En visite depuis ce dimanche sur le territoire, la présidente du Conseil national des barreaux, Julie Couturier, a écouté les doléances des avocats de Mayotte ce lundi matin à Kawéni dans le cabinet de Me Yanis Souhaïli, le bâtonnier.
« Comme cette instance a un accès direct à la chancellerie, j’ai pris l’initiative de l’interpeler de manière urgente sur la situation de notre profession depuis Chido », a expliqué Me Yanis Souhaïli, le bâtonnier de Mayotte. Le Conseil national des barreaux serait de toute façon venu puisque, selon sa présidente, « il essaie au maximum d’aller à la rencontre de ses confrères ». Instance souvent méconnue, même au sein de la profession, le Conseil national des barreaux effectue pourtant le lien entre les avocats et le ministre de la Justice, permettant de l’alerter sur les difficultés dont souffre la profession.
Déjà légions à Mayotte, les difficultés d’exercice du métier d’avocat se sont encore accentuées depuis Chido. Toutes les instances judiciaires ont en effet été « remises en marche » dans l’urgence, souvent en « mode dégradé ». « Le bureau d’aide juridictionnel a été délocalisé sans que les avocats aient été tenus au courant », s’est par exemple exclamé Me Mélanie Trouvé, au cours de la réunion avec la présidente du Conseil et les cinq élus qui l’accompagnaient. La principale doléance des avocats était toutefois l’absence d’aide étatique versée aux avocats après Chido. Une situation d’autant plus problématique que beaucoup de leurs clients ont aussi à présent des difficultés à les payer.
Créer des spécificités, en lever d’autres
Si un grand nombre de sujets ont été soulevés au cours de cet échange, presque tous convergeaient vers les difficultés à faire respecter les droits des individus à Mayotte. « La loi nationale stipule qu’un avocat ne peut pas assister en garde-à-vue plus de quatre clients par 24 heures. Or du fait du manque d’avocats sur le territoire, le résultat est que beaucoup de prévenus ne sont pas assistés en garde-à-vue, ce qui est pourtant leur droit », a déploré Me Souhaïli qui souhaiterait qu’un amendement soit déposé. A contrario, ses confrères et lui estiment que certaines spécificités appliquées au territoire devraient être levées. « Ici, les jurés de Cour d’Assise ne sont pas tirés au sort sur liste électorale, mais désignés sur la base du volontariat, ce qui fausse les choses puisque ce sont toujours les mêmes qui reviennent », a encore dénoncé le bâtonnier.
La question du respect des droits des détenus a aussi été soulevée. « Même si la population a du mal à l’entendre, les détenus ont des droits et ici ils ne sont pas respectés, notamment du fait de la surpopulation carcérale », a ajouté Me Souhaïli. Ses confrères et lui ont notamment alerté Julie Couturier sur les difficultés que rencontrent les avocats à échanger avec leurs clients détenus à la prison de Majicavo. Une occasion de rebondir sur la question des projets bloqués comme celui de la deuxième prison, toujours au point mort, mais aussi sur celui de la Cité Judiciaire dont le foncier a pourtant été trouvé depuis plusieurs années. « Le conseil départemental et la DEALM (NDLR : instances se partageant le titre de propriété du terrain) demandent désormais des compensations financières alors qu’un accord avait été pourtant trouvé avec l’ancien ministre de la justice Eric Dupond-Moretti », indique Me Souhaïli.
Julie Couturier fera remonter ces différentes doléances auprès du ministre de la justice Gérald Darmanin en espérant que cela l’incitera à se pencher sur le problème de la justice à Mayotte. Dans l’après-midi, elle s’est rendue à la prison de Majicavo et, au cours de son séjour, elle a également échangé avec la présidente du tribunal, le conseil départemental et l’association des maires. Elle quitte Mayotte aujourd’hui pour se rendre à La Réunion.
Nora Godeau est journaliste indépendante à Mayotte. Elle couvre les enjeux sociaux, culturels et environnementaux du territoire, avec une attention particulière portée aux voix locales et aux initiatives de terrain.