Après une première condamnation en correctionnelle, le coupeur de route et ses douze complices présumés sont entendus par la cour d’assises pour mineurs depuis lundi. Ce mercredi, les magistrats revenaient sur l’épisode ayant conduit au vol de matériel à la société ETPC, et à l’enlèvement et la séquestration de ses deux gardiens. Récit.
Test de micro, un deux, un deux. L’interprète qui tapote sur l’appareil se hasarde à chantonner quelques notes, mezzo forte. Cette soudaine pitrerie ne manque pas de faire pouffer la dizaine d’accusés répartis aux quatre coins de la salle… faisant voler en éclat le silence de cathédrale qui régnait une seconde plus tôt. À part pour eux, on ne peut pas dire que cela rigole vraiment, au tribunal de Mamoudzou, ce mercredi. Campés partout où l’on peut poser son regard, les gros bras du GIGN, de la gendarmerie et de la police veillent au grain sur la bande de ricaneurs.
C’est que l’affaire qui les amène ici n’est pas des moindres. Depuis lundi s’est ouvert le procès aux assises d’Abdoulanziz Ahamad Said Ali et de ses complices présumés. Mieux connu sous le nom de “Magnele”, l’accusé et ses douze lascars sont soupçonnés d’avoir commis une série d’exactions qui avait plongé Mayotte dans l’angoisse en 2017. Entre Bandraboua et Bandrele, les fameux “coupeurs de route”, selon l’expression consacrée depuis, bloquent les automobilistes, rackettent les chauffeurs et repartent à bord des véhicules… avec la ferme intention de répéter le même numéro quelques kilomètres plus loin.
Déjà deux ans de prison ferme
Déjà condamné en décembre dernier par le tribunal correctionnel à deux ans de prison ferme pour de violents cambriolages, le “bandit” risque cette fois-ci au moins trente ans de réclusion. Cette première procédure criminelle qui a débuté lundi porte sur des faits commis entre le 13 et le 19 janvier 2017. Sont notamment reprochés des faits de vols avec menace ou usage d’une arme, en bande organisée, et de séquestration en vue de commettre un crime. Ce long procès, qui doit durer jusqu’à mardi prochain, devait initialement se tenir à huis clos, étant donné l’âge de deux des accusés, mineurs au moment des faits. Mais la cour en a décidé autrement. En effet, la loi autorise l’audience à être publique, si l’accusé est devenu majeur au moment du procès.
Nuit d’angoisse chez ETPC
Ce mercredi, les juges se penchaient plus précisément sur le cas de ETPC. Dans la nuit du 15 janvier, la société de construction est la cible d’un cambriolage, et les deux gardiens sont enlevés et séquestrés quelques heures avec les assaillants. “Je rappelle que ces faits ont donné lieu à pas moins de sept qualifications différentes”, souligne le président de la cour en introduction.
Dans le lot, une partie des chefs d’infraction concerne les agents de sécurité, que les agresseurs ont tenté de dépouiller, sous la menace d’une arme, et en bande organisée, certains de ces faits étant passibles de trente ans de réclusion. Pire, en amenant l’un d’eux au gabier pour tenter de lui soutirer du liquide, avec ces mêmes circonstances aggravantes, les accusés s’exposent aujourd’hui à la peine maximale, la perpétuité. Le reste des faits est au préjudice de la société ETPC, pour le vol du téléphone portable d’un salarié, un délit connexe de dégradation de biens et la soustraction frauduleuse de matériel. En l’espèce, une meuleuse, une perceuse, une cisaille, un chalumeau, un casque, des chaussures de sécurité et des vêtements… La belle affaire !
“Présenter des excuses”
Ces faits, le fameux Magnele ne les a d’ailleurs pas contredits, pour la plupart, lors de ses différents passages devant les enquêteurs ou le juge d’instruction. Mais à la barre, c’est un autre visage que présente le bandit présumé à la cour. “D’abord, je voudrais présenter mes excuses à tout le monde”, lance-t-il, bien frêle en comparaison du gendarme cagoulé qui ne le lâche pas d’une semelle. Magnele n’a pas vraiment la stature d’un molosse. Et d’ailleurs, c’est un peu la carte qu’il joue cette fois-ci à la barre.
“L’ange gardien”
“Quand on est allé à la carrière, c’était pas notre intention”, assure-t-il. Alors qu’il traîne à Tsoundzou cette nuit-là, une connaissance l’alpague pour “l’emmener à la campagne”. Le but : “aller chercher des bananes à donner au “boss””, une vendeuse de bord de route. D’où le couteau, qu’il confirme avoir avec lui à ce moment-là. Mais la voiture volée dans laquelle il embarque file sur le terrain de ETPC. La petite équipe tombe alors sur un premier gardien à qui elle demande “des moyens”. Face à son refus, Magnele et les autres l’emmènent un peu plus loin “certes bâillonné, mais pas attaché”, tente de nuancer l’accusé. “Après je l’ai détaché. La personne gentille avec lui c’était moi”, poursuit-il. Une version corroborée par l’un de ses avocats, citant le gardien entendu la veille : “la victime a indiqué avec beaucoup d’émotion qu’il y en avait un de gentil, qu’il était son ange gardien.” Quant au deuxième gardien, amené au gabier sous le menace, ce serait grâce à lui que la bande aurait finalement renoncé. “Il n’y avait pas d’argent qui sortait alors j’ai dit : ‘‘viens, on s’en va’’, et on l’a laissé là”, raconte l’accusé.
Quoi, le sanguinaire “Magnele”, capable de menacer la gorge d’un bébé avec une machette, tel que cela a pu être soupçonné lors de son procès en décembre dernier, ne serait en réalité qu’un “gentil bandit” ? Si le loup tente aujourd’hui de montrer patte blanche, l’avocat général ne semble toutefois pas dupe. “Est-ce que parmi ceux qui vous accompagnaient, certains étaient cagoulés ?”, demande-t-il. Affirmatif. “Est-ce qu’il arrive souvent de prendre des cagoules pour aller chercher des bananes ?” Silence. Le coupeur de bananes n’est pas au bout de ses peines…