« Une série de négligences » au CHM qui a conduit au décès d’un bébé

L’affaire date de mars 2012. Un bébé de neuf mois, atteint de drépanocytose, avait trouvé la mort causée par une anémie. Le centre hospitalier de Mayotte (CHM), le seul poursuivi et condamné ce mardi, a admis sa faute.

« Je voudrais, au nom du Parquet, présenter mes excuses. Le temps a sans doute ajouté de la douleur à la peine. J’espère que vous les transmettrez à votre épouse », s’excuse le procureur Yann Le Bris en s’adressant au père de la fille décédée le 14 mars 2012, à l’hôpital de Mamoudzou. Le bébé de neuf mois souffrait de drépanocytose, une maladie des globules rouges qui entrave le transport de l’oxygène. Mais ça, les parents ne le savaient pas. Ils avaient prévenu pourtant, à la fois lors de la grossesse et à la naissance, qu’ils portaient tous les deux le gêne de manière récessive (la combinaison de leurs gènes induisait un risque). La petite était le troisième enfant du couple, et à chaque fois, le test de Guthrie a été réalisé. « On nous a dit que si dans trois mois, on n’avait pas de nouvelles, c’était bon », se souvient le père, qui est le seul membre de la famille présent, dans la salle du tribunal correctionnel, ce mardi. Ils ne sauront jamais les résultats. Ils n’apprendront que le jour du décès de leur fille qu’elle faisait partie d’une liste d’enfants sur le territoire atteints de cette maladie. Dans le fichier, ni l’adresse ni le numéro de téléphone n’ont été bien renseignés pour les contacter.

Des suspicions de pathologie

Tout est arrivé en quelques jours et dû à « une série de négligences », l’état de santé du bébé s’est dégradé rapidement, le 7 mars 2012. L’un de ses doigts a gonflé. « Elle n’arrêtait pas de pleurer. Elle criait de douleur », se souvient son père. Une première hospitalisation a lieu. L’interne en médecine suspecte rapidement une drépanocytose. Une infirmière, qui a été auditionnée, a pensé la même chose, mais ne l’a jamais dit, estimant que « ce n’est pas son rôle ». Le médecin informe les deux pédiatres du CHM de son avis et prescrit des antibiotiques. On lui répond qu’il n’y a pas de place en pédiatrie et que si rendez-vous il y a, ce ne sera pas avant le 12 avril 2012. Des analyses sont effectuées, mais le diagnostic n’est pas établi et la famille rentre chez elle, à Mamoudzou.

Sept jours plus tard, le 14 mars, une même crise surgit. Là, c’est le médecin traitant qui n’arrive à établir la cause et invite la famille à se rendre le jour-même aux urgences. Le bébé y décédera d’une anémie. En même temps, les parents découvriront étonnés sa maladie.

« Le contexte mahorais »

Pour maître Nadjim Ahamada, l’avocat de la famille, et Yann Le Bris, il y a une raison invoquée à l’époque par les médecins qui provoque leur colère. C’est l’excuse du « contexte mahorais ». « Il y a une absence de prise de responsabilités. Ils se renvoient tous la balle », constate le procureur. « On dit à propos de la famille que : « Bah, le CHM est en face. Ils n’ont qu’à prendre leur voiture. » Il liste tous les manquements, le défaut d’information, l’accompagnement par la PMI qui n’a pas été fait, l’absence de soins adéquats, la transfusion sanguine qui n’a pas été faire. Parlant « d’un concours de négligences », l’avocat regrette que seul l’hôpital soit poursuivi et doit à répondre à des questions, onze après les faits, qui ne concernent finalement pas les équipes actuelles. « On aurait aimer entendre les explications des médecins. »

Car les deux expertises médicales, qui ont suivies, ont pointé la responsabilité des soignants du CHM aujourd’hui hors du territoire. Car pour les spécialistes, il y avait bien des moyens de sauver la petite. La première, c’est en assurant sa prise en charge rapide par le Smur, qui aurait pu venir la chercher directement au cabinet médical, le 14 mars. Et surtout, une transfusion sanguine réalisée aurait pu empêcher l’anémie. « Le CHM ne comptait pas contester sa faute. La prise en charge n’était pas adaptée », reconnaît l’avocat du centre hospitalier, maître Jean-Jacques Morel, ce mardi. Comme le procureur, il souligne les difficultés du CHM, mais contrairement au magistrat (qui requiert 50.000 euros), il demande une peine « adaptée ».

« A chaque anniversaire, c’est très compliqué »

Si les années ont passé, la famille garde un souvenir très douloureux du décès. « Pour ma femme, à chaque fois que la date de sa naissance arrive, c’est très compliqué », admet le père de famille. La colère est d’autant plus grande qu’il reste persuadé qu’il aurait pu faire quelque chose s’il avait été mis au courant pour la drépanocytose. « J’ai une mutuelle. Si j’avais su, je l’aurais emmené avec moi en métropole », ressasse-t-il. Ce qu’il espère, c’est que la mort de sa fille ait fait bouger les choses à l’hôpital. Car s’il n’a jamais été prévenu de la maladie de sa fille, il a « peur » que d’autres parents à Mayotte ont été ou soient dans le même cas.

Le tribunal correctionnel de Mamoudzou a reconnu coupable le CHM d’homicide involontaire et l’a condamné à verser 40.000 euros d’amende, dont 20.000 assortis d’un sursis. Une nouvelle audience aura lieu en avril 2024 pour déterminer les dommages et intérêts, la partie civile demandant la somme de 200.000 euros.

Précisions : un seul candidat à la présidence de la CME

Dans un article publié ce mercredi, nous indiquions que la présidence de la commission médicale de l’établissement (CME) est assurée dorénavant par un pédiatre du CHM, le docteur Soumeth Abasse. Celui-ci remplace le docteur Pierre Millot, parti à la retraite. L’article évoquait aussi le cas d’une deuxième candidature pour diriger l’instance, celle du docteur Abdourahim Chamouine. Il n’en est rien, le centre hospitalier de Mayotte indique qu’il n’y avait bien qu’un seul candidat, le docteur Soumeth Abasse.

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