« J’en ai marre qu’on me fasse passer pour un monstre »

Un garçon de douze ans et demi est devenu infirme en juin 2019, à Passamaïnty. Sept jeunes hommes liés à « la brigade anti-Bac » ont finalement été acquittés pour ce fait par la cour d’assises de Mayotte, ce mercredi. Le leader de cette bande de Doujani reste toutefois en prison en raison d’une condamnation précédente.

Les jurés de la cour d’assises de Mayotte ont tranché. Pour eux, celui qui se fait appeler « Azimoff » et sa bande ne sont pas les auteurs de l’agression de « Messi », un garçon de douze et demi qui habite à Passamaïnty, le soir du 16 juin 2019. Le groupe n’a pas été reconnu coupable non plus des blessures infligées à une autre jeune homme qui a été attaqué dans son banga, près du collège, lors du même soir. Pendant ces six jours de procès, les avocats ont tout fait pour dédouaner les sept accusés, demandant tous l’acquittement. Et finalement, ils l’ont obtenu, ce mercredi après-midi.

Car plusieurs points ont mis en difficulté l’accusation. Il y a d’abord la version de celui qui s’est constitué prisonnier quatre mois après les faits. En effet, il avait avoué à plusieurs reprises être là au moment où le village de Passamaïnty a été une horde de trente et quarante individus armés de pierres ou de machettes. Il avait même raconté avoir porté des coups. Â de 28 ans, il ne fait pas partie à proprement parler de « la brigade anti-Bac », mais il connaît leur chef depuis « tout petits ». Il avait donné des noms et des détails assez précis de l’agression du jeune au pied sectionné. Alors qu’il a peu changé de version durant quatre ans (par sécurité, il était même incarcéré à La Réunion), il a effectué un complet revirement lors du procès en affirmant qu’il n’était pas dans son état normal au moment de ses déclarations initiales et qu’il n’était pas présent le soir du 16 juin 2019. Son avocat, maître Abdel-Lattuf Ibrahim, n’explique pas ce soudain changement, mais indique que les premières versions de son client, « ce n’est pas la vérité ». Sur les détails, il assure que tout le monde connaissait cette histoire et qu’il était facile d’identifier les membres de « la brigade anti-Bac ». « Les enquêteurs avaient besoin d’éléments et il est arrivé en disant qu’il était là », ajoute-il.

« Jamais présenté un tel dossier »

A partir de là, il était plus difficile de porter l’accusation. Car l’audition du directeur d’enquête n’a guère amélioré le travail des parties civiles représentées par maître Soumetui Andjilani. A la retraite, le policier admet « n’avoir aucun souvenir » de l’affaire. Il n’y a pas de géolocalisation, pas d’ADN ni de vidéosurveillance. Même le scellé renfermant le sabre qui aurait servi à découper le pied de la victime n’est plus là. L’avocat général, Albert Cantinol, qui ne peut compter que sur les témoignages, a alors vu le dossier prendre l’eau. « J’ai été magistrat-instructeur pendant quinze ans et je n’aurais jamais présenté un tel dossier aux Assises », a-t-il pesté. Il n’en fallait pas plus pour les avocats des accusés pour reprendre la formule. « Vous n’avez rien », « si vous n’avez pas d’éléments, pourquoi vous portez l’accusation», « vous n’avez pas démontré les culpabilisés », constatent tour à tour maîtres Ahmed Idriss, Jean-Paul Ekeu et JeanBaptiste Kondé.

L’avocat général avait beau soulevé plusieurs éléments lors de ces réquisitions. Le survêtement du chef des agresseurs et le bob rouge correspondent à ceux du chef de bande et d’un de ses coaccusés, les témoignages des habitants attribuent à la bande les exactions commises ce soir-là dans Passamaïnty. Par exemple, le proche d’une des victimes a entendu son frère crier : « Pourquoi tu veux me tuer « Azimoff » ? ». D’autres affirment avoir vu ce même chef « avec un casque blanc sur la tête ». Les mobiles aussi, dont les versions divergent, sont parfois flous et ne correspondent pas forcément à l’heure des faits situés entre 19h et 20h. Des éléments qui n’ont pas convaincu les jurés.

« Le coupable idéal »

Le profil de la bande et de son chef semblait pourtant idéal. En 2019, les rixes entre les jeunes de Passamaïnty et Doujani sont légion. Connu pour sa violence, le principal accusé venait de sortir de prison depuis deux mois et était sous contrôle judiciaire. Alors que quatorze ans sont requis contre lui, il dit souffrir de cette réputation. « J’en ai marre qu’on me fasse passer pour un monstre », lâche-t-il à la barre, la veille du verdict. Pour la plupart des avocats, il était « le coupable idéal ». Son avocate, maître Céline Cooper, va plus loin. Elle dit « qu’elle a peur d’une erreur judiciaire » et que cette affaire en contiendrait tous les ingrédients. Elle revient sur le manque de preuves, les aveux de l’accusé qui finalement n’en sont plus, « la pression de la communauté » pour trouver des coupables. « On inverse les paradigmes. Il est présumé coupable et doit prouver son innocence », plaide-t-elle. Avec toutes les incertitudes qui règnent sur l’affaire, le chef de « la brigade Anti-bac » est finalement acquitté, comme les autres. Il ne sortira pas pour autant de prison puisqu’il purge une condamnation dans une autre affaire.

A la sortie du tribunal, « Messi » ne peut cacher sa frustration, même s’il n’a jamais pu identifier ses agresseurs. « Les policiers m’ont dit qu’ils avaient les coupables, ça dure depuis quatre ans, je passe la semaine au tribunal et voilà, rien », déplore celui qui est tout de même reconnu comme victime et sera indemnisé. « Ce n’est pas le plus important. Je voulais voir les responsables et comprendre pourquoi on m’a fait ça », poursuit celui qui restera infirme à vue.

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