L’établissement de placement éducatif (EPE) Dago accompagne des mineurs condamnés ou en instance de jugement. Parmi ses missions, figure la tentative de préparer « l’après » malgré les entraves administratives.
« Il n’y a pas de délinquant à Mayotte », déclare d’un ton ferme Abdel*, assis autour d’une table avec d’autres jeunes placés par la justice, comme lui, au Dago. Un établissement de placement éducatif (EPE) en alternative à la prison (quartier pour mineurs de la maison d’arrêt de Majicavo), soit l’unique hébergement d’urgence en la matière à Mayotte quasiment complet. « Il y a des assassins ou des voleurs. Des gens qui galèrent parce qu’ils ont faim, qui volent et revendent pour manger. Et il y a des gens qui n’ont rien à faire et foutent la merde sur les routes. » Le directeur des hébergements éducatifs, Thierry Lande, acquiesce : « Il n’y a pas de délinquant, mais des jeunes qui sont dans un processus de délinquance ». Ou de « désistance » : en sortie de ce processus.
Perché en hauteur, entre des murs pour se protéger de l’extérieur, cet établissement basé à Tsoundzou depuis 2015 loge et nourrit onze adolescents confiés sous ordonnance de placement provisoire par le juge (douze étant la capacité maximale de l’agrément). Ils ont été jugés coupables de crimes ou de délits, ou bien sont en instance de jugement, et sont encadrés par les éducateurs de l’association SOS Mlezi Maore sur une durée classique de six mois, avant leur majorité.
Ils s’occupent de leur santé, travaillent sur leur lien avec la famille, la reconnaissance des faits, leur éducation au quotidien tel que l’hygiène et l’autonomie, mettent aussi en place des activités (musique, randonnées, sorties plages). Tout en prenant soin de respecter les possibilités de sortie car certains quartiers peuvent leur être interdits pour leur sécurité. Mais les vingt-deux éducateurs en poste travaillent aussi sur leurs scolarité et projets professionnels pour préparer leur réinsertion et surtout, éviter la récidive.
« Je ne veux pas gâcher ma vie »
Si les jeunes ne se sentent pas forcément coupables, souhaiteraient rejoindre leur famille et se plaignent des règles du lieu, « ici c’est la galère, on ne peut pas utiliser notre téléphone et faut demander pour écouter la musique », critique l’un deux, ils ont bien conscience de leur chance de ne pas être en prison. « Je ne veux pas gâcher ma vie », lâche par exemple Abdel. « Je veux rentrer chez moi et devenir menuisier ». Quand Ibrahim explique vouloir devenir chef cuisinier, une réflexion qu’il a eu une fois placé en discutant avec son éducatrice référente. « Je suis une autre personne. Avant, je me fâchais tout le temps », confie-t-il.
Saïd, lui, autre jeune assis à côté, sorti de détention par la protection judiciaire de la jeunesse, souhaite travailler à la barge « depuis tout petit » et passer le permis bateau. Grâce à un partenariat avec l’école maritime en Petite-Terre, il pourra, les démarches terminées, réaliser un stage de cinq à six semaines là-bas afin d’obtenir une qualification. Un éducateur se chargeant des allers-retours.
Sur le même système, sur les onze jeunes âgés entre 13 et 17 ans, trois sont en formation grâce au projet Daraja (le pont, la passerelle en français) développé par le centre d’accueil de jour des Apprentis d’Auteuil Mayotte. Seulement un jeune sur onze est scolarisé. « Moi, on m’a dit que ça ne sert à rien de faire beaucoup d’études », explique par exemple Wayan, qui projette de réaliser des podcasts.
« Dès qu’ils ont 18 ans, on n’a plus la main »
« La majorité pense à leur avenir », pointe la cheffe de service Binty Youssouf. Les ruptures scolaires ne sont pas uniquement liées à un manque de volonté, il y a aussi un travail de l’équipe pour prendre contact avec les écoles et les rescolariser. « Mais c’est parfois compliqué de les convaincre quand il y a eu des violences, de la bagarre, des absences. On tente tant que la place est maintenue. »
Un professeur spécialisé détaché par l’inspection académique intervient tous les jours, sauf les week-ends, pour évaluer leurs compétences et donner des cours. « L’année dernière, on a accueilli un jeune de 16 ans, né ici, qui n’est jamais allé à l’école », raconte-t-elle. « Les parents ont peur de sortir d’où ils habitent et d’être attrapés par la police aux frontières. »
En tant que mineurs, les jeunes, qu’ils aient ou non la carte d’identité française, peuvent étudier partout. Excepté au régiment du service militaire adapté (RSMA). « Mais à 18 ans, nous, on n’a plus la main. Parfois c’est frustrant », poursuit la cheffe de service. Surtout lorsqu’un jeune « a trouvé un but », est inscrit dans une école, mais ne pourra pas passer le diplôme. « Il y en a un qui a passé le bac mais n’a pas pu étudier car il n’avait pas la carte d’identité », a-t-elle appris d’un éducateur de la protection de la jeunesse qui lui, continue de suivre le jeune, même après la sortie de placement. Pour ces raisons, l’équipe accompagne aussi les parents en leur donnant les renseignements nécessaires. « Mais il y a autre chose de primordial : qu’ils aient des parents. Un encadrement digne pour rentrer dans le droit chemin. »
« On n’a pas fait des études pour faire du gardiennage »
« Une fois dehors, il n’y a plus de cadre. La plupart retombent en récidive. » Zaïdou Attoumani, auxiliaire éducateur, estime que c’est du 50/50. « Quand on annonce aux jeunes qu’ils vont partir, on lit la tristesse sur leurs visages. Ils savent ce qui les attendent dehors, un gars qu’ils ont tapé et qui va se venger. Ils réalisent tout le confort d’ici au moment de partir », prenant pour exemple des jeunes qui, quand ils sont venus, sont allés faire des courses pour acheter des vêtements avec un éducateur. « Tout le monde n’a pas un petit-déjeuner, un déjeuner et un dîner tous les jours », ici préparé par Miriam, la maîtresse de maison. « Mais il y en a qui s’en sortent, tout dépend du jeune. »
« Il y a ceux qui étaient là au mauvais moment, ceux qui ont participé dans le groupe. Mais ce sont des jeunes avant tout. À nous de les mettre en confiance et leur donner l’opportunité d’une main tendue », reprend la cheffe de service. « On n’est pas là pour les encourager, on n’a pas fait des études pour faire du gardiennage. Même si un ou deux réussissent à s’en sortir, ce sera déjà ça, et moins de jeunes dans la rue à faire des bêtises. »
*Par mesure de sécurité pour ces jeunes, tous les noms ont été modifiés.
Le directeur souhaite « une politique plus préventive »
Flash Infos : Quels sont les objectifs, concernant la jeunesse « en voie de délinquance », pour l’année 2024 ?
Thierry Lande : Mlezi Maore accueille 20 jeunes placés en mesures judiciaires pénales sur l’ensemble du territoire sur les deux établissements du pénal : l’EPE Dago et le Centre éducatif renforcé (CER) ouvert en 2018. On va augmenter, on aura 24 jeunes. Pendant l’opération Wambushu, on avait augmenté aussi.
On souhaite travailler davantage sur l’insertion avec un accent sur l’apprentissage aux métiers, du savoir, l’intégration sociale qui passe forcément par la voie professionnelle. On va essayer d’être encore plus performant et d’inventer de nouveaux dispositifs comme on est en train de l’initier avec la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) qu’on va appeler « Tremplin insertion chantiers ». La mise au travail du jeune doit permettre de le refocaliser sur ses objectifs de vie et d’intégration à l’autre car ça demandera un travail plus collectif.
F.I. : Est-ce qu’on peut aussi imaginer plus de partenariats pour des stages ?
T.L. : Oui, on souhaite travailler plus au sein des territoires locaux car nos hébergements éducatifs que je pilote doivent s’intégrer dans le territoire et avoir une intégration positive des jeunes dans le village ou dans la ville. Aller au centre social, aller davantage dans les structures médicosociales, éducatives du droit commun.
F.I. : Votre avis concernant la jeunesse en général ?
T.L. : Elle demande plus de prévention, bien en amont d’arriver dans un établissement avec une rupture familiale et locale. Nous nous sommes malheureusement sur des établissements curatifs. Il est déjà presque trop tard. Les jeunes arrivent à l’aboutissement d’un processus qui est la judiciarisation de leurs affaires que ce soit au pénal ou au civil (donc des enfants qui ont été en danger). Je pense aussi qu’il faudrait davantage travailler sur des placements à domicile. Même si cela est déjà conséquent : Mlezi Mahore a en situation d’accompagnement plus de 400 mineurs par mandat judiciaire du juge des enfants à domicile.