Avec l’aide d’un réseau de faussaires, un fonctionnaire de police de Pamandzi s’était lancé dans le commerce de « doublettes », des copies de véritables cartes d’identité sur lesquelles seule la photo est changée. Il fera un an de prison ferme, a décidé le tribunal correctionnel, tard dans la soirée de vendredi, pour avoir joué l’intermédiaire auprès d’étrangers en situation irrégulière et avoir empoché jusqu’à 4.000 euros par carte.
Vraies fausses cartes d’identité ou fausses vraies cartes d’identité, la finalité était la même pour les bénéficiaires du trafic. En usurpant l’identité via des copies du précieux sésame, ils pouvaient circuler en toute sécurité, prétendre à un logement ou travailler sans crainte. Et tout ça grâce à un policier municipal de Pamandzi qui jouait les intermédiaires entre un réseau de faussaires dont des membres basés en région parisienne et la clientèle locale. En effet, pendant un an et demi, le fonctionnaire de 31 ans trouvait des clients, envoyait des photocopies de vraies pièces d’identité aux faussaires, récoltait l’argent (1.500 euros d’avance, puis 2.500 euros à la livraison) et prévenait les bénéficiaires quand le document était prêt. Une combine, trouvée sur le réseau social Snapchat, qui pourrait rapporter « entre 36.000 et 48.000 euros », selon les policiers en charge de l’enquête. « J’étais dans un moment difficile. J’avais mon crédit automobile à payer, les assurances », a expliqué celui qui admet avoir vendu « une dizaine » de cartes, vendredi, au tribunal correctionnel de Mamoudzou. Outre les témoignages de ses clients, ce sont les photos des cartes d’identité, les conversations téléphoniques et les virements importants qui ont précipité sa chute il y a quelques semaines.
A ses côtés, à la barre, une proche jouant à l’occasion le rôle de rabatteuse et un autre spécialiste de la vente de cartes d’identité étaient jugés en même temps. Pour la première âgée de 41 ans et originaire des Comores, il a été prouvé qu’elle a mis en relation au moins trois clients avec le policier, qui s’avère être de sa famille. « Je n’ai jamais reçu d’argent », a-t-elle affirmé toutefois. Le second a un rôle « plus indépendant ». De nationalité comorienne, cet habitant de Sada de 35 ans était lui aussi en contact avec un faussaire basé à Lyon jusqu’en 2019. Mais le trafic avait été interrompu. Depuis, il a dit se contenter « d’acheter et revendre des cartes d’identité ». « Je ne les modifiais pas », a-t-il soutenu. Selon lui, il les acquérait « entre 100 et 150 euros », puis touchait le double, voire le triple à la revente. Comme la photo n’était pas modifiée, la ressemblance physique était le premier critère de ses clients. « Parfois, quand je n’arrivais pas à revendre une carte, je la revendais au prix où je l’avais achetée », a raconté celui qui est arrivé en 2014 à Mayotte et vit « de bricoles dans le bâtiment ».
Une enquête qui manque de fond
Dans cette affaire, les avocats de la défense et les juges ont regretté des zones d’ombre dans l’enquête et une mauvaise caractérisation. Le fait d’avoir affaire à « une bande organisée », par exemple, n’a pas tenu bien longtemps. La hiérarchie est en effet difficile à établir entre les protagonistes, ces derniers semblant n’être que des intermédiaires locaux, tout comme il a été difficile pour les enquêteurs de faire un lien entre le Sadois et les deux autres prévenus. Ils ont toujours affirmé qu’ils ne se connaissent pas et aucun contact n’a pu effectivement être relevé entre eux.
Pourtant, pour Tarik Belamiri, le substitut du procureur, les trois prévenus « ne sont pas de petites mains », et il a décrit le policier de Pamandzi davantage comme « un chef de réseau ». Il a requis contre lui, 24 mois de prison, 40.000 euros d’amende et une confiscation de son véhicule acheté grâce à l’argent perçu de sa combine. Une peine similaire a été demandée à l’encontre du Sadois, excepté pour le véhicule. Une interdiction de territoire français d’une durée de trois s’y ajoutant. Concernant la femme de 41 ans, au vu de son rôle mineur, le procureur a souhaité une sanction plus légère avec six mois de prison avec sursis. Maître Charles Simon, l’avocat des deux derniers, a pointé « une procédure indigeste qui n’établit rien ». Son confrère, maître Soumetui Andjilani, a défendu le fonctionnaire de police en faisant remarquer « qu’il sait qu’il a beaucoup perdu » et que si « Monsieur ne serait pas amendé, vous n’aurez pas eu d’enquête ».
Par décision contradictoire, les trois juges ont reconnu coupables les trois protagonistes d’aide à l’entrée, à la circulation ou séjour irréguliers d’un étranger. Le policer a été condamné à un an de prison ferme et 5.000 euros d’amende. Son véhicule a été confisqué et une interdiction d’exercer la fonction de policier pendant cinq ans a été décidée. La seule femme de l’affaire a écopé de trois mois de prison avec sursis et la condamnation figurera bien dans son casier judiciaire (contrairement à la demande de son avocat). Le Sadois s’en sort lui avec du sursis, huit mois de prison, et une amende de 1.500 euros.
Au dernier passage des prévenus à la barre, le Pamandzien a soupiré : « J’ai vraiment honte par rapport aux collègues et à mon travail. J’ai prêté serment dans ce même tribunal et je n’imaginais pas me revoir là en tant que prévenu ».
Un membre d’un réseau de passeurs condamné
Plus tôt, ce même vendredi, Karim Abdou faisait face lui aussi aux juges pour de l’aide à l’entrée d’étrangers en France. Âgé de 26 ans, ce père de famille d’origine comorienne qui habite Dzoumogné fait partie d’un réseau de passeurs entre Anjouan et Mayotte. À raison de plusieurs voyages par semaine (« jusqu’à cinq »), entre 15 et 20 passagers prenaient place dans des kwassas, chacune payant 250 à 300 euros. Son rôle décrit par la présidente du tribunal, Chantal Combeau, était de jouer les intermédiaires à l’arrivée des clandestins à Mayotte. Recrutement des clients, collecte de l’argent, cette dernière pouvait se faire de manière plus poussée quand toutes les sommes n’étaient pas complètes. Débarqués parfois sur l’îlot M’Tsamboro, les étrangers en situation irrégulière pouvaient l’être ensuite sur la plage de M’Tsahara. « Il est dit que vous gardiez de force sur place les personnes qui n’avaient pas payé », rappelle Chantal Combeau. « Parfois, on les relâchait sans avoir l’argent », tente le prévenu. « Ce n’est pas ce « parfois » qui m’intéresse, c’est l’autre. Parce que si parfois vous les relâchez, parfois non », lui répond du tac au tac la présidente.
Sans casier judiciaire et se décrivant comme un vendeur de poissons qui n’a pas eu le choix, il reconnaît les faits, mais préfère les minimiser. L’obtention d’un titre de séjour au mois de mai a, en outre, réduit son rôle d’intermédiaire à celui de collecteur de l’argent, ces derniers mois, avant son interpellation en juin. Aux policiers, il a affirmé qu’il gagnait « entre 50 et 100 euros » par bateau, à raison de cinq voyages par semaine. Le substitut du procureur, Tarik Belarbi, rappelle également que 8.000 personnes par an auraient utilisé ce réseau et que le prévenu avait passé « 10.000 appels » pendant les deux ans visés par la procédure. « Je vous demande de prendre en compte son rôle majeur, l’ampleur du trafic et le positionnement de monsieur qui préfère minimiser les faits », défend le représentant du ministère public. Il demande trois ans de prison, assortis de 24 mois de sursis si une amende de 24.000 euros (qui correspond à la trace d’un virement vers le chef du réseau) est réglée, ainsi qu’une interdiction définitive du territoire français. Le tribunal correctionnel a condamné Karim Abdou à deux ans de prison ferme et 5.000 euros d’amende.
Romain Guille est un journaliste avec plus de 10 ans d'expérience dans le domaine, ayant travaillé pour plusieurs publications en France métropolitaine et à Mayotte comme L'Observateur, Mayotte Hebdo et Flash Infos, où il a acquis une expertise dans la production de contenu engageant et informatif pour une variété de publics.