Ce mardi 7 juin, un quart des salariés de la protection judiciaire de la jeunesse s’est mis en grève pour dénoncer la dégradation de ses conditions de travail, les difficultés à recruter, les spécificités territoriales, ainsi que les dysfonctionnements dans ce milieu indispensable pour lutter contre la délinquance. Explication avec Alexandre Genolhac, éducateur et délégué syndical de la CGT PJJ Mayotte.
Flash Infos : Entre 20 et 25% de vos collègues ont répondu au préavis de grève déposé le mardi 31 mai pour alerter sur la dégradation accrue de vos conditions de travail, mais aussi pour rappeler la non-tenue de promesses financières.
Alexandre Genolhac : Nous avons eu une audience bilatérale avec la direction interrégionale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), vendredi dernier, au cours de laquelle nous l’avons interpellée sur un certain nombre de promesses faites et non tenues jusqu’à nouvel ordre, notamment l’alignement des 40% de majoration pour les contractuels, effective dans les autres administrations… Non seulement ils n’ont pas le statut de fonctionnaire, mais en plus, ils ne bénéficient pas du même salaire ! Toutefois, selon nos informations, ils devraient en voir la couleur au mois de juillet, avec une rétroactivité en janvier.
Il est également question de la nouvelle bonification indiciaire pour les titulaires, promises en raison des conditions de travail harassantes sur un territoire qui demande énormément d’engagement, de courage, de professionnalisme. En théorie, une nouvelle fois, elle devrait être versée d’ici août ou septembre. Nous sommes relativement satisfaits de ce côté-là. Par contre, nous attendons des réponses claires sur les risques psycho-sociaux et les problèmes de management. Nous n’avons plus aucun cadre originaire de la PJJ, que ce soit chez les directeurs de service ou les responsables d’unité.
FI : Concrètement, quel malaise dénoncez-vous ?
A.G. : Cette situation extrêmement délétère nuit au service public. Nous revendiquons une justice qui soit à la hauteur des attentes de la population. Mayotte est un département français comme les autres, elle a le droit de jouir d’une justice de qualité ! Pour cela, il n’y a pas 36 solutions… Il faut que notre direction territoriale agisse et arrête de faire l’autruche. Fermer les yeux ne résout pas les problèmes. Nous ne faisons pas la chasse aux sorcières. Nous ne nous battons pas contre quelqu’un en particulier. Nous pouvons comprendre qu’un directeur de service*, avec très peu d’expérience, a du mal à s’en sortir. Cela arrive les erreurs de casting ! Mais justement, nous avons besoin de personnes efficientes sur ce type de poste.
Cela ne nous amuse pas de faire grève car nous sommes tous attendus par nos jeunes et leurs familles. Malheureusement, nous ne pouvons pas continuer plus longtemps avec ces pratiques professionnelles nuisibles, aussi bien pour nous que pour les justiciables. Nous faisons un job délicat avec des publics sensibles qui peuvent se retrouver en prison ou être placés. Nous devons pouvoir bosser en toute sérénité pour être les plus objectifs possibles. Quand vous êtes victime de maltraitance ou de pression, c’est difficilement réalisable.
FI : D’un point de vue plus global, comment analysez-vous la situation de la PJJ à Mayotte ?
A.G. : En termes de moyens humains, il y a un effort très régulier. Chaque année, nous avons de plus en plus d’agents à Mayotte, mais la démographie galopante fait que nous sommes toujours à la traîne… En métropole, vous êtes en charge de 25 jeunes. Ici, certains collègues doivent par moment les chercher pendant trois semaines dans les bidonvilles. Cette norme est-elle réellement applicable sur le territoire ? Nous ne le pensons pas : il faut clairement une adaptation.
Nous espérons que ces avancées financières vont inciter des titulaires, aussi bien chez les agents que chez les cadres, à nous rejoindre. Mayotte est un terrain de jeu très stimulant d’un point de vue professionnel. Encore faut-il que les personnels recrutés connaissent bien les procédures. La justice ne peut pas se permettre de faire n’importe quoi !
FI : Côté recrutement justement, où situez-vous le curseur ?
A.G. : De manière générale, nous ne sommes pas assez… Pourquoi ? Pour la simple et bonne raison qu’il y a beaucoup de jeunes à Mayotte et que proportionnellement, cela génère de la délinquance. Et pour ne rien arranger, il a fallu faire ingurgiter la modification significative du code de la justice pénale des mineurs d’octobre 2021 aux contractuels alors qu’ils avaient déjà du mal à intégrer l’ancien modèle !
FI : Quels dysfonctionnements connus en métropole vous handicapent dans votre quotidien ?
A.G. : Nous nous retrouvons effectivement confrontés à des problèmes nationaux. Par exemple, on nous a changé le système informatique qui ne fonctionne tout simplement pas ! Cela nous empêche de savoir en temps réel combien de jeunes nous accompagnons, et surtout, cela crée des dysfonctionnements graves. Conséquence, cela nous arrive de ne pas pouvoir suivre l’un d’eux pendant six mois, voire un an, alors qu’il s’agit d’une décision judiciaire, prise par un juge d’instruction. N’importe qui a le droit d’avoir un éducateur derrière lui pour lui permettre de progresser et par la même occasion de se réinsérer. Un bon suivi éducatif permet de baisser drastiquement le taux de récidive. Mieux nous pourrons travailler, moins il y aura de délinquance !
* Dans son tract, la section CGT dénonce « des pratiques absurdes et indignes de la fonction publique d’État », notamment au sein de « la direction des services territoriaux éducatifs de milieu ouvert ».
Contacté, le directeur territorial, Hugues Makengo, nous précise ne pas pouvoir « commenter ou intervenir sur la grève de ce jour ». Toutefois, il rappelle que « la PJJ Mayotte a bien avancé » et que la hiérarchie « reste à l’écoute de l’ensemble des professionnels et organisations professionnelles ».