Une simple affaire d’atteinte sexuelle sur une mineure de moins de quinze ans a fini par prendre de l’ampleur au tribunal correctionnel mercredi dernier. Rappelant que le débat sur le consentement, en particulier des mineurs, est toujours cruellement d’actualité, deux ans après l’adoption de la loi sur les violences sexistes et sexuelles.
“Je suis là aujourd’hui pour qu’il ne fasse pas ça à une autre fille.” Lorsqu’elle prononce ces mots, tout à coup, son timbre est plus clair, ses épaules tremblent un peu moins sous sa robe rose en voile de coton, sa tête se redresse. Rien à voir avec ses premiers murmures en début d’audience, qu’elle peinait à énoncer tant sa voix se brisait face aux robes noires. Et pourtant, le juge Pascal Bouvard balaie cette réponse d’un revers de la main : “Ce sont des mots valises ça, je n’y crois pas, et vous non plus : vous êtes là pour vous, et pas pour l’humanité, n’est-ce pas ?” Il lui arrache un “oui”. Tremblant, celui-là.
Et c’est à peu près la même partie de ping-pong qui va se jouer, des heures durant, dans cette salle climatisée du tribunal correctionnel, ce mercredi 15 juillet. Pas tant pour entendre le prévenu, qui grimace à l’arrière, mais bien plus la victime, seule à la barre face aux travers d’une justice encore trop patriarcale. Pourtant, l’affaire devait être “jugée rapidement”, car les faits n’étaient pas d’une “grande difficulté”, supputait le président en début d’audience. Raté. Car l’apparente banalité des faits n’enlève en rien à leur gravité : le prévenu, un homme d’une cinquantaine d’années, est accusé d’atteinte sexuelle sur mineure et de séquestration. Au moment des faits, en 2017, la victime est âgée de 14 ans. Son “petit ami” en a 32 de plus. Aujourd’hui, le prévenu prétend qu’il ignorait l’âge de sa conquête. Mais les circonstances de leur rencontre auraient pu, si ce n’est son apparence physique, lui mettre la puce à l’oreille.
Rencontrés sur le chemin de l’école
En effet, un matin, la jeune fille loupe le bus qui doit l’emmener à l’école. Elle fait alors la connaissance de cet homme plus âgé qui la dépose en stop. Très vite, ils sont amenés à se revoir. Et pendant treize mois, entre novembre 2017 et décembre 2018, ils auront une relation amoureuse et plusieurs rapports sexuels. Au début, ce chef de chantier d’une cinquantaine d’années la couvre de présents, l’emmène au restaurant. Puis la situation se dégrade. Parfois, quand il quitte le domicile, l’homme enferme l’adolescente à clé, d’après lui car elle ne veut pas sortir. C’est là que les policiers la retrouveront un jour, sous une chaleur étouffante, au milieu des DVD pornographiques et sans trousseau de clés. Dans les jours qui ont précédé, la victime avait fait plusieurs malaises à l’école, car elle n’avait rien à manger et qu’il l’avait frappé à deux reprises, raconte-t-elle aujourd’hui. “Jamais je n’ai voulu la séquestrer”, niait le prévenu dans sa déclaration.
Consentement et âge légal
“Nous sommes d’accord que nous sommes là avec une relation bien ancrée…”, résume le juge Bouvard après avoir entendu la version du prévenu. Nonobstant, la question de savoir si ces rapports étaient consentis ou non est bien au cœur de cette affaire sordide. Surtout, car pendant au moins les premiers mois de leur relation, la victime n’avait que 14 ans. “La notion de consentement, en dessous de 15 ans, n’existe plus”, signe Maître Erick Hesler, le conseil de la victime. Hasard du calendrier, c’est d’ailleurs au même moment que le gouvernement préparait son projet de loi sur les violences sexistes et sexuelles. Et que le débat sur le consentement des mineurs et un âge légal du consentement, de 13 ou de 15 ans, battait son plein…
Visiblement, pas assez fort pour se faire entendre jusqu’à Mayotte. Et c’est d’ailleurs là-dessus qu’a souhaité insister Maître Zainaliambidina Nizary, l’avocat de la défense : “Le contexte local, territorial et géographique est très important dans cette histoire. Aujourd’hui, aux Comores, les gens sont mariés à 12 ans, et 52% de la population de Mayotte est étrangère”, a-t-il rappelé pour lancer sa plaidoirie. Il faut dire en effet que la rencontre malheureuse de cette Comorienne originaire de Moroni avec ce quadragénaire n’était pas sa première. Quand elle monte dans sa voiture, elle lui raconte qu’elle a déjà été mariée, et qu’elle a un enfant, âgé de cinq mois seulement. Juste avant, elle est déjà tombée entre les mains d’un autre adulte de 50 ans, parti de Mayotte depuis. Et le parcours de vie de cette jeune fille, qui quitte le domicile de sa mère à l’âge de dix ans pour alterner des séjours chez sa grand-mère et d’autres adultes, jusqu’à sa rencontre avec le prévenu, est des plus chaotiques. “C’est une fille têtue, qui aime trop la liberté, et qui veut avoir des moyens alors que moi je n’ai pas les moyens de lui donner”, apprend-t-on dans le témoignage de sa mère, absente à l’audience. D’après l’administrateur ad hoc, la victime subit une pression importante de la part de son entourage familial.
Le procès des victimes
Tous ces éléments sont passés au peigne fin pendant les longues heures que dure l’audience. Le problème ? C’est bien la victime qui est appelée à répondre de ses actes. “J’ai l’impression d’assister au procès de ma cliente, qui est passée au grill depuis le début !”, s’agace Maître Hesler. Un coup, c’est au sujet de ses lettres d’amour ou ses SMS alors que le prévenu est sous contrôle judiciaire avec interdiction d’entrer en contact avec elle ; un autre, sur son harcèlement à son égard ; ou encore son “inconséquence”, selon les termes du juge Bouvard, pour avoir eu un enfant à treize ans et l’avoir laissé à sa mère ; et jusqu’à la résolution d’un calcul mental pour vérifier ses capacités scolaires. À certains moments, la pression monte d’un cran. “Elle avait quatorze ans à ce moment-là, elle en a dix-sept aujourd’hui, je ne pense pas que ce soit la meilleure façon d’aborder les faits”, finit par intervenir le substitut du procureur.
Et il ne fait pas si bien dire. D’ailleurs, la qualification d’atteinte sexuelle plutôt que de viol, faisant de l’affaire un délit et non un crime, peut aussi poser question, au regard des rapports sexuels véritables que le prévenu a eu avec une mineure de moins de quinze ans. En effet, si l’atteinte sexuelle réprime les relations sexuelles, entre un mineur et un adulte, même consenties, le viol est défini dans l’article 222-23 du Code pénal comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise ». Et la loi de 2018 contre les violences sexistes et sexuelles ajoute que la contrainte ou la surprise « peuvent résulter de la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits ». Dans un cas, le prévenu risque sept ans de réclusion criminelle et 100.000 euros d’amende, dans l’autre vingt ans de réclusion criminelle lorsqu’il s’agit d’un mineur de moins de quinze ans.
Quoi qu’il en soit, ce mercredi, le tribunal correctionnel de Mamoudzou a, une fois de plus, illustré l’insoutenable clémence de la justice à l’égard des “attenteurs” sexuels. Alors même que le parquet ne réclamait que deux ans d’emprisonnement dont six mois de sursis probatoire de deux ans et l’obligation d’indemniser la victime, le prévenu n’écopera que de dix-huit mois de prison avec six mois de sursis probatoire de trois ans, et l’obligation de payer 8.000 euros d’indemnisation à la victime pour le préjudice moral. Étant donné que la peine de prison ferme est inférieure ou égale à deux ans, il pourra même bénéficier d’un aménagement. De son côté, l’adolescente, qui vit maintenant en famille d’accueil, présente toutes les caractéristiques d’une victime de viol : difficulté à dormir, crises de colère, problèmes génitaux… Des séquelles qu’elle gardera sans doute plus longtemps que la condamnation. D’après l’expertise psychiatrique jointe au dossier, le prévenu, lui, est “un homme normal. Mais vous le saviez déjà”, souriait le juge Bouvard.
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