Ce mercredi, un braconnier récidiviste a été condamné à cinq ans de prison dont quatre années fermes en comparution immédiate après avoir participé au braconnage d’une tortue ce week-end. Il s’agit de la peine la plus lourde jamais prononcée à Mayotte pour un cas de braconnage.
« Il y a plus de 100 plages où les tortues viennent pondre à Mayotte. On a vraiment une responsabilité sur la survie de l’espèce à l’échelle mondiale. » Une sonnette d’alarme tirée par Me Mélanie Trouvé lors de sa plaidoirie et qui a été entendue par le tribunal judiciaire de Mamoudzou qui a condamné Anli Ali à cinq ans de prison, dont quatre ans fermes, pour avoir braconné une tortue verte.
Dans la nuit du 15 au 16 mars, l’individu de 42 ans s’est rendu sur la plage de Charifou 1, dans la commune de Kani-Kéli, avec un partenaire vers 19h15. Un quart d’heure plus tard, ils ont retourné une tortue venue pondre pour s’en prendre à sa chair. C’est alors qu’ils s’apprêtaient à partir avec 70 kilos de viande que huit agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) les ont interpellés en flagrant délit. Si le compère a pris la fuite par les pistes tortueuses, Anli Ali a tenté de semer les inspecteurs de l’environnement à la nage sur deux kilomètres, avant d’être rattrapé. Confié à la police judiciaire de la gendarmerie nationale de M’zouazia, il a reconnu en garde à vue avoir « découpé la viande » et « désossé » l’animal protégé, mais pas l’avoir tué. « C’est l’autre qui l’a tué », maintient-il lors de l’audience en comparution immédiate ce mercredi 19 mars. Un dédouanement que retiendra la procureure Clélia Marbouty lors de son réquisitoire : « Tout est remis sur la faute des autres, il ne reconnait qu’à minima ».
Déjà deux condamnations pour braconnage
La présidente Alexandra Nicolay l’interroge longuement pour savoir s’il avait connaissance que chasser les tortues marines était illégal. « Je ne savais pas », répond le braconnier. « Vous avez déjà été condamné deux fois pour avoir tué une tortue et vous ne saviez pas que c’était illégal ? », insiste la présidente qui peine à cacher son exaspération. Il finira par répondre par l’affirmative, ayant été condamné en 2017 puis en 2019 pour « des faits exactement similaires », souligne Alexandra Nicolay.
Alors que son avocat, Me Fatih Rahmani, a tenté de défendre le portrait d’un homme exerçant cette pratique pour sa seule subsistance et de manière occasionnelle, cette version a du mal a tenir pour le tribunal. Ayant comme seul revenu le RSA, Anli Ali affirme néanmoins faire deux allers-retours en métropole par an. Lorsque la gendarmerie a perquisitionné sa case en tôle à Kawéni, elle y a retrouvé un immense congélateur. La nuit de l’interpellation, l’OFB a également découvert « le kit parfait du parfait braconnier », selon les propos de Me Mélanie Trouvé, avocate des associations portées partie civile : deux couteaux aiguisés, des sacs de riz ou encore une lampe frontale. « C’est quelqu’un qui n’en est pas a son premier coup d’essai », en conclut le ministère public. Outre ces éléments, le braconnier reconnaît lui-même avoir quatre ou cinq clients, à qui il vend la viande de tortue à 20 euros le kilo.
Un ancien gardien anti-braconnage du département
Le chef du service départemental de l’OFB, Raphaël Trunkenwald, témoin lors de l’audience, a déclaré qu’il soupçonnait l’individu d’être un des principaux braconniers de Mayotte, surnommé « Barrage », au regard du tatouage qu’il porte au bras droit. Un individu dont l’activité atteindrait « plus de 100 tortues tuées par an », selon les estimations de l’OFB. Si ce soupçon n’a pas été pris en compte dans le dossier, il est néanmoins venu alourdir un contexte déjà peu favorable au prévenu.
Me Mélanie Trouvé s’est en effet souvenu l’avoir déjà vu lors de précédentes audiences. Elle lui demande alors s’il a déjà travaillé pour le Département. Il reconnaît alors avoir travaillé comme gardien de plage dans le cadre de la lutte anti-braconnage. « Pour la population, vous représentez un symbole de l’incapacité du département a protéger les tortues et vous discréditez les actions mises en place par les associations », insiste l’avocate des parties civiles, à savoir Les Naturalistes, Oulanga Na Nyamba et Sea Shepherd France. De son côté, Me Fatih Rahmani a souhaité rappeler lors de sa plaidoirie que le contexte présenté au tribunal ne devait pas être pris en compte, s’agissant de rumeurs non présentes au dossier.
Le ministère public, ayant insisté sur l’importance de préserver les tortues, qui « risquent sinon de disparaître d’ici dix ans », a demandé 30 mois de prison pour le récidiviste ainsi qu’une interdiction pour le citoyen français de séjourner dans le département pendant trois ans, « puisque lui-même dit vouloir aller en métropole pour ne pas être tenté de recommencer ». Clélia Marbouty a également demandé à ce qu’il verse 3.500 euros à chacune des parties civiles.
Une victoire « historique » pour les associations
À l’issue du délibéré, la présidente a souhaité rouvrir les débats, le tribunal ayant décidé de retenir la récidive légale, ce qui augmente le nombre d’années de prison encouru. Si initialement, le braconnage et la consommation de tortue peut conduire à trois ans de prison et 150.000 euros d’amende, la peine encourue est alors passée à entre trois et six ans. Malgré ce revirement, les réquisitions sont restées les mêmes.
Après un second délibéré, Anli Ali a finalement été condamné à cinq ans de prison dont un an assorti d’un sursis probatoire d’une durée de trois ans. Durant cette période de sursis, il a interdiction de paraître sur l’ensemble des plages de Grande-Terre et de Petite-Terre. Il devra également indemniser chaque association partie civile de 3.000 euros pour le préjudice moral subit.
Une peine lourde qui n’avait encore jamais été prononcée à l’encontre d’un braconnier à Mayotte. « C’est aussi la première fois qu’on a un tel cas de récidive », note Me Mélanie Trouvé à l’issue des quatre heures de comparution immédiate. Pour les associations présentes, c’est « historique » en matière de répression du braconnage. « On est évidemment très satisfaits du jugement très ferme mais en même temps très mérité contre un récidiviste », indique Michel Charpentier, président des Naturalistes, venu assister au jugement. Néanmoins, pour lui, le travail doit aussi continuer pour appréhender les consommateurs et commanditaires de la viande de tortue.
Journaliste à Mayotte depuis septembre 2023. Passionnée par les sujets environnementaux et sociétaux. Aime autant raconter Mayotte par écrit et que par vidéo. Quand je ne suis pas en train d’écrire ou de filmer la nature, vous me trouverez dedans.