La suspecte arrêtée le 3 avril en dehors du pays avec son mari était visée par une plainte déposée au parquet de Moroni. Une de ses victimes qui lui réclame plus de 100 millions de francs comoriens. D’autres informations indiquent également que cette « Madoff comorienne » n’était pas seule, mais faisait partie d’un vaste réseau bien rodé.
C’est une affaire qui fait grand bruit en ce moment aux Comores. L’histoire est celle d’une femme qui aurait escroqué plusieurs personnes dont des gros commerçants très connus dans le pays. Selon les informations disponibles, le préjudice est estimé à plus d’un milliard de francs comoriens, soit à peu près deux millions d’euros. L’auteure présumée arrêtée le 3 avril, à Addis-Abeba (Éthiopie), avec son mari et son enfant, est arrivée à Moroni, ce mercredi, pour répondre de ses actes. Apparue sur les réseaux sociaux pour la première fois, l’affaire n’a toujours pas livré tous ses secrets, mais elle donne déjà le tournis. Depuis que son arrestation a été annoncée, les langues ont commencé à se délier. Le modus operandi qu’elle utilisait jusqu’ici pour appâter des clients ressemble à la pyramide de Ponzi rendue célèbre par l’ex-financier américain Bernard Madoff. Du moins, c’est ce qui ressort des témoignages des victimes qui ont accepté de se confier. « Je l’ai connue par des connaissances, une fille qui travaille à Comores Telecom. Le principe est simple, tu investis de l’argent, tu perçois 10% de ton investissement quinze jours plus tard. J’ai essayé de m’y intéresser de plus près, histoire de savoir ce qu’elle faisait, du comment cela fonctionnait, mais on m’a répondu qu’elle était une transitaire. Que cet argent servait à dédouaner des équipements », a relaté notre interlocuteur qui a perdu huit millions de francs comoriens.
10% d’intérêt
Ancienne employée de Huawei Comores, le géant chinois des technologies (branche sise à Maurice) qui travaille avec les opérateurs comoriens plus particulièrement Telco et Comores Telecom, la dame ne manquait pas une occasion pour mettre en avant ce statut. Celui-ci d’ailleurs lui permettait de parvenir à ses fins. « J’ai demandé un contrat. On m’a dit que ce n’était pas nécessaire sinon ce serait à mes frais », a ajouté la victime qui a préféré opter pour l’anonymat. A l’en croire, il y avait plusieurs offres sur la table. D’abord la classique avec un retour de l’intérêt au bout de quinze jours. « Certains réinvestissaient tout, montant et intérêt, pour toucher encore un 10%. L’offre flash qu’elle proposait était valable pendant une période allant de quinze à trente jours. On touchait jusqu’à 15%. Pour ma part, ce n’est qu’après quelques mois que le doute s’est installé. J’ai demandé à partir avec mon argent. C’est à partir de là que les problèmes ont commencé. Elle était censée me rembourser le 7 avril prochain. Voilà que j’ai appris sa tentative de prendre la fuite », a dévoilé notre source, qui n’est visiblement pas la seule à avoir confier ses gains. Par ailleurs membre du conseil d’administration de la Meck-Moroni, la plus grande institution de microfinance du pays, la femme avait un bon carnet d’adresses. En effet, après son arrestation (un mandat d’arrêt avait été émis à son encontre selon le parquet), les noms de plusieurs grands commerçants très connus ont commencé à être cités.
70 millions de francs
Spécialisés dans l’import de mobiliers ou de l’alimentation, tous ces grossistes auraient eux aussi misé plusieurs millions de francs comoriens, toujours dans l’espoir de récupérer leurs dus avec des bénéficies. Au sein des sociétés d’État comoriennes, on compterait également plusieurs victimes, un responsable financier aurait même perdu 70 millions de francs. D’autres particuliers, moins fortunés étaient aussi appelés à donner des sommes allant jusqu’à sept millions (14.000 euros). D’ailleurs, dans l’affaire en cours d’instruction qui a permis de lever un peu le voile sur ce scandale, l’auteur de la plainte réclame 116 millions de francs [plus de 230.000 euros]. Mais nombreux sont ceux qui pensent que celle qui apparait pour le moment comme le cerveau du réseau a le bras long, et probablement jusqu’au sommet de l’État.
Déjà placée sous contrôle judiciaire depuis 2019 dans une affaire de déstabilisation, elle a réussi à quitter le territoire avec son mari, lui aussi cadre dans une grande banque étrangère implantée aux Comores et dont le degré d’implication n’est pas encore déterminé. Comment ont-ils pu échapper à la vigilance de la police des frontières, s’interroge l’opinion ? Y-a-t-il eu un coup de main venant de personnalités haut placées ? Ces questions, seule une enquête approfondie pourra apporter des réponses. Aura-t-elle lieu un jour ? On le saura peut-être dans les jours ou mois qui viennent.
Une chose est sûre, la principale suspecte, adepte des méthodes de Bernard Madoff, et dont la vie luxueuse qu’elle menait commençait à interroger n’était pas à son premier coup d’essai. Elle opèrerait depuis plus d’un an.