[Mis à jour : la réaction de Sea Sheperd a été ajoutée] Trois hommes, jugés en comparution immédiate pour avoir tué et dépecé une tortue sur la plage de Papani en Petite-Terre, ont été condamnés ce mercredi à dix-huit mois de prison avec sursis. Ils reconnaissent les faits, mais ne mesurent pas leur gravité. L’ONG Sea Sheperd France, qui a participé à l’interpellation, a réagi en faisant part de son « écœurement » suite à l’annonce d’une peine qui exclut la prison ferme.
« On espère des peines exemplaires pour une fois », réclamait Sea Sheperd France, ce mardi 9 avril, sur le réseau social X (ex-Twitter), après avoir annoncé l’interpellation de trois « braconniers de tortues » sur la plage de Papani survenue deux jours plus tôt. S’il était destiné au système judiciaire, le message a été bien reçu par trois autres associations (Oulanga na Nyamba, l’association pour la protection des animaux sauvages, et l’association naturaliste de Mayotte), qui se sont constituées partie civile à l’audience en comparution immédiate des trois hommes, au tribunal judiciaire de Mamoudzou, ce mercredi.
« L’objectif de la présence de ces associations à cette audience, c’est de faire de la pédagogie », a souligné maître Mélanie Trouvé, avocate des parties civiles. Il faut dire que, malgré la barrière de la langue (les trois prévenus, des pêcheurs comoriens, ont eu besoin d’un interprète), expliquer la gravité des faits a été une affaire relativement simple pour Clément Le Bideau, président de l’audience.
Deux ans ferme requis
Dimanche 7 avril 2024, sur les coups de 19h, des agents de l’ONG Sea Sheperd contactent la gendarmerie maritime pour signaler la présence de braconniers au niveau de la plage de Papani, en Petite-Terre. Ce lieu est un hotspot du braconnage. La veille, l’association Oulanga na Nyamba avait repéré des hommes à bord d’une barque en train d’extirper de l’eau trois tortues au niveau de la plage, sans pouvoir les appréhender.
Inquiétés par la recrudescence des faits, les gendarmes ne tardent pas et parviennent à intercepter un homme à l’attitude étrange en possession d’un sac. Ils découvrent 84 œufs de tortue dissimulés à l’intérieur. Interpellé puis placé en garde à vue, l’individu âgé de 37 ans reconnaît sa participation au braconnage, mais indique que ce sont deux autres hommes qui ont eu l’idée d’aller chasser. Plus tard, dans la nuit, les équipes de Sea Sheperd retrouvent la carapace de la tortue presque vidée et maculée de sang.
Le gardé à vue donne aux gendarmes l’adresse des deux autres individus impliqués, appréhendés à leur tour dans leurs quartiers respectifs en Petite-Terre. Auditionné, le plus âgé indique aux militaires qu’il a éventré la tortue sans l’égorger, ce qui ne correspond pas avec la version du deuxième. Il apparaît finalement que les rôles étaient bien établis : un homme découpait la tortue, pendant que l’autre tenait le sac pour stocker la chair. En bout de chaîne, celui interpellé en flagrant délit s’est « juste » chargé de récupérer les œufs.
« Cette tortue a été mutilée, détruite », image la substitute du procureur, Cassandre Morvan. Pour la représentante du Parquet, les trois prévenus n’en étaient pas à leur coup d’essai et participaient à une activité bien rodée. « Il s’agit d’un réseau, avec des commanditaires », estime la magistrate. « Cette viande n’est pas destinée à leur consommation. » Pour « destruction illicite d’une espèce animale protégée » et « enlèvement illicite d’un œuf ou d’un nid d’une espèce animale protégée », la parquetière requiert deux années de prison ferme contre les trois hommes*.
« J’avais faim »
A la barre, l’homme trouvé en possession des œufs de la tortue tuée ne change pas sa version des faits. « On descendait à la plage, mon collègue m’a dit qu’il fallait qu’on aille chercher de la viande. A partir de 17h, nous sommes descendus et on a vu la tortue. Ce sont eux qui l’ont attrapée. J’ai suivi, mais j’avais peur. Ensuite, ils l’ont retourné. J’ai eu peur du sang », confie-t-il aux juges.
Ses deux comparses racontent quant à eux qu’ils n’ont pas agi pour l’appât du gain, comme le suggère le ministère public, mais pour satisfaire leurs familles dans le besoin. « J’avais faim », clame ainsi celui qui tenait le couteau. Pas convaincue, l’avocate des parties civiles, demande s’il ne s’agissait pas plutôt d’une « commande ». « Vous avez déjà mangé de la tortue ? », s’enquiert la robe noire.
« Pas du tout, il n’y avait même pas cette idée-là », répond un prévenu. Quoi qu’il en soit, pour l’avocate des quatre associations, le phénomène de braconnage, « massif à Mayotte », génère des « enjeux colossaux ». Sur les dix dernières années, selon le réseau d’échouage mahorais des mammifères marins et des tortues marines (REMMAT), près de 2.590 tortues ont été tuées sur l’île. « Les remontées d’informations sont forcément parcellaires, il y a plein d’actes de braconnage pour lesquels on ne trouve jamais de traces », précise-t-elle. « Personne n’a envie de connaître un lagon de Mayotte sans tortues vertes. L’ensemble de l’équilibre serait mis à mal, les éponges disparaîtraient tout comme des dizaines d’espèces de coraux. »
Du côté de la défense, maître Élodie Gibello, avocate d’un des trois prévenus, estime que les motivations des braconniers sont directement en lien avec leurs situations précaires. « Supprimons la pauvreté, supprimons la précarité et je pense que le braconnage existera encore certes, mais de façon résiduelle », rajoute la robe noire. Son confrère, maître Fatih Rahmani, propose que, plutôt qu’une peine de prison ferme, un stage de sensibilisation soit proposé. Le tribunal coupe la poire en deux en condamnant les trois hommes à dix-huit mois de prison avec sursis. Ces derniers devront également indemniser à hauteur de 2.000 euros chacune des quatre associations qui se sont constituées partie civile.
L’ONG Sea Sheperd a fait part de son « écœurement » à l’annonce de la sanction qui n’implique aucun mois de prison ferme. « Il est insupportable pour nous de voir qu’au terme de tant d’efforts, tant de nuits passées à protéger les tortues aux frais de l’association et de nos bénévoles, à nos risques et périls et sans aucune aide publique, les braconniers pris sur le fait et reconnus coupables, repartent libres du tribunal », déplore-t-elle.
*Le tribunal judiciaire de Mamoudzou a requalifié les faits reprochés aux trois hommes. Ces derniers ont été reconnus coupables d’avoir porté atteinte à la préservation d’espèces non domestiques et ils ont été relaxés pour le surplus.