Lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte : un naufrage coûte cinq ans à un passeur

Alors que 26 personnes étaient interceptées en Petite-Terre ce mercredi, au même moment ou presque, un passeur comparaissait au tribunal judiciaire pour homicide involontaire. En 2019, le kwassa qu’il pilotait, intercepté par la PAF, avait chaviré, causant la mort de deux personnes.

Sur la photo, on pourrait croire qu’elle dort. Allongée, les yeux clos, presque paisible. “Cette petite fille, elle n’avait pas de gilet de sauvetage. Et elle est morte”, débite la juge avant de faire passer la pièce qu’elle vient de montrer à la salle aux deux assesseurs. Une deuxième feuille de papier circule entre les mains qui sortent de leurs robes noires. Il s’agit d’un homme plus âgé, les yeux fermés lui aussi. “Au moins une ou deux personnes de plus sont sans doute décédées dans cette opération”, lâche la présidente.

Appelé à comparaître devant le tribunal correctionnel de Mamoudzou ce mercredi, un passeur a dû revivre pendant de longues minutes un drame de l’immigration clandestine qui a coûté la vie d’au moins deux personnes au large de Mayotte, un soir de mai 2019. Et dans la salle climatisée de Kawéni, l’audience a eu aussi, le temps d’un instant, les os glacés par le récit de cette soirée d’angoisse. Un événement pourtant courant dans le bras de mer qui sépare l’île au lagon de ses voisines comoriennes… Depuis 1995, plus de 10.000 personnes y ont perdu la vie. Un vrai cimetière.

1.200 kilos projetés par-dessus bord

Ce soir-là, vers 19h, la police aux frontières (PAF) repère un kwassa-kwassa à l’est de Petite-Terre. L’intercepteur fonce sur ces eaux noires. Rapidement, il tombe nez à nez avec l’embarcation de fortune. À son bord, une quinzaine d’étrangers en situation irrégulière se serre entre les bidons d’essence et autres paquets variés… Le tout pèse dans les 1.200 kilos, soit deux fois la capacité de la petite barque. Qui chavirera en quelques minutes à peine, projetant par-dessus bord tout son chargement.

À leur arrivée sur les lieux, les fonctionnaires de la PAF ont toutefois eu le temps d’identifier un pilote. Il s’agit vraisemblablement du prévenu. Mais celui qui se tient aujourd’hui face aux juges affirme le contraire. “Moi je n’ai pas piloté, j’étais un passager comme les autres, et j’avais payé 100 euros pour venir à Mayotte”, déroule ce jeune homme de 19 ans. Dans la confusion du moment, il s’est toutefois emparé de la barre, explique-t-il, car le pilote a pris la poudre d’escampette. D’après les témoignages de plusieurs passagers, deux personnes se seraient en réalité relayées près du moteur, à l’arrière du rafiot. L’un d’entre eux, présent ce mercredi et constitué partie civile, reconnaît bien l’homme qui se tient face à lui.

Un drame de plus de la LIC

Reste que les magistrats ont la lourde tâche d’évaluer la responsabilité du prévenu dans cet accident fatal. Outre l’aide à l’entrée d’étrangers en situation irrégulière, le chef d’homicide involontaire et le refus d’obtempérer sont en effet retenus contre lui. Car à la vue des policiers, le Comorien, qui avait déjà fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), aurait manifestement tenté le tout pour le tout, à coup de zigzags apeurés, pour rejoindre la terre ferme. Si près du but !

Mais une question reste en suspens. Si c’était l’approche de la vedette française qui avait provoqué le drame ? La peinture bleue du Makini a bien laissé une trace sur la coque de la barque. Et cela rappelle d’ailleurs un précédent : en 2007, une collision entre un intercepteur et un kwassa avait provoqué la mort de deux personnes. À l’époque, même Brice Hortefeux, alors ministre de l’immigration, s’en était ému et avait diligenté une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour faire “toute la lumière sur les circonstances du drame”. On notera que dix ans plus tard, c’est plutôt le taux d’interception qui intéresse Paris !

Cinq ans de prison

Autre détail : au moment des faits, le permis de navigation du Makini est expiré depuis février 2018 et les deux moteurs de 300 chevaux ne correspondent pas à ceux de 250 chevaux inscrits sur le document périmé. En quelques secondes, la vedette peut filer à toute berzingue ! “L’arrivée du Makini a pu provoquer une vague supplémentaire” alors que le bateau clandestin contient déjà de l’eau, explique la présidente en lisant le dossier. Un officier du poste de commandement en mer, entendu pendant l’enquête, signale aussi “qu’il y a pu y avoir une collision” sans que l’on puisse déterminer avec exactitude le responsable. “Depuis que je suis à Mayotte, je n’ai jamais connu de kwassas qui ont coulé sans collision”, ajoute ce témoin.

Suffisant pour relaxer le bougre ? Pas vraiment. “Ces faits sont dramatiques et sont un choc pour tout le monde, les victimes, les autres passagers, mais aussi les officiers de la PAF qui ont assisté au naufrage en sachant qu’ils ne pourraient pas sauver tout le monde”, lance la substitute du procureur au moment des réquisitions. “C’est aussi un choc pour le prévenu car il s’agit évidemment d’un accident.” Malgré cela, le parquet, au vu des pièces du dossier, juge les faits “caractérisés”. Les policiers ont fait leur travail en tentant d’intercepter le kwassa, et c’est bien le prévenu qui s’est rendu responsable de l’accident en refusant d’obtempérer, retrace en substance la parquetière avant de demander quatre ans de prison, et la révocation du sursis du prévenu. Les juges ne seront guère plus cléments : le jeune homme écope de cinq ans et d’une interdiction définitive du territoire français. Et qu’on ne l’y reprenne plus !

 

 

 

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