Bacar Mohamed, maire de la commune du centre de Mayotte et candidat Les Républicains aux sénatoriales, était jugé ce mardi 28 mars, par le tribunal correctionnel de Mamoudzou. Des commandes passées sans appels d’offres, ainsi que de la vente d’un terrain communal à des proches, dont sa fille, pour la très modique somme de trois euros par mètre carré sont les deux faits retenus à son encontre. Le délibéré sera connu le mardi 9 mai.
Qu’est-ce qui est reproché au maire ?
Il y a deux types de faits, les deux concernent la fonction de maire de Tsingoni exercée par Bacar Mohamed. La première est une affaire de terrain communal dont une délibération du conseil municipal du 16 mai 2020 a confirmé la cession à quatre proches « à un prix dérisoire », a estimé Geneviève Toudic-Créon, la présidente du tribunal correctionnel, ce mardi. Le deuxième fait se concentre davantage sur les procédures de marchés publics que la mairie de Tsingoni n’a pas toujours respectées. Liés à cela, deux entrepreneurs mahorais étaient également jugés pour recel de bien provenant d’un manquement aux règles imposées par les marchés.
Que risque Bacar Mohamed ?
Pour à la fois la prise illégale d’intérêts et les atteintes à la liberté d’accès aux marchés publics, celui qui est maire de Tsingoni depuis 2014 et actuel candidat aux élections sénatoriales risque cinq ans de prison et une peine d’inéligibilité de dix ans. La vice-procureure, Delphine Moncuit, a voulu frapper fort d’ailleurs en demandant le maximum pour la deuxième, avec en outre une exécution provisoire. Celle-ci s’appliquerait ainsi même s’il ferait appel (et donc l’éliminerait de la course au Sénat). La magistrate a requis, en outre, vingt-quatre mois de prison avec un sursis simple et 7.000 euros d’amende. L’avocat de Bacar Mohamed, maître Pierre-François Ozanne, a qualifié le réquisitoire de « très sévère ». « Il n’y a rien qui caractérise le favoritisme », a défendu l’avocat du barreau de Paris. « Et pour la délibération, on peut la trouver regrettable ou mal préparée. »
Pour les deux coaccusés, les peines demandées sont de huit mois de prison (dont quatre avec sursis) avec 3.000 euros d’amende pour l’un et dix mois (dont quatre de sursis) et 5.000 euros à régler pour l’autre.
Comment les irrégularités ont été trouvées ?
C’est un rapport de la chambre régionale des comptes, en 2019, qui a révélé des manquements dans l’attribution des marchés. « Plusieurs commandes publiques comportaient des infractions à la législation », a rappelé la présidente du tribunal. Normalement, tous les travaux commandés par la mairie doivent passer par une mise en concurrence quand le montant s’élève plus de 25.000 euros. La procédure est encore plus lourde, quand cela dépasse les 90.000 euros, puisqu’il faut passer un bulletin officiel des marchés publics et passer par des annonces légales. Une disposition que la mairie de Tsingoni a bien du mal à prouver pour trois marchés passés en 2017 et 2018.
Concernant le terrain, c’est une élue d’opposition qui a alerté le procureur de la République. Elle a noté que la commission foncière n’avait pas été avertie et elle-même était au courant des liens qui unissent le maire aux futurs propriétaires. « C’est une volonté politique de lui nuire en sa qualité d’élu », a avancé l’avocat du maire.
Des proches ont-ils réellement bénéficier d’avantages ?
Ils ont failli en tout cas. La délibération du conseil municipal de mai 2020 a été rédigée par le directeur général des services, sept jours avant la réunion. Son maire, en métropole à cette période, l’a informé qu’un terrain nu de 1.160 m2 situé entre la bibliothèque de Mroalé et la route départementale allait être vendu à quatre acheteurs. Le prix fixé à trois euros par mètre carré donne un total de 3.480 euros. Le maire a tenté de se justifier en disant que c’était un coup de pouce pour des habitantes souhaitant « devenir propriétaires sur la commune » (alors que deux d’entre elles comptaient faire construire pour faire du locatif). Et comme parmi elles, figuraient la propre fille du maire, la fille d’un de ses amis, une sœur d’une conseillère municipale et une autre qui serait « une fille biologique » de l’élu, ce dernier n’a pas pris part aux votes et a laissé l’un de ses adjoints présenter le texte controversé à son insu. Car le maire n’a jamais mentionné ses liens de parenté. « C’est ma fille tout de même. Je ne peux pas le nier », a fait remarquer Bacar Mohamed, à l’audience, rappelant que celle-ci avait fait une demande trois ans plus tôt pour acquérir un terrain. En février 2022, voyant que la délibération faisait toujours polémique, le conseil municipal est revenu sur sa première décision.
Pourquoi un tarif aussi bas ?
Selon les estimations, le préjudice pour la commune avec cette vente aurait été de 66.000 euros (dans la fourchette la plus basse). Selon le maire, il s’agit pourtant de quelque chose de classique sur sa commune. En 2014, avec la départementalisation, la régulation foncière avait permis à des habitants d’acheter les terrains sur lesquels ils sont au tarif de trois euros par hectare. « Mais il s’agissait de régulations et pas d’acquisitions », a rappelé la vice-procureure. Le président du parti Les Républicains n’en a pas démordu : « J’ai fait ce que je croyais juste. Ça s’est toujours fait comme ça sur ma commune ».
Combien de marchés publics sont visés ?
Trois décisions de la mairie figurent dans la prévention. La première concerne la rénovation de l’école de la mosquée du vendredi de Tsingoni en 2016. Deux commandes ont été réglées par la municipalité, par décision du maire, au bénéfice d’un entrepreneur du même village que le maire. En tout, il y en avait pour 124.700 euros. Si le premier magistrat a chargé son ancien adjoint aux affaires scolaires pour ce marché, c’est lui qui a signé les deux bons de commande pour l’un des coprévenus, ce mardi. « Il fallait bien que je régularise la situation. Les artisans n’avaient pas été payés un an après », a-t-il argué. Le 1er juin 2017, c’est l’artisan qui a réalisé les vestiaires du terrain de foot de Mroalé, qui a bénéficié d’un chantier à 39.000 euros. Pour ce coup-ci, l’avocat et le maire de Tsingoni ont présenté des pièces pour justifier d’une mise en concurrence, notamment un mail du directeur des services techniques. Enfin, le 3 mai 2018, ce sont cinq devis (pour un total de 210.000 euros) qui sont approuvés par le maire. Il s’agit à chaque fois du même bénéficiaire, un entrepreneur qui a réalisé des travaux sur trois terrains de football de la commune.
Comment fonctionne le saucissonnage ?
Les trois juges se sont intéressées à cette technique qui permet d’éviter la mise en concurrence. Pour le peintre par exemple, la peinture extérieure était facturée 58.000 euros, 66.700 euros pour celle à l’intérieur, le tout dépassant ainsi le fameux plafond des 90.000 euros (124.700 euros). Deux marchés différents donc, « parce que ce n’est pas la même chose », a défendu le maire. Et les mêmes travaux sur les terrains de football ? « Ce n’est pas aux mêmes endroits », a-t-il ajouté. Pour la vice-procureure, il s’agit bien de saucissonnage. D’ailleurs, la directrice des finances de Tsingoni l’a confirmé aux enquêteurs, en rappelant que le maire « décidait seul » de ces contrats. Elle avait écrit une lettre à son employeur au sujet des équipements sportifs pour dire qu’elle ne voulait pas en porter la responsabilité.
Où sont les devis manquants ?
C’est là tout le problème. Le maire de Tsingoni, qui a affirmé à chaque fois qu’il y avait bien eu un marché, n’en a pas apporté la preuve. En effet, très peu de devis sont arrivés sur la table de la Chambre régionale des comptes, et encore moins celle des enquêteurs. « C’est un problème d’archivage », a-t-il encore expliqué à la barre, rejetant la faute sur ses services de l’époque. « En fait, seul le devis de l’artisan retenu était gardé », a reconnu son avocat, avant d’indiquer que la mairie avait fait de gros efforts en se dotant depuis d’un service de la commande publique. Mais quand le maire a tenté de se défendre en disant que les documents ont été emportés par la Chambre régionale des comptes, la vice-procureure l’a coupé. « On a la liste des documents qui manquent à la Chambre régionale des comptes. Et il y n’a pas ceux qui concernent les affaires jugés aujourd’hui », a-t-elle rapportée.
Bacar Mohamed a alors préféré ne pas répliquer. Il va devoir attendre maintenant le 9 mai pour être fixé sur son sort.