L’archipel juge pour la première fois de son histoire un ancien président, onze ans après avoir quitté le pouvoir. Ahmed Abdallah Mohamed Sambi qui a dirigé le pays de 2006 à 2011, est poursuivi avec d’autres ex-ministres pour corruption, détournement de fonds, entre autres dans le cadre du programme de vente de passeports à des pays du Golfe. Mais l’ancien raïs craignant une justice inéquitable s’est dit prêt à repartir dans sa résidence transformée en prison. L’audience reprend ce mardi.
C’est un Ahmed Abdallah Mohamed Sambi épuisé et affaibli physiquement qui a été conduit ce 21 novembre à la salle d’audience où se déroulait le procès sur la citoyenneté économique. Onze personnes sont citées dans l’ordonnance du juge, parmi eux Sambi, poursuivi pour haute trahison et qui a déjà annoncé au cours d’une brève déclaration obtenue au forceps sa décision de ne pas vouloir être jugé par une cour « illégale ». L’ancien raïs s’était même levé à trois reprises pour sortir de la salle, une façon de montrer son mécontentement, mais le président de l’audience ne l’a pas autorisé. Le magistrat a fini par suspendre la séance. Elle reprend ce mardi matin. On ignore s’elle ira jusqu’au bout en apportant des réponses aux questions que toute la population comorienne se pose depuis des années. Alors qu’il est censé se poursuivre jusqu’au 23 novembre, le procès n’a en réalité pas avancé. Puisque la journée d’hier, était dominée par des suspensions répétitives de l’audience et des débats sur les exceptions relevées par la défense. Même l’ordonnance de renvoi n’a pas été lue. Autrement dit, les personnes venues écouter ignorent toujours les faits reprochés aux prévenus.
Ajournement
Aussitôt la présentation des inculpés terminée, les cinq avocats de Sambi ont formulé une demande d’ajournement du procès en raison de l’état de santé de leur client, sans succès. A propos de la cour de sûreté, la défense a relevé qu’elle n’est pas prévue dans la loi portant organisation judiciaire, donc incompétente. « La haute trahison n’est définie dans aucune loi. On ne peut donc poursuivre quelqu’un pour ce fait. Mais le juge se met à la place du législateur et définit les crimes. Que des amalgames », déplore, maître Jan Fermon, qui fait partie de la brochette d’avocats étrangers, dépêchés à Moroni, pour défendre l’ancien président des Comores de 2006 à 2011. Son confrère, Fahmi Said Ibrahim, constitué également, a rappelé que le juge Omar Ben Ali, ne pouvait présider la cour qui fait office de juridiction de jugement, lui qui a siégé pendant l’instruction. Il a cité la loi portant organisation judiciaire en vigueur qui interdit cela. Le mode de désignation des assesseurs aussi a été attaquée. La loi portant création de la cour de sûreté veut qu’ils soient nommés par décret et non des arrêtés ministériels. Certains doivent faire l’objet d’une proposition du parlement. Là encore, aucun respect pour ces deux dispositions. Toutes ces exceptions, ont malheureusement été rejetées. Cela fait partie des raisons pour lesquelles, tous les avocats de la défense ont jugé nécessaire de se ranger derrière sa décision de partir.
Condamnations déjà connues selon Bashar
Sur les onze personnalités assignées à comparaître devant la cour de sureté de l’Etat, moins de cinq d’entre elles étaient présentes physiquement à l’instar de l’ancien ministre des Finances, Bacar Abdou Dossar Mohamed, accusé de détournement de deniers publics, faux et usage de faux, abus de fonction, forfaiture, concussion recel et complicité. Il y avait également Nourdine Bourhane inculpé des mêmes faits avec Sambi et Mohamed Ali Soilihi, ancien ministre des Finances, mais qui est parti en France début octobre. Mis à part Ibrahim Mhoumadi Sidi, représenté par ses avocats, les autres personnalités mises en cause ne se trouvaient pas à la salle.
Considéré comme le cerveau du programme, pour avoir joui d’une exclusivité dans la récolte des fonds, le sulfureux homme d’affaire franco-syrien, Bashar Kiwan, a en revanche manifesté sa disponibilité de répondre à la justice comorienne, seulement à distance, selon les moyens disponibles. Dans un communiqué remis à la presse lundi, Bashar, affirme que des ministres comoriens l’ont approché en proposant de témoigner dans cette affaire, en échange d’un abandon des charges le visant. Il assure que les décisions des condamnations sont déjà écrites et n’attendent qu’à être prononcées. Pour le moment, aucun officiel comorien n’a commenté ces accusations qui confortent la thèse de procès politique dont le but est de se débarrasser d’un opposant, à savoir l’ancien président.
Tension et arrestations
Étant donné qu’il était attendu depuis des années, le procès avait entrainé une forte mobilisation des forces armées, hier. Aux abords du palais de justice de Moroni, la tension était électrique. Par peur de débordements, les autorités avaient même déployé un dispositif hors norme. Plusieurs militaires avaient quadrillé toutes les routes menant à la zone où se tenait le jugement. La circulation allant du palais de justice jusqu’à la place de l’Indépendance était fermée. Les autres routes sous-jacentes également n’étaient pas accessibles aux véhicules. Pour autant, cela n’a pas empêché les partisans de l’ex-président de faire le déplacement pour apporter un soutien à leur idole qui est arrivé vers 8h30 sous haute protection. L’audience, elle n’a débuté que 24 minutes plus tard. Probablement parce que les autres prévenus étaient déjà présents, et qu’il ne restait plus que Sambi. D’ailleurs, son escorte armée jusqu’aux dents n’avait pas laissé les journalistes s’approcher pour prendre une photo. Dehors, la foule n’arrêtait pas de scander son nom. Les militaires avaient fini par repousser les partisans venus en masse.
Selon des témoignages, il y aurait même eu des arrestations. On ignore le nombre exact des personnes interpellées. Pour rappel, l’ex-président est en détention depuis 2018 et n’avait jamais été jugé. Son incarcération est dénoncée par des organismes internationaux. Certains ont même qualifié de règlement de compte politique sa situation. En intentant un procès contre son prédécesseur, l’actuel chef de l’État, Azali Assoumani ouvre une brèche inédite et montre qu’un ancien président peut se retrouver devant la justice. Depuis leur indépendance, les Comores n’ont jamais jugé un ancien président.