La cour d’Assises jugeait ce mercredi une affaire de 2016, ayant conduit à la mort d’un jeune père. Quatre ans après, les séquelles de ce drame sont encore bien visibles…
L’un avait dix-huit ans, l’autre une vingtaine d’années, et le dernier seulement quelques mois. Ce mercredi, seul le premier comparaissait devant la Cour d’Assises de Mayotte, pour avoir poignardé en novembre 2016 un jeune homme habitant à Vahibé. Le deuxième, sa victime, est décédé des suites de ses blessures, laissant derrière lui une famille aux abois, et son enfant unique, alors âgé d’à peine six mois. C’est une histoire singulière, tant elle cristallise à elle seule la somme des différentes violences, physiques ou symboliques que Mayotte connaît bien : vols, grande précarité, usages de stupéfiants, familles déchirées par les expulsions… Cette affaire criminelle a eu lieu six mois à peine après les actes répétés des coupeurs de route, qui avaient semé la terreur à Vahibé en 2016. Et est encore tristement d’actualité aujourd’hui.
Quatre ans plus tard, F. A. se dresse timidement derrière la vitre du box des accusés. Flanqué d’un sweat shirt “Je le ferai demain”, et de deux policiers pour le surveiller, l’accusé commence : “Bonjour, je m’appelle F. A., je suis né en 1998…”. Puis sa voix se brise, visiblement chamboulé. “Ce serait possible de reprendre tout à l’heure s’il vous plaît ?”. La cour appelle alors sa mère, mais sans beaucoup plus de succès, tant l’air s’est désormais chargé d’émotion. ”Je ne peux pas, car juste en le regardant comme ça, je suis trop émue…”, souffle la femme à l’interprète, les épaules tremblantes sous son salouva.
À force de questions, le juge parvient toutefois à retracer le parcours du jeune homme. Plutôt éduqué, issue d’une fratrie de sept frères et sœur, il souhaite d’abord s’orienter vers de la mécanique aérienne. Envoyé par sa mère en métropole pendant un an, puis à La Réunion, il envisage à son retour de rejoindre le RSMA et de partir à l’armée. Un projet mort dans l’œuf, quand il “perd le contrôle”, et poignarde la victime, une connaissance avec qui il a déjà eu une dispute légère quelques mois plus tôt.
Bagarres et stupéfiants
Pourquoi un tel crime ? L’usage de stupéfiants le jour du drame pourrait expliquer le passage à l’acte. Une expertise psychiatrique décrit d’ailleurs une personnalité instable, sujette à des interprétations fausses de la réalité, sans qu’il puisse être constaté d’états délirants. “Il a ce qu’on appelle un état limite, une maladie caractérisée par une instabilité de l’humeur et une montée des tensions pouvant entraîner un passage à l’acte”, décrit un des experts mandatés par l’instruction. Si la maladie se manifeste plutôt à l’âge adulte, elle a pu être encouragée chez l’accusé par la consommation de psychotropes. Pour F. A., ses premières pertes de contrôle débutent à l’adolescence, quand, lors d’une bagarre entre jeunes de Vahibé et de Passamaïnty, il est poursuivi et tabassé. Son entourage familial, jugé plutôt stable par le psychologue clinicien, ne suffit pas à apaiser ce jeune homme troublé. “Quand quelqu’un touche mes affaires, je pète un plomb, il y a trop de bruit, trop d’enfants, je pète un plomb…”, aurait-il confié au moment de l’expertise.
Enfants d’expulsées
Le moment où tout bascule, ce jour de novembre 2016, est de ce genre-là. L’accusé plante un poignard à proximité du cœur de la victime, sans avoir l’intention de donner la mort, assure-t-il. Mais l’homme, dont la rumeur locale – de l’aveu même de son père entendu à la barre – disait par ailleurs qu’il avait participé aux coupures de route à Vahibé, décède. Problème : il vient d’avoir un enfant. Lui-même n’a d’ailleurs pas eu une enfance bien rose. “Au moment où Sarkozy a été élu, sa mère a été reconduite à la frontière, j’ai été seul avec mon fils et je l’ai perdu, à 14 ans, quand il a arrêté d’aller à l’école”, témoigne son père. Sa mère, quant à elle, revenue à Mayotte aujourd’hui, ne peut que dire sa colère d’avoir perdu un fils si jeune. “Depuis sa mort, c’est comme si ma vie entière avait basculé”, murmure-t-elle devant la cour. Et l’enfant ? “Il ne parle pas bien, il est assez timide, et vit dans des conditions très précaires”, expose l’administrateur ad hoc de la Protection de l’enfance, entendue également ce mercredi. Orphelin de père, il vit chez ses grand-parents : sa mère aussi a connu une expulsion. Comme si ces destins accidentés pouvaient se transmettre de père en fils… Le verdict devrait tomber ce jour.
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