L’ancien président du conseil général de Mayotte (de 2011 à 2015) comparaissait, ce mardi, au tribunal correctionnel de Mamoudzou pour détournement de fonds public. La prévention visait des infractions commises entre 2012 et 2013, dont l’organisation d’un concert du groupe de rap Sexion d’Assaut à Madagascar sur des fonds publics de la collectivité mahoraise. Dans ses réquisitions, le Parquet a demandé qu’une peine d’interdiction d’exercer une fonction publique pendant cinq ans soit prononcée à l’encontre de l’élu. Le délibéré sera rendu le 30 avril.
Mis en examen depuis le 11 juin 2013 dans l’affaire plus tard nommée « du concert de Sexion d’Assaut », Daniel Zaïdani apparaissait confiant aux abords du tribunal correctionnel de Mamoudzou, ce mardi matin. Après dix années passées sous contrôle judiciaire, il ne s’attendait peut-être pas à des auditions aussi musclées, aux côtés de son avocat Benoît Jorion. L’ancien président du conseil général (devenu départemental depuis), âgé de 37 ans à l’époque des faits qui lui sont reprochés, devait répondre de quatre infractions retenues dans le réquisitoire définitif du parquet. Des faits de détournements de fonds publics et de contournements des marchés publics entre 2012 et 2013, dans l’administration du tout jeune département français (depuis le 31 mars 2011). Le plus retentissant est et restera celui de l’organisation opaque, sur des deniers publics, de trois concerts du groupe Sexion d’Assaut, en tournée à Mayotte, aux Comores, et à Madagascar, dans le cadre du festival Intermizik en septembre 2012.
Mais la lettre de dénonciation anonyme qui a levé le voile sur le financement de la venue des superstars du rap et entraîné l’ouverture d’une information judiciaire contre X ne s’arrêtait pas là. L’auteur, dans un écrit circonstancié adressé au procureur, déplorait aussi les contours étonnants du traditionnel foutari de fin de ramadan organisé par le conseil général en 2012 et l’acquisition non encadrée de deux véhicules flambants neufs pour le compte des élus de la collectivité. Le début d’un engrenage judiciaire laborieux pour celui qui était alors le plus jeune président de conseil général de France.
Un foutari pas comme les autres
C’est une tradition. À la fin du ramadan, le conseil départemental (auparavant conseil général) organise chaque année un foutari au cours duquel les autorités de Mayotte et représentants d’instances sont conviées. En 2012, Daniel Zaïdani a préféré resserrer le casting et faire la cérémonie à sa manière, sans changer le mode de financement. 5.000 euros ont été budgétés au sein du conseil pour une fête qui s’est tenue le 12 août 2012. Seul hic : l’élu a organisé l’événement dans sa résidence, à Pamandzi en Petite-Terre. À ses côtés, près de 200 convives, pour la plupart des notables de son entourage, ont participé au foutari. A l’audience, la juge Catherine Vannier s’étonne de l’absence d’autorités administratives « alors que les autres élus ont invité d’autres représentants religieux par le passé ». Et d’ajouter : « le deuxième point qui nous chiffonne, c’est que votre prédécesseur [Saïd Omar Oili, désormais sénateur] a organisé des foutaris qui, lorsqu’ils étaient organisés chez lui, étaient financés sur fonds propres ».
Pour la localisation de la cérémonie, Daniel Zaïdani souligne que « la seule habitation [du conseil général] disponible était celle à Kani-Kéli ». « C’était beaucoup plus excentré, la grande majorité des personnes se trouvent à Mamoudzou et en Petite-Terre. » Entendu, mais le bât blesse au niveau des profils des participants. En l’absence d’autorités, n’était-ce pas une cérémonie privée ? « Pourquoi le préfet n’était pas là ? Si vous invitez en tant que président du conseil général, le préfet s’impose ! », s’étrangle Catherine Vannier. Et d’ajouter : « vous avez évité toutes les personnalités officielles ! ». Le Pamandzien n’en démord pas : « A aucun moment, je n’ai organisé un foutari privé. C’était bien en ma qualité de président. Il faut savoir que de manière générale la rupture du jeûne se fait en famille. Le sujet était connu et avait été posé sur la table ». Pour le ministère public, représenté par la substitute du procureur, Cassandre Morvan, la fête financée sur des fonds publics n’était rien d’autre qu’un achat de voix électorales. « Ces personnes ont bien été régalées aux frais du conseil départemental », rajoute la magistrate. Ce qui est constitutif de l’infraction de « détournement d’un bien public » dans le code pénal.
70.700 euros pour deux SUV
Avant l’arrivée de Daniel Zaïdani au pouvoir, Saïd Omar Oili était sujet à des « pressions » des élus de sa majorité pour la mise à disposition d’un parc de véhicules. Il avait pris une délibération à cet effet, octroyant également aux conseillers la possibilité de disposer d’un des chauffeurs affectés au Département. Pas satisfait du standing des voitures, son successeur avait acté l’achat de deux nouveaux véhicules. Sans passation de marché public, pourtant obligatoire lorsque le montant de l’achat dépasse les 15.000 euros, deux SUV [pour Sport utility vehicule, en anglais] ont été acquis au sein de la concession Peugeot mahoraise. Le commercial s’était déplacé en personne au conseil général pour faire signer les baux. Les deux bolides ne sont pas passés inaperçus sur le parking des agents. « Des élus se sont étonnés de ces acquisitions compte-tenu des difficultés du Département », souligne Catherine Vannier.
Alhamid Aboubacar, également convoqué devant le tribunal correctionnel, était à cette époque en détachement au sein de la garde rapprochée de Daniel Zaïdani, officiellement en tant que conseiller politique. Il est soupçonné d’avoir lui-même choisi les deux véhicules, respectivement achetés à hauteur de 39.100 euros pour l’un, 31.600 euros pour l’autre. S’il avait suivi les règles, le président du conseil général de l’époque aurait dû solliciter le service « logistique et moyens » du département pour cette opération. Il ne l’aurait pas fait, préférant faire appel à ses collaborateurs quotidiens. L’enquête de la section de recherche de la gendarmerie a aussi permis d’établir que des élus utilisaient le parc automobile à des fins privés. Daniel Zaïdani aurait même sollicité à plusieurs reprises un des chauffeurs pour aller chercher sa femme et ses enfants.
À la barre, celui qui défend désormais Marine Le Pen (Rassemblement national) estime n’avoir pu que s’ancrer dans des pratiques déjà bien implantées avant qu’il ne soit élu. « Je n’ai pas imposé une gestion, nous étions dans une continuité de pratique. Dès lors que j’ai été sensibilisé à la question, je me suis dit, en janvier 2012, qu’il fallait solliciter un juriste sur cette question. » Au-delà de leur utilisation, c’est surtout l’acquisition des deux véhicules neufs à hauteur de 70.700 euros qui intéressait la juge Catherine Vannier et ses deux assesseures. Le budget, d’abord, n’est « pas adapté au budget du conseil général », assure la présidente de l’audience, rappelant que « 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté ». Et c’est le président lui-même qui a apposé sa signature sur le devis, souligne encore la juge. La procédure, entachée d’irrégularités, caractérise presque « un système », pour la substitute du procureur. Cet achat est un « avantage injustifié », accordé dans un contexte où d’autres services « avaient des besoins criants », note le ministère public.
La « coopération régionale » avec Sexion d’Assaut
Daniel Zaïdany, désormais proche de la cinquantaine d’années, ne tarit pas sa passion pour les « tubes » du groupe Sexion d’assaut, très en vogue dans les années qu’il a passé à la présidence du conseil général. Un groupe qui a « vendu 1,5 million d’album », souligne-t-il. « Il fallait organiser une tournée, on s’est assuré qu’ils puissent venir à Mayotte. » A quel prix ? En septembre 2012, le groupe, après une escale à Diego-Suarez, au nord de Madagascar, devait se produire à Mayotte, puis aux Comores. Deux conventions distinctes ont été paraphées. La première, signée avec le producteur des rappeurs, assurait le cachet des trois représentations à hauteur de 45.000 euros. La seconde confiait au conseil général le soin de financer les billets d’avion. Un beau pactole, et la promesse d’une tournée que les chanteurs n’avaient pas prévue aussi complète dans le canal du Mozambique. « Le producteur du groupe Sexion d’Assaut dit qu’il n’a jamais exigé trois concerts… », relève Catherine Vannier. Alain Kamal Martial Henry, l’écrivain mahorais, était à cette époque directeur du service culturel départemental, comparaît pour avoir pris part aux négociations. Celui qui représente désormais Mayotte au Mozambique pour le compte du conseil départemental attribue l’organisation des concerts à Diego-Suarez à Daniel Zaïdani. Ce dernier s’était d’ailleurs rendu en personne à Madagascar pour accueillir les stars du rap, montant sur scène et annonçant l’arrivée prochaine du groupe à Mayotte. Il a toutefois maintenu que le conseil général n’était pas partenaire de l’évènement, expliquant s’être officiellement rendu sur place dans le cadre de travaux autour de la « coopération régionale ».
Pour la substitute du procureur, ces infractions financières, commises en l’espace d’un an, sont quasi concomitantes aux dernières condamnations de Daniel Zaïdani pour délit de favoritisme (en 2012) et prise illégale d’intérêts (en 2017). En tenant compte de l’ancienneté des faits, elle requiert un an d’emprisonnement avec sursis et demande au tribunal que celui qui est toujours conseiller départemental du canton de Pamandzi soit privé de ses droits civils et civiques pendant cinq ans et interdit d’exercer toute fonction publique pendant la même durée. 40.000 euros d’amende ont aussi été requis dans l’objectif de « réprimer des comportements désastreux pour les administrés ». Si, comme demandé par le parquet, l’exécution provisoire de l’interdiction de fonction publique est prononcée, Daniel Zaïdani perdra son mandat de conseiller départemental.
Les deux autres complices, présentés comme « périphériques » par le parquet, ont été sujet à des réquisitions plus ténues : deux mois d’emprisonnement avec sursis. Une amende de 2.000 euros a été demandée contre Alain Kamal Martial Henry et une autre de 1.000 euros contre Alhamid Aboubacar. Le tribunal rendra sa décision le 30 avril.
Hakim Karki jugé en cour d’appel cette semaine
Le vendredi 16 décembre 2023, la cour d’assises de Paris a reconnu Hakim Karki coupable de viol et condamné à huit ans de prison. Le juge d’instruction ayant fait appel depuis, un nouveau procès s’est donc ouvert devant la cour d’appel de Créteil (Val-de-Marne), ce mardi. Il y comparait pour le viol d’une jeune enseignante commis dans la nuit du 1er au 2 juillet 2014 à Mayotte. Ce soir-là, après une rencontre au Caribou, il devait raccompagner la jeune femme chez elle. Dans son appartement, trois rapports sexuels ont eu lieu. La plaignante, qui n’a jamais changé de version, a indiqué avoir subi des violences, des gifles, des menaces et des actes forcés pendant trois heures. Ce qu’Hakim Karki a réfuté, estimant que le rapport sexuel était consenti. En premier instance, il criait même au complot, étant en charge à cette période d’un dossier visant le cimentier Lafarge après la découverte, en 2012, d’un stock de 6.000 tonnes de ciment pouvoir contenir des taux de chrome six fois plus élevés que ce qu’autorise la réglementation. Selon Le Parisien, l’homme âgé de cinquante ans aujourd’hui a été libéré il y a quelques semaines et donc comparaît libre.