Harcèlement moral : une salariée de Mlezi Maoré relaxée

La relation de travail compliquée entre deux employées de l’association Mlezi Maoré a débouché en octobre 2019 sur un mouvement social. Plus de deux ans après, les protagonistes sont venues s’expliquer à la barre du tribunal correctionnel de Mamoudzou, ce mercredi. Ce dernier a décidé de relaxer la plus jeune, âgée de 30 ans, ne pouvant caractériser le harcèlement moral. Le parquet a fait appel, l’audience est prévue au mois de juin.

L’affaire a connu une médiatisation en octobre 2019, quand les salariés du site Mlezi Maoré de Combani ont fait valoir leur droit de retrait. À l’époque, ils souhaitaient exprimer leur mécontentement au sujet de la gestion d’un conflit interne à la structure. Syndicats et employés reprochaient le traitement réservé à l’une des cadres du pôle handicap, dont les relations avec une ortophoniste travaillant sur plusieurs structures à la fois se sont particulièrement dégradées. Un conflit qui couvait depuis plus d’un an déjà et qui s’est retrouvé, ce mercredi, au tribunal judiciaire de Mamoudzou.

Le point de départ est pourtant anodin. Deux salariées, qui s’entendent bien, décident de partir en vacances à l’île Maurice. Habituées à partir ensemble, elles passent un séjour horrible, sentant développer de moins en moins d’atomes crochus au fil des jours, et en viennent même aux mains. La plus âgé, aujourd’hui 36 ans, vient d’avoir une promotion au sein du site de Combani et doit prendre ses nouvelles fonctions. L’autre, une trentenaire originaire de Belgique, est orthophoniste et travaille sur plusieurs sites de l’association.

« Des humiliations, des brimades »

Le voyage, plus les nouvelles responsabilités, changent le rapport entre les jeunes femmes. Dès les premières réunions de service, où elles se côtoient forcément, les échanges deviennent plus compliqués. « Je vis des humiliations, des brimades, des propos violents à mon égard », raconte à la barre l’ancienne cadre, aujourd’hui professeur au lycée de Bandrélé. Son ancienne amie, en compagnie de deux autres salariées, n’hésite pas à « couper la parole » pour marquer sa désapprobation face aux décisions prises. « Je sais que je peux parler de façon virulente », reconnaît-elle. Ce petit manège, d’autres participants aux réunions l’ont également raconté au cours d’une enquête interne menée par le CHSCT (commission d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), aux côtés de la responsable des ressources humaines.

Si aucun de ses représentants n’est présent ce mercredi, la gestion de l’affaire par la direction a également été abordée à de nombreuses reprises au cours de l’audience. Car la victime a choisi de s’adresser assez vite au directeur. Se montrant d’abord compréhensif, celui-ci tente de calmer le jeu. « Il m’a dit qu’elle va finir par se calmer », se souvient la victime. Mais toutes les deux semaines, elle l’alerte, et celui-ci finit par s’énerver. « Je te préviens, tu vas te taire. Ou je te propose de supprimer le poste de chef de service », continue-t-elle en se mettant à la place de son supérieur.  Désemparée, elle note tout ce qu’elle remarque lors des réunions, avant d’essayer de le restituer lors de l’audience. Elle raconte ses douze kilos perdus en un an, ses insomnies, jusqu’au 7 octobre 2019, où un malaise déclenche son arrêt de travail, qui a duré finalement 23 mois.

Cinq heures de débat

Le dossier est « dense », et pourtant « facile ». À écouter les plaidoiries des deux avocats, on pourrait croire que l’affaire a été vite exposée, puis conclue. Au contraire, il a fallu presque cinq heures de débat avant que la présidente du tribunal et ses assesseurs se retirent pour délibérer. Un temps long où chacun a pu exposer ses arguments. L’avocate, maître Fatima Ousséni, reprend de nombreuses déclarations de la jeune Belge. « Je vois qu’elle minimise. Elle comprend l’importance de ce qu’elle a fait », croit savoir l’avocate, avant d’insister sur l’état physique de sa cliente. « Elle s’est tue des mois avant qu’elle tombe. » La substitut du procureur Sarah Mbuta revient également sur ce que dit l’orthophoniste, après avoir demandé une condamnation parce que « les faits sont constitués ». « Elle confirme qu’il s’agit d’un problème personnel qui arrive dans un cadre professionnel », rappelle-t-elle. Maître Charles Simon préfère s’en tenir à la définition du harcèlement moral et à son interprétation pour défendre sa cliente. « La victime demande que vous adoptiez sa subjectivité », fait-il valoir en référence au texte rédigé pendant l’année où les relations n’ont cessé de se détériorer.

Et, en effet, la présidente du tribunal Liselotte Poizat et ses assesseurs se montrent également dubitatives au cours du débat. Lorsqu’elles entendent la victime, elles lui demandent à plusieurs reprises de fournir des éléments concrets et font remarquer que si la souffrance au travail est reconnue par tous, le harcèlement moral ne l’est pas toujours. Le tribunal correctionnel de Mamoudzou a donc décidé la relaxe de la salariée de Mlezi Maoré et de ne pas suivre les réquisitions du parquet, qui demandait de suivre les demandes de l’avocate de la partie civile : 50.000  euros pour le préjudice et 3.888 euros pour les frais de justice d’avocat. L’affaire sera de nouveau jugée en juin.

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