En marge d’une opération menée par la préfecture à la mi-février, les témoignages d’une trentaine de familles ont fait état de destructions illégales, en dehors du périmètre prévu par l’arrêté préfectoral. Une famille a obtenu gain de cause dans le cadre d’un référé-liberté devant le tribunal administratif. La préfecture veut faire appel.
Une situation d’urgence, qui aura pris quatre longues semaines. Le tribunal administratif a accédé à la requête en référé d’une famille de Dzoumogné, dont la maison a été détruite le 16 février dernier, en marge de l’opération initiée par la préfecture, et surtout au dehors du périmètre défini par l’arrêté loi Élan du 6 janvier 2021. Le référé-liberté, cette procédure d’urgence visant à obtenir toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration aurait porté atteinte de manière grave et manifestement illégale, permet d’obtenir rapidement une décision, en l’occurrence, en 48h.
La famille, qui a déposé sa requête vendredi 6 mars, soit près d’un mois après la destruction illégale de la maison, a obtenu gain de cause lundi 9 mars. Notifiées de la procédure, ni la mairie de Bandraboua, ni la préfecture, n’ont apporté leurs contributions dans le délai imparti. L’ordonnance du 9 mars confirme que la parcelle occupée par la requérante et sa famille “a fait l’objet d’une régularisation à son profit” et qu’elle ne fait pas partie des cases visées par l’arrêté du 6 janvier ; par ailleurs la famille se retrouve “sans abri depuis le 16 février, n’étant ainsi ni protégés contre les intempéries, ni pourvus d’un point d’eau et de sanitaires leur permettant de vivre décemment, dans des conditions propres à garantir leur santé et leur sécurité”. Le juge ordonne ainsi à la préfecture de Mayotte de proposer une solution concrète de relogement ou d’hébergement d’urgence ainsi qu’un accompagnement social et psychologique dans un délai de 48h, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard. Le préfet doit aussi “mettre immédiatement” à disposition du foyer un accès à l’eau potable et à des sanitaires.
Les enfants ont accepté l’hébergement
“Je suis très heureuse, mes parents, mes frères et sœurs, nous sommes tous contents de voir que le juge a reconnu que c’est notre maison, que ce qui nous est arrivé est injuste, et que nos droits aient été révélés”, sourit Lina*, la fille aînée qui a porté le combat des siens devant le tribunal. Avec son frère et sa sœur cadets, la jeune femme de 19 ans a pu obtenir un hébergement d’urgence moins de deux jours après la notification de l’ordonnance, dans le village de Mtsangadoua. “Nous sommes logés au premier étage de cette maison, ils nous ont apporté à manger, nous allons bien”, souffle-t-elle, visiblement soulagée. Le père et la mère, quant à eux, ont préféré rester à Dzoumogné, “pour veiller sur la maison”, qu’ils sont en train de reconstruire depuis le passage des bulldozers.
“Tout cela interroge sur la notion d’urgence. La famille ne se révèle pas non plus demandeuse de soutien psychologique”, rétorque le sous-préfet Jérôme Millet, qui annonce sa volonté de faire appel de cette ordonnance. [Entretemps, une demande de suivi social et psychologique a bien été adressée vendredi soir par la famille] En attendant un autre dénouement, la préfecture doit toutefois accéder aux requêtes de la famille, reconnues par le tribunal. Une obligation qui “ne prouve en rien que c’est l’État ou la préfecture qui a démoli la case”, insiste celui qui est aussi secrétaire général adjoint et pilote les opérations de destruction. “Tout ce qui est dit, c’est que l’État est condamné car il y a des personnes sans abri et que l’État doit fournir un hébergement d’urgence. D’ailleurs, si cette famille n’avait pas fait l’objet d’une proposition, c’est pour la seule et bonne raison que l’État n’a pas démoli ces cases-là, qui ne figuraient pas dans l’arrêté”, persiste le sous-préfet.
“D’énormes zones d’ombre”
En effet, cette ordonnance du tribunal administratif ne reconnaît pas de responsabilité quant au fond de l’affaire, à savoir, la destruction illégale de 33 cases en dehors du périmètre établi par l’arrêté préfectoral. N’empêche. Selon Maître Ghaem, qui a conseillé la famille de Lina, “cette décision prouve que cette opération a été menée grossièrement ou qu’il y a en tout cas d’énormes zones d’ombre”. Il faut dire que les victimes pointent plutôt du doigt l’adjoint au maire de Bandraboua en charge de la sécurité, Soudjaye Daoud, qui aurait donné l’ordre de raser leurs maisons. Mais comment les engins de la Colas, missionnés par la préfecture, ont-ils pu s’exécuter ? Seule l’enquête judiciaire pourra apporter des réponses aux personnes sinistrées. Désormais, la famille de Lina prévoit d’envoyer une plainte directement au procureur de la République. “Nous voudrions être remboursés, car mon père a dû emprunter de l’argent à un ami pour reconstruire”, explique l’aînée. Soit quelques centaines d’euros, à peine de quoi couvrir des frais qui avoisinent les 7.000 euros, “sans même le mobilier”, nous indique-t-on.
Une fois la plainte envoyée, le procureur aura trois mois pour engager des poursuites, mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites, ou encore décider d’un classement sans suite. Quoi qu’il en soit, alors que la préfecture annonce un objectif musclé de 400 destructions de cases pour le premier semestre 2021, cette ordonnance du tribunal administratif risque en tout cas de faire tâche au tableau.
* le prénom a été modifié