredi après-midi. Le jeune homme, originaire de Mamoudzou, vit à Toulouse désormais et s’apprête à rentrer dans la gendarmerie. Il devrait intégrer une école pour ça au mois de novembre.

Selon les policiers, le passager, qui est le cousin du conducteur et est agent de sécurité, serait devenu rapidement véhément. « Va n***** ta mère. Je vais te retrouver, je vais te n***** », aurait-il proféré, alors qu’il est descendu du véhicule. Le policier qui s’est approché a remarqué qu’il touchait beaucoup sa sacoche. « Je l’ai saisie, j’ai regardé à l’intérieur et j’ai dit : « couteau ». J’ai pris la lame et je l’ai glissé dans ma poche », se souvient le fonctionnaire de police venu à la barre. Il a tenté d’interpeller l’agent de sécurité, mais celui-ci ne s’est pas laissé faire. Agité, il est tombé au sol avec le policier, blessant ce dernier à la main (sept jours d’ITT). Les jeunes du quartier, incités par les prévenus selon les hommes de la Bac, ont commencé à vouloir s’en prendre aux eux et à leur jeter des pierres. Interpellant avec difficulté le conducteur et son cousin, ils ont réussi à s’extirper de la zone après avoir utilisé un flashball et des grenades lacrymogènes.

« Comportement immature »

Trois jours après, les deux jeunes hommes n’en démordent pas, ils n’ont pas insulté les policiers. Seul l’agent de sécurité concède qu’il ne s’est pas laissé faire au moment de son interpellation. « Je n’ai pas su comment réagir, c’est la première fois que ça m’arrivait », rappelle-t-il. Les deux risquent gros, une condamnation pourrait mettre fin à leurs carrières professionnelles. Comme deux policiers, eux aussi font état de blessures. L’un a des légères douleurs au poignet gauche à cause des menottes, l’autre a été blessé au menton et à un doigt. « C’est sans doute moi qui lui ouvre la bouche avec ma main », reconnaît le policier, qui a eu des difficultés à interpeller le passager. Interrogé sur ses motivations à porter plainte, il fait remarquer à quel point ce contrôle a représenté un danger pour lui et ses collègues « à cause du comportement immature du conducteur ». « Ce n’était pas un simple caillassage. Il y a des pierres qui ont traversé le pare-brise. Vu comment auraient pu se terminer les faits, ce n’est pas possible de laisser passer », poursuit-il.

Côté prévenus, le conducteur met en doute les déclarations de la Bac. « Vous dites que les policiers mentent quand ils ont dit que vous les avez insultés ? », demande la juge. « Oui », répond le gendarme volontaire, qui tente de s’appuyer sur deux courtes vidéos filmées avec son téléphone. Sauf que celles-ci ont l’effet inverse. On lui demande quel était son intérêt à sortir son portable. « Pourquoi vous ne dites pas aux policiers d’arrêter plutôt que de sortir votre téléphone ? », questionne la présidente du tribunal. Et sur ses paroles (« Continuez à le tabasser »), on lui signifie qu’au contraire, les images montrent que son cousin est interpellé sans qu’un coup lui soit porté. Il réfute aussi avoir demandé aux jeunes de venir les défendre. « Je ne suis pas de ce quartier, je ne les connais pas », se défend-il. Dans une des vidéos, il est vrai, il leur a demandé d’arrêter, mais tous s’accordent à dire (même lui) qu’il s’inquiétait pour la voiture de location.

« Rien à faire chez les gendarmes »

« Vous voulez incarner l’ordre et vous le contester. Ça ne va pas, ça ne va pas du tout »,  le sermonne Alexandra Nicolay. Son cousin exprime davantage de remords. « Je suis désolé si j’ai blessé quelqu’un », reconnaît-il. Lors des plaidoiries, maître Soumetui Andjilani, avocat des parties civiles, rappelle que « les policiers n’ont pas vocation à se faire insulter ». Ils avancent comme argument que « les deux se contredisent tout le temps » et que le conducteur « a menti du début jusqu’à la fin ». Il demande la somme de 5.000 euros pour chaque policier blessé, ainsi que 2.000 euros de préjudice moral pour un troisième et 2.000 euros de fais de justice. Stéphanie Pradelle, la procureure de la République adjointe s’en prend aussi au conducteur et à ses déclarations. « Ce garçon est d’une mauvaise foi ahurissante. Du début jusqu’à la fin. Au moins, il est constant », cingle-t-elle, rappelant que les policiers à Mayotte sont « particulièrement exposés aux faits de violence ». Elle n’hésite pas à dire que le prévenu « n’a rien à faire chez les gendarmes » et requiert à son encontre dix mois de prison avec sursis probatoire, une obligation d’indemnisation et une interdiction de cinq ans dans la fonction publique. Elle demande dix mois de prison avec sursis probatoire, une obligation d’indemnisation et trois ans d’interdiction de port d’arme pour le cousin. Elle s’oppose aussi à la dispense d’inscription au B2, même si cela pourrait handicaper les deux hommes dans la poursuite de leur métier.

Les avocats de la défense, maîtres Yanis Souhaili et Mariane Hermand, se retrouvent avec le mauvais rôle devant les policiers et leur direction venus soutenir leurs collègues. « Par principe, la parole des policiers vaut plus que celle des prévenus. Mais c’est arrivé parfois que ce qu’il y a dans les procès-verbaux n’est pas la vérité », plaide la deuxième, faisant remarquer que les deux prévenus sont restés constants dans leurs déclarations. Elle admet que son client, le passager, a fait de la rébellion, mais demande la relaxe pour les autres faits de « provocation à la rébellion », « outrage », « violence sur fonctionnaire de la police nationale », et « port d’arme ». Pour maître Souhaili, il défend la même ligne que le conducteur, « il n’y a pas d’insulte », en exprimant plutôt des doutes sur une traduction biaisée de l’insulte en shimaroé. « J’ai toujours du mal avec les procédures qui concernent des gendarmes ou des policiers et ce sont les collègues qui font l’enquête », émet comme réserve l’avocat. Selon lui, son client n’a « pas de comportement idéal, a dépassé les limites de la morale, mais il n’a pas commis d’infraction ».

Alors que les deux prévenus ont fait part de « leur profonde inquiétude » à l’écoute des réquisitions, les juges ont quitté la salle pour délibérer dans la soirée. Ils sont revenus pour confirmer la condamnation des deux hommes à dix mois de prison avec sursis probatoire et l’obligation d’indemniser les victimes. L’outrage, la rébellion et le port d’arme ont été retenus contre l’agent de sécurité. Il a donc interdiction de porter une arme pendant cinq ans. Sa condamnation, toutefois, ne sera pas inscrite au B2. Ce sera le cas par contre pour le gendarme volontaire qui a été relaxé du seul fait de « violence sur fonctionnaire de la police nationale », mais condamné pour le reste.

Émeute à Majicavo : les détenus jugés le 14 novembre

Le procès de cinq hommes âgés de 18 à 22 ans en lien avec la mutinerie et la prise d’otage de la prison de Majicavo-Koropa, le 28 septembre, est renvoyé. Quatre sont détenus en attendant leur passage devant la cour d’assises, un cinquième purge une peine de dix-huit ans de réclusion. S’ils souhaitaient être jugés ce mercredi en comparution immédiate, une partie de leurs avocats et la partie civile souhaitaient un délai supplémentaire. L’avocat des agents pénitentiaires, maître Erick Hesler, rappelle que cinq autres détenus doivent être jugés, ce vendredi, pour l’émeute et les dégradations du centre de détention. Il sollicite le renvoi pour que les deux procès ne soient pas disjoints, arguant « qu’il est difficile de témoigner deux fois ». Stéphanie Pradelle, la procureure de la République adjointe, demande que les cinq détenus soient placés en détention provisoire avec mandat de dépôt en attendant. Si le délai avant un nouveau procès est de quatre semaines, elle souhaite qu’ils soient « jugés au plus vite pour ce fonctionnement du centre pénitentiaire ». Renvoyés en prison en insultant en shimaore les agents, les cinq hommes retourneront devant le tribunal correctionnel de Mamoudzou, le jeudi 14 novembre.

« On est passé tout près d’un parricide »

Malgré les faits, la famille de Moustoilifa Hafidou continue de le soutenir. A Dzoumogné, le samedi 5 octobre, celui-ci a asséné un coup de couteau au niveau du thorax de son père, lui occasionnant une sévère blessure nécessitant quinze jours d’ITT. Ce n’est pas la première fois qu’il s’en prend à son paternel, il avait été condamné l’an passé pour des faits identiques. Le père encore hospitalisé, qui a 25 enfants, a reconnu que son fils était compliqué à gérer, mais il n’a pas déposé plainte, tout comme le frère avait qui le prévenu s’est aussi battu. Les raisons de sa colère viennent de l’intervention de son père qui était venu récupérer un téléphone qui a été volé quelques instants plus tôt à une connaissance (une enquête est en cours pour ce fait car il n’aurait pas agi seul). Le fils, alcoolisé, avait alors sorti un couteau et asséné un coup à son père, avant d’être arrêté par son frère. Au tribunal correctionnel, il confirme son geste, mais dément tout le reste, dont la consommation d’alcool. La procureure de la République adjointe fait remarquer « qu’on est passé tout près d’un parricide ». Elle note que le prévenu a « un parcours judiciaire catastrophique ». Il est d’ailleurs mis en examen pour 36 faits (vols, dégradations,…) rien que sur l’année 2021 et fait régulièrement des allers-retours en prison. Elle requiert quatre ans avec mandat de dépôt. Maître Yanis Souhaili doute de l’intérêt d’une telle peine. « Est-ce que ces quatre ans vont régler ses problèmes ? Je n’en suis pas sûr », plaide-t-il. Le tribunal condamne finalement Moustoilifa Hafidou à quatre ans de prison dont un an de sursis probatoire. Celui-ci comporte une obligation de travail et de soins.

Rédacteur en chef de Flash Infos depuis 2022. Passionné de politique, sport et par l'actualité mahoraise, ainsi que champion de saleg en 2024. Passé un long moment par l'ouest de la France, avant d'atterrir dans l'océan Indien au début de l'année 2022. Vous me trouverez davantage à la plage quand je ne suis pas à la rédaction.

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