Toibrani M., 23 ans, était assis sur le banc des accusés en ce début de semaine pour des faits remontant au 20 décembre 2020 – date à laquelle il a commis une tentative de meurtre envers son beau-père. Ce dernier a reçu plusieurs coups de machette sur des parties vitales, dont la tête et la cage thoracique. Les motivations de l’accusé sont floues et les témoins de la scène – membres de sa famille – sont restés évasifs tout au long de l’audience. Ces deux jours de procès aux Assises doivent faire la lumière sur ce qu’il s’est passé au cours de cette nuit de décembre 2020.
La salle est vide. Les parties civiles ne sont pas présentes et nul ne sait si elles arriveront au cours du procès. Difficile pour ces dernières de se positionner alors que l’homme assis sur le banc des accusés n’est autre qu’un fils ou un frère pour elles. Toibrani M. est Comorien, il a 23 ans et n’en avait que 21 au moment des faits. Il ne prononcera que quelques mots au cours des deux jours de procès – par peur ou par mépris pour la justice ? Impossible à savoir.
L’autre grande inconnue qui plane sur ce procès reste la victime, qui est le beau-père de l’accusé. Alors que ce dernier était hospitalisé à La Réunion à la suite de son agression, il s’est enfui de l’hôpital début 2021 et n’a plus donné signe de vie depuis. Cela fait maintenant deux ans que la victime est recherchée dans le cadre de l’enquête mais aussi et surtout car cet homme se trouve en situation irrégulière.
Un règlement de compte familial sous couvert d’amour et d’alcool
Tout s’est déroulé dans la journée du 20 décembre 2020. Il est midi quand Toibrani M. se rend dans la case de sa mère, située à Bandraboua. Rien d’inhabituel ne s’y passe, excepté une légère altercation entre Toibrani M. et son beau-père au sujet de la présence de la petite-amie du jeune homme. Le ton monte, les gestes s’agitent, les affaires de la jeune femme sont jetées au sol… L’ambiance reste tendue jusqu’à ce que le couple quitte les lieux avant d’y revenir à la tombée de la nuit. Il est 20 heures quand Toibrani M. retourne chez sa mère, à la rencontre de son beau-père. Le garçon a consommé une dizaine de bières au cours de la journée et il est, d’après sa demi-sœur, témoin de la scène, fortement alcoolisé à ce moment.
« S’il avait pu m’attraper, je serais mort », déclare Toibrani M. devant la Cour. Le garçon explique avoir dû se défendre contre son beau-père en se munissant de sa machette. Mais la Présidente, Madame Brun, revient justement sur la présence de cette machette qu’il a dissimulée dans son bas de pantalon lors de son retour. « Elle venait d’où cette machette ? Et pourquoi vous l’aviez sortie alors que votre sœur a assuré qu’à aucun moment votre beau-père n’a voulu vous agresser ? », demande d’un ton inquisiteur Madame Brun. L’accusé peine à répondre, prétextant qu’il n’a plus de souvenirs de la scène.
Cette excuse de l’amnésie, Toibrani l’utilise à plusieurs reprises au cours de l’audience. Comme lorsqu’il doit se justifier de l’utilisation d’un briquet, menaçant de brûler le canapé au moment de l’altercation. « Je ne sais pas pourquoi j’ai sorti le briquet », déclare-t-il. La demi-sœur de Toibrani, Nadia Y., reste aussi mystérieuse lors de ses déclarations devant la cour. Elle était pourtant plus bavarde au moment de son interrogatoire auprès des gendarmes, peu de temps après les faits. « Il avait l’intention de le tuer, vu les coups qu’il lui a porté à la tête, leur avait-elle déclaré. Il voulait le terminer, j’en suis sûre ! »
Livré à lui-même à 11 ans après l’expulsion de sa famille
Dans sa plaidoirie, son avocat, Maître Soumetui, a insisté sur l’enfance compliquée – voire « chaotique » de Toibrani M. Il a grandi dans une famille globalement stable jusqu’à l’âge de 11 ans, avant que ses parents ainsi que ses frères et sœurs ne soient expulsés en direction de l’île d’Anjouan. Le jeune homme a alors vécu une vie d’errance et de misère teintée d’alcool et de violence. « Ce garçon a des failles dans sa construction, il s’est retrouvé seul et n’avait pas de repères », formule son avocat. C’est ce qu’a confirmé l’expert psychiatrique lors de son enquête qui décrit la personnalité du jeune homme comme étant « peu structurée » – ceci dû à un « profond manque affectif qui l’a empêché de se construire normalement ».
Malgré ces mots, l’avocat général a tenu à souligner que Toibrani M. avait conscience de ce qu’il faisait ce jour-là, car il est revenu chez sa mère muni d’une machette, ceci plusieurs heures après la première altercation. Il insiste également sur les zones du corps de la victime visées par le jeune homme : la tête, la zone claviculaire et la cage thoracique. « Il faut noter que Toibrani M. a continué d’asséner les coups alors même que la victime était tombée à terre après le premier coup […]. Il y avait donc une volonté d’intenter à la vie de son beau-père », affirme amèrement l’avocat général. Ce dernier a également souligné la consommation d’alcool quotidienne et conséquente du jeune homme qui « n’est pas la cause de la tentative de meurtre mais qui a favorisé le passage à l’acte ».
Au moment du délibéré, Toibrani M. reste stoïque, impassible, comme s’il n’avait pas conscience de ce qui était en train de lui arriver. La salle est calme mais l’ambiance est pesante. La Présidente Brun vient rompre le silence et prononce d’un ton clair la décision de la Cour : douze années de réclusion criminelle, auxquelles s’ajoute une interdiction de détenir une arme pour une durée de dix ans. Le jeune homme ne sourcille pas et se laisse menotter par les deux gendarmes qui l’escortent. Il quitte la salle, sans même un regard pour ses proches.