Règlement de comptes sur fond de violences policières

Alors qu’un policier a été reconnu coupable, il y a deux mois, d’avoir utilisé un taser sur une personne interpellée en octobre 2020, son collègue a été cette fois relaxé, ce mardi 30 mai. L’affaire prend place dans un conflit entre fonctionnaires qui perdure depuis des années.

L’antagonisme entre des membres de la brigade anticriminalité de Mamoudzou n’est pas nouveau. Au commissariat, en tout cas, c’est de notoriété publique que plusieurs agents de cette unité (dont certains ont été mutés depuis) étaient en conflit ouvert. L’audience de ce mardi en est une nouvelle fois la preuve. Les faits sont anciens, ils datent du 10 octobre 2020. Ce jour-là, quatre policiers se rendent en voiture à Cavani pour y interpeller un homme. Plutôt costaud, celui-ci avait résisté à une première tentative d’interpellation, la veille. Selon l’un des policiers, il connaîtrait les jeunes en possession de la douille provenant d’une arme ayant servi à tirer en l’air pour disperser un groupe de jeunes, quelques jours plus tôt. C’est donc à quatre qu’ils partent le chercher. Une nouvelle fois, l’homme se débat fortement, avant d’être placé dans la voiture, sur la banquette arrière, entre deux policiers.

Voyant le passager toujours agité, le policier à sa gauche demande un taser pour le neutraliser. Il donne au minimum deux impulsions électriques pour le calmer. « Il l’a fait uniquement pour le calmer », défendent le chauffeur et le passager avant du véhicule. Depuis, l’homme interpellé a été finalement reconnu coupable de rébellion en décembre 2020 et condamné à quatre mois de prison avec sursis. L’affaire aurait pu en rester là, mais une main courante déposée en août 2022 par un des quatre membres de l’équipage a poussé le Parquet à ouvrir une enquête. Selon ce policier originaire de La Réunion, l’un de ses collègues (le passager avant du véhicule) essayerait de lui faire porter le chapeau en pressant l’interpelé de déposer une plainte pour violences volontaires à l’encontre du fonctionnaire de police qui était assis à sa droite, mais qui n’a rien fait. En outre, au cours de sa nouvelle audition, l’homme interpellé indique qu’il a bien été victime de violences policières, décrivant des coups au moment de son arrestation et dans la voiture. Il en veut pour preuve le certificat médical de l’époque qui fait mention de ses blessures. Le policier qui a donné un coup de taser, confirme son geste, expliquant qu’il « a été poussé » à le faire par son collègue de devant, plus expérimenté que lui. Au cours d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), le 3 avril, le fonctionnaire a été condamné à deux mois de prison avec sursis.

« De la violence à caractère légitime »

Alors qu’il était poursuivi lui aussi pour violences volontaires commises en réunion et par personne dépositaire de l’autorité publique, celui était sur le siège avant droite et qui est également délégué syndical a refusé la CRPC. « Il y a beaucoup d’affabulations », maintient-il, ce mardi 30 mai, devant le tribunal correctionnel de Mamoudzou. Il réfute les accusations de violence avant l’épisode dans la voiture et reconnaît simplement avoir donné le taser à son collègue, sans savoir que celui-ci n’avait pas encore l’habilitation pour s’en servir. « C’était de la violence à caractère légitime », insiste-t-il. Max Goldminc, le substitut du procureur, n’est, lui, pas d’accord. S’il reconnait que l’animosité entre les protagonistes « n’est pas à exclure », il dit qu’il ne faut pas mettre en doute les propos du policier à l’origine de la dénonciation pour cela. Le prévenu ayant donné l’arme qui a servi à blesser le passager, la circonstance de la réunion est selon lui « caractérisée ». Il demande huit mois de prison avec sursis à l’encontre du policier. Son avocat, maître Soumetui Andjilani, s’offusque contre cette histoire de « trois policiers voyous » et « du bon samaritain ». Il reprend les déclarations des uns et des autres pour essayer de démontrer que son client n’a jamais porté de coups. « [Le policier à l’origine de l’enquête] se perd dans ses accusations mensongères », plaide-t-il, arguant que c’est davantage « l’inimité » entre les membres de cette affaire qui est à l’origine de la dénonciation qui survient presque deux ans après les faits. Avant que le tribunal se retire, son client dit « avoir foi en la justice », exprimant des regrets sur le fait que son refus de la CRPC (qui établit de fait le culpabilité) soit « une circonstance aggravante » en faisant allusion à la peine demandée par le Parquet.

Les juges lui ont donné raison en décidant d’une relaxe au regard du temps écoulé entre les faits d’octobre 2020 et la dénonciation intervenue en août 2022.

Reconnu victime dans une autre affaire

Le policier relaxé était au cœur d’un autre procès, le matin-même. Cette fois-ci, il était entendu en qualité de victime, puisqu’il s’agissait d’une interpellation au cours de laquelle il a été blessé (sept jours d’ITT), le 2 avril 2019. Cet après-midi-là, il était également le passager avant de l’équipage de la Bac, lorsqu’une agression a lieu à la Snie, à Kawéni. Sur place, les trois policiers ont repéré deux jeunes, dont l’un très défavorablement connu de leurs services, de l’autre côté de la route nationale. Les deux passagers du Duster sont donc descendus et ont coursé les deux individus dans la zone qui sépare les collèges K1 et K2. L’un des deux est tombé sur le suspect et sa bande à côté du stade, l’autre l’y a rejoint. Alors que la victime a tenté de ceinturer le suspect, deux jeunes (les deux prévenus de 19 et 25 ans) ont voulu intervenir. Le policier est tombé à terre avec le suspect initial. Il a alors vu celui de 25 ans ramasser une planche avec des clous. « J’ai tiré alors qu’il la tenait en l’air », raconte le policier, qui a fait valoir la légitime défense. Le seul prévenu présent (celui qui a pris une balle dans le genou était absent) explique qu’il a voulu empêcher le policier « d’étrangler » son ami, mais qu’il ne l’a pas touché. Pour le substitut du procureur, il n’y a pas de difficultés, il y a bien eu « une agression physique de la part de deux personnes au même moment », il demande toutefois une peine de six mois de prison avec sursis. Car, si d’autres condamnations sont intervenues entretemps, les deux prévenus ne l’avaient jamais été à l’époque des faits. Le tribunal a suivi les réquisitions du Parquet, également en condamnant les deux à payer solidairement des dommages et intérêts, ainsi que des frais de justice, au policier.

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