En plein confinement, une jeune femme de 17 ans a dû subir les coups de son mari. Et deux mois après sa plainte, l’épouse aurait bien aimé qu’il reparte libre…
“On s’est juste poussé.” À part des hochements de tête et quelques “oui” ou “non”, cette réponse est à peu près la seule que les juges obtiendront ce lundi. Malgré son salouva flamboyant, la jeune femme qui se tient la tête basse entre une avocate et une administrateur ad hoc, chuchote comme si elle voulait surtout se faire oublier. Assis à sa droite, le prévenu, son mari, de onze ans son aîné, serre compulsivement ses poings – ceux-là mêmes qu’il a utilisés pour la “pousser” à cause d’une histoire de téléphone portable. Derrière, la mère de la jeune femme, un peu avachie sur son banc, hausse parfois les sourcils sous le foulard rouge qui lui enserre la tête. Sa fille, mineure, n’a que 17 ans. Et les circonstances ont poussé la justice à nommer un autre représentant légal pour cette procédure…
Face au silence de l’adolescente, la juge reprend textuellement la plainte, retranscrite dans le procès-verbal joint au dossier. Les faits remontent au 8 mai 2020. Cet après-midi-là, une dispute éclate au domicile conjugal. En cause : un appel entre la victime et sa sœur à la suite duquel le mari décide de suspendre la ligne. Quand la jeune femme tente de demander pourquoi et de récupérer son téléphone, le ton monte. “Il m’a poussée, il m’a giflée à la tête, tordu la main, étranglée”, récite la juge en reprenant le procès-verbal. Les voisins finissent par intervenir pour séparer le couple et constatent alors une plaie sanglante sur le dos de l’épouse. C’est au moins la deuxième fois que son mari la frappe, et casse son téléphone portable.
Colère et pression familiale
La victime décide alors de porter plainte… jusqu’à aujourd’hui. “J’étais en colère quand j’ai dit ça”, répond-t-elle à la magistrate qui lui demande si le récit qu’elle vient de lui lire correspond à ce qu’elle a vécu. L’administrateur ad hoc, appelée elle aussi à témoigner, confirme que la jeune femme “a immédiatement demandé si elle pouvait retirer sa plainte, stopper l’instruction judiciaire”. Une demande, également répétée par sa famille, qui, toujours selon l’administrateur ad hoc, exerce “énormément de pression” sur elle. “Est-ce que vous avez bien compris que vous n’êtes responsable de rien, que vous êtes une victime aujourd’hui ?”, soulève alors le substitut du procureur. En effet, le retrait d’une plainte n’entraîne pas systématiquement l’arrêt des poursuites. Et dans cette affaire, c’est le parquet qui a décidé de continuer la procédure jusqu’à cette comparution.
Trois condamnations pour violences conjugales
Il faut dire que le profil du prévenu ne plaidait pas vraiment en sa faveur. Au moment des faits, il a à sa cheville un bracelet électronique, qu’il porte pour des faits similaires. Trois condamnations récentes figurent dans son casier judiciaire, toutes pour des violences conjugales. Pourtant, entendu à la barre, le mari nie avoir un comportement violent, alors même que ses précédentes peines, en prison ferme, en sursis et assorties d’un bracelet électronique, viennent avec une obligation de soins pour régler ses problèmes de colère. Il dément aussi avoir été violent envers sa femme de 17 ans, qui aurait tout commencé, d’après lui. Quand on lui demande s’il serait prêt à se remettre avec elle, il assène : “si elle s’excuse, oui”. De son côté, la jeune épouse souffle : “s’il veut bien…”
Le cycle de l’emprise
Et c’est bien là tout le drame. “Nous sommes témoins du fameux cycle de l’emprise, tant décrit par les psychologues”, résume le substitut du procureur. De la dispute, aux coups, à la réconciliation, en passant parfois par le dépôt puis le retrait de la plainte, elles sont environ 213.000 femmes en France à connaître ce cercle vicieux chaque année. Et ce chiffre, issu de l’enquête “Cadre de vie et sécurité” de 2012-2019 – INSEE-ONDRP-SSMSI, ne prend pas en compte les mineures… Il ne prend pas non plus en compte la période du confinement, qui, à en croire Marlène Schiappa, la secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes, aurait conduit à une hausse de 36% des signalements. À Mayotte, l’association pour la condition féminine et aide aux victimes (ACFAV), particulièrement sollicitée au téléphone pendant cette période de crise sanitaire, avait elle aussi confirmé une montée en flèche des violences par rapport à l’année dernière. Un fait, que même l’avocat de la défense a tenu à remettre sur la table, tout en défendant que les faits de violence rapportés dans la plainte n’étaient pas avérés. Mais le tribunal en décidera autrement : le prévenu est jugé coupable et écope de 18 mois de prison, dont six avec sursis – auxquels s’ajoutent la révocation de quatre mois de sursis de sa précédente condamnation. Après ses 16 mois sous les verrous, il aura interdiction d’entrer en contact avec sa conjointe.
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