Créé le 1er juillet 2020, le bureau d’aide aux victimes (Bav) composé de deux juristes s’est peu à peu fondu dans le décor du tribunal judiciaire de Mamoudzou. Une nécessité tant les démarches peuvent être compliquées pour des familles qui arrivent souvent aux procès sans avocats.
Le local n’est pas le plus aisé à trouver. Au rez-de-chaussée du tribunal judiciaire, au détour d’un couloir, le petit bureau aux stores baissées est discret. C’est là qu’Adel Mohamed ou Adidja Mouta Bacar reçoivent quotidiennement les victimes. Comme ce mercredi matin, où entre la session d’assises qui vient de débuter et les affaires du tribunal correctionnel, les rendez-vous s’enchaînent. Après avoir vu déjà six personnes depuis 8h, Adel rencontre une jeune mère de famille qui tient son bébé contre elle. En situation irrégulière, elle a vu un groupe d’hommes pénétrés chez elle, à Chirongui, le 6 mars 2021. Ils avaient cassé la plupart de ses biens. « Il faut des factures pour que les juges puissent décider le montant du préjudice », indique le juriste, à travers la vitre transparente installée pendant la crise sanitaire. Son interlocutrice acquiesce, mais ne peut fournir de justificatifs. Ce sera donc aux juges, au cours de la même matinée, de déterminer le chiffre adéquat. « Je vous donne mon numéro de téléphone. Je vous appelle demain pour vous dire ce qui sera décidée », conclut-il. Dans « cette interface entre le tribunal et les victimes », Adel est le premier occupant du bureau d’aide aux victimes (Bav), depuis son ouverture en juillet 2020. Un poste polyvalent où il doit aider les plaignants dans les démarches, leur expliquer le jargon juridique et les contacter afin de s’assurer qu’ils ont bien un avocat le jour-J. Par contre, il ne peut pas donner de conseils, afin de ne pas interférer avec la profession d’avocat.
Des procédures à régler continuellement
La victime suivante est un jeune homme de Tsoundzou. Le 9 février, il était déjà venu au tribunal dans le cadre d’une comparution immédiate. Ses deux agresseurs ont été condamnés à deux ans de prison et sa demande d’indemnisation à hauteur de 3.000 euros avait été acceptée. Si la comparution permet un jugement beaucoup plus rapide, elle laisse peu de temps aux justiciables de trouver un avocat. « Il en a appelé un, mais il ne pouvait pas le prendre », se désole Adel, qui voit quotidiennement à quel point le manque d’avocats pénalise l’île. Pour qu’il puisse être indemnisé, le jeune homme doit se plier à un courrier du bureau d’aide juridictionnelle qui exige, trois mois après le procès, qu’un certificat de présence soit délivré. Ne parlant pas le français, il converse en shimaoré avec Adel. Quand les victimes parlent kibushi, c’est Adidja qui a l’habitude de prendre le relais. Le garçon glisse le précieux document dans son sac et repart.
Une autre femme d’origine malgache rentre dans la pièce. Cette habitante de Labattoir a vu les relations avec son mari se détériorer au point qu’elle garde ses trois enfants sans qu’un centime d’allocations ne lui parvienne. Une tentative de médiation devrait être mise en place avec un juge des affaires familiales. « Est-ce qu’il t’a menacé ? Est-ce que tu as peur de lui ? » s’enquiert Adel, pour savoir si une procédure rapide doit être lancée. « Non, pas du tout. Je veux simplement qu’il puisse nourrir ses enfants », rassure-t-elle. « On va te demander des extraits de naissance plus récents, les dernières feuilles d’impôt », prévient alors le juriste. Cette dame sera la dernière qu’il voit passer ce matin. L’audience du tribunal correctionnel dans la pièce d’à côté touchant bientôt à sa fin, le banc des victimes s’est considérablement vidé.
« Parfois, ça me frustre »
Le bureau d’aide aux victimes a un statut un peu à part au sein du tribunal. Il s’agit, en effet, d’une antenne d’une association basée à Lille (Nord). Elle remplace l’Acfav (association départementale pour la condition féminine et l’aide aux victimes) qui assurait autrefois des permanences au tribunal.
À Mayotte, les problématiques sont d’autant plus nombreuses au regard des difficultés que la population rencontre. Entre les changements d’adresse ou le manque parfois de communication, il n’est pas rare que les victimes soient absentes lors du procès, même dans des affaires graves. Leur indemnisation est tout aussi compliquée. Pour qu’ils la perçoivent, les plaignants doivent avoir un compte en banque et fournir un relevé d’identité bancaire (Rib). Ce qui n’est pas toujours le cas sur l’île. « Parfois, ça me frustre », admet Adel. « Ils font les démarches et ça bloque à ce niveau-là. » Le Mahorais n’a pourtant pas l’intention de baisser les bras et souhaite que l’équipe s’étoffe à l’avenir d’un psychologue et d’un référent au centre hospitalier de Mayotte pour améliorer encore la prise en charge des victimes.