Le confinement a largement ralenti la vie au tribunal, où seules les affaires urgentes continuent d’être jugées depuis le 16 mars. Mais chez les magistrats comme chez les avocats, l’on s’inquiète déjà pour l’après-Coronavirus.
Deux mois de grève des avocats, suivis par bientôt deux mois de confinement… Décidément, la justice enchaîne les tuiles depuis le début de l’année. Et vu le nombre d’affaires qui ont été renvoyées à cause de ces fâcheux aléas, ni les magistrats, ni les greffiers, ni les avocats, ni même les agents de sécurité ne vont pouvoir souffler dans les mois à venir. En cause : les nombreux retards qui ne vont pas manquer d’embouteiller les salles d’audiences après le déconfinement. “Tout cela a mis le tribunal dans un état… Nous allons avoir la gueule de bois, c’est sûr”, soupire Laurent Ben Kemoun le président du tribunal judiciaire de Mamoudzou.
Pourtant, tout n’est pas à l’arrêt derrière les grilles fermées du bâtiment de Kawéni. Depuis le 16 mars, le procureur de la République et les magistrats continuent à s’y rendre, pour traiter les affaires dites “urgentes”. Car le confinement n’a pas mis fin aux actes de violence ou de délinquance sur l’île, tant s’en faut. Caillassages, vols à l’arraché, rixes entre bandes… Trois après-midi par semaine, les lundi, mercredi, et vendredi, les juges s’attachent à traiter, en matière pénale, ces délits du quotidien. “Il y en a suffisamment pour occuper quelques heures dans la journée”, souligne le président. Même chose du côté des juges d’instruction qui ne traitent plus que les urgences, mandats d’arrêt ou mises en examen en cas de crimes, mais remettent à plus tard les convocations pour les dossiers déjà ouverts.
À ces quelques cas s’ajoutent les urgences non pénales, pour des demandes d’ordonnance de protection par exemple, ou des affaires commerciales. Si, en théorie, les gens peuvent venir déposer leurs demandes au tribunal – système d qui consiste ces temps-ci à glisser leur courrier aux agents de sécurité à travers les grilles, pour les transmettre aux magistrats, nous décrit Laurent Ben Kemoun -, en pratique, peu de gens se sont présentés aux portes de la juridiction. “J’ai dû faire deux trois ordonnances de protection depuis le début du confinement, aucun référé, rien en matière commerciale non plus”, énonce-t-il.
Le poids du coronavirus dans la décision
Toutes les autres affaires font l’objet de renvois. Mais pour certaines dont les audiences doivent avoir lieu pendant le confinement, il faut parfois statuer sur le maintien ou non du prévenu en détention. Et pour rendre leur jugement, les magistrats ont un nouveau paramètre à prendre en compte : le Coronavirus. Si personne pour l’heure, n’a contracté le virus à la prison de Majicavo, la précaution est de mise. Pour les délits les moins graves, et en l’absence de récidive par exemple, les prévenus peuvent donc être remis en liberté, sous contrôle judiciaire ou non. Et ce, alors même qu’ils n’ont guère d’avocat pour appuyer leur défense.
En effet, les robes noires ont plutôt déserté les allées du tribunal, à en croire Laurent Ben Kemoun. “Il y a un risque de contact et de propagation du virus, mais l’ordre nous a plutôt dit que c’était à nous de décider pour les permanences”, justifie Maître Élodie Gibello-Autran, qui n’a pour sa part pas d’astreinte avant fin mai. Malgré tout, leur absence peut parfois poser problème. Pour les personnes majeures, les magistrats peuvent se passer d’elles pour décider du renvoi de l’affaire et du choix du maintien en rétention. Mais pour les personnes mineures, aucune dérogation n’est possible. La
présence de l’avocat est obligatoire. Et face à leur permanence résolument vide, les mineurs reçus depuis le 16 mars ont été remis en liberté et leur audience renvoyée.
Les avocats dans la tourmente
Côté avocats, on aborde aussi les mois à venir avec une certaine inquiétude. Une enquête publiée récemment par le Conseil national des barreaux montrait en effet que plus de 27.000 avocats pourraient quitter la profession dans les mois à venir en raison de la crise sanitaire liée au Coronavirus, soit près de 40 % des conseils. Car les difficultés économiques risquent de frapper les cabinets, déjà mis à rude épreuve avec la grève des retraites. “En temps normal, je tourne à environ dix ou quinze nouveaux dossiers par mois. Le mois dernier, j’en ai eu trois et ce mois-ci seulement un” , souffle Elodie Gibello-Autran. Une situation difficile, dont les impacts économiques risquent de se faire sentir à plus long terme, notamment car l’avocate facture au mois. L’aide de l’État de 1.500 euros ne pourrait donc pas suffire à couvrir ses frais. Sans compter les charges qui font pour l’instant l’objet d’un simple report et non d’une annulation.
“C’est clair que pour un jeune qui s’installe, la situation n’est pas rose”, acquiesce Maître Luc Bazzanella. “Même si à Mayotte, je pense que nous sommes un peu épargnés, et que les jeunes sont sécurisés, en étant collaborateurs”, poursuit-il. L’avocat, qui est aussi délégué à la réforme des retraites à l’Ordre, a aussi d’autres préoccupations pour la suite : les retraites et la pile de dossiers qu’il va falloir traiter après le déconfinement. “On profite de ces quelques jours de répit”. Avant la tempête qui s’annonce, aurait-il pu ajouter.
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