Deux habitants de Sada, Maddoudine Abdou et Mohamadi « Alger » Attoumani, ont été condamnés à quatre ans de prison ferme, vendredi soir. Le tribunal correctionnel de Mamoudzou a jugé que les deux hommes, pourtant membres du collectif de défense de leur village, étaient bien les instigateurs de l’attaque à coups de pierres et de cocktails molotov de la brigade locale, les 28 et 29 janvier.
Les matins des 29 et 30 janvier, les habitants de Sada ont découvert leurs véhicules cassés ou incendiés, des pierres et des restes de poubelles qui jonchaient les environs de la brigade territoriale de gendarmerie, les lieux ont été transformés deux nuits durant en zone de guerre. A chaque fois, entre une cinquantaine et une centaine de jeunes ont participé aux attaques à coups de pierres, de cocktails molotov, de projectiles en fer et de bacs enflammés. Les gendarmes, qu’ils soient mobiles ou départementaux, ont été choqués par la violence de l’attaque.
Depuis, l’enquête de la gendarmerie a déjà permis d’identifier une partie des auteurs. Le plus jeune a 12 ans, d’autres sont majeurs et ont été condamnés, ces dernières semaines par le tribunal correctionnel de Mamoudzou. Au cours de leurs auditions, un élément troublant est revenu à plusieurs reprises, la présence d’hommes plus âgés et des promesses d’argent pour passer à l’acte. Les enquêteurs n’ont alors pas eu de mal à en identifier deux (un troisième a été interpellé, puis rapidement relâché), Maddoudine Abdou et Mohamadi « Alger » Attoumani. Les deux hommes plutôt respectés à Sada, par ailleurs membres du collectif de défense de Sada et actifs sur le barrage de Chisa, ont été interpellés, mercredi matin, dans leur village.
« Sous l’effet de la colère »
Le premier, âgé de 34 ans et CPE au lycée de Kahani, a été désigné par les jeunes comme étant celui qui avait fixé le rendez-vous au niveau de Bandrani. Il était décrit comme porteur d’une cagoule noire et d’une arme de poing. La perquisition, le jour même de son interpellation, permet de retrouver un couteau de chasse, trois pistolets d’alarme, un pistolet à bille, des munitions et deux cagoules. Un autre couteau et un poing américain sont dénichés dans sa voiture. « Il y en avait jusque dans la chambre des enfants », fait remarquer le procureur de la République, Yann Le Bris. Auditionné à cinq reprises, l’homme a nié à chaque fois connaître les assaillants de la brigade. Ce n’est qu’à la sixième fois qu’il a fini par avouer. « J’ai fait ça sous l’effet de la colère. Le préfet venait d’annoncer la levée des barrages », confirme-t-il, à la barre. Le samedi 27 janvier, il s’attendait en effet à voir débarquer les forces de l’ordre, augmentant la tension sur son barrage. En voyant des jeunes qu’il connaissait à proximité, il s’est approché pour discuter. « Si on avait un problème sur les barrages, on aurait besoin de leur aide », indique-t-il, au tribunal. Le journal des appels, tout comme les messages gardés sur les téléphones (alors que les adultes avaient demandé qu’ils soient effacés), confirment son rôle d’organisateur. « Je ne m’attendais pas à ce que ce soit à ce point », regrette-il. Au sujet de l’arsenal utilisé les deux nuits par les jeunes de Sada et Chiconi, il nie avoir demandé qu’ils soient armés, « mais je savais qu’ils n’allaient pas venir les mains vides ». Il conteste cependant les trois témoignages qui affirment qu’il serait lui-même l’un des lanceurs de pierres. Un autre témoignage a aidé les inspecteurs. L’une des gendarmes, il en connait personnellement plusieurs, l’avait trouvé trop bienveillant avant les attaques, lorsqu’ils se croisaient sur les barrages. Surtout, juste après la première, vers 8h, soit cinq heures après les faits, il l’a appelé « angoissé et incohérent » pour dire qu’une rumeur le liait à l’assaut, et que surtout, il ne fallait pas y croire. « J’étais paniqué », reconnaît-il.
Son compère, celui qui est surnommé « Alger » est un peu plus âgé. Solidement bâti, l’homme de 47 ans a toujours nié avoir été là, contrairement à ce que disent les auteurs des violences. Selon plusieurs d’entre eux, il serait arrivé en voiture en début de soirée, aurait changé ses vêtements et mis une cagoule noire avec un liseré blanc. Son rôle a alors été de guider les jeunes assaillants en les prévenant à chaque fois des mouvements des gendarmes. Le chauffeur de camions se défend et affirme que ses fonctions dans le collectif de défense font de lui « une cible » pour ces jeunes. Le soir des faits, il dit être resté avec sa femme. Concernant la cagoule avec le liseret blanc et son pistolet d’alarme apportés par sa famille à la brigade (les habitants de son quartier ont empêché la perquisition de son domicile), il se montre évasif.
« Les conséquences de votre initiative malheureuse »
« Habitants de Sada, sachez que les dégradations de vos maisons et vos véhicules, le bus brûlé, ce n’était pas voulu. Ce n’était que des dommages collatéraux. C’était la gendarmerie qui était visée depuis le début », fait remarquer Yann Le Bris, lors des réquisitions. Plusieurs éléments le convainquent de la culpabilité des deux prévenus. Il y a la téléphonie et les cagoules retrouvées chez les deux hommes. Il rappelle que les différents témoignages sont identiques alors que les jeunes « n’ont jamais eu l’occasion de se concerter ». Comme « Maddou » l’a indiqué lui-même, le mobile se trouverait dans la décision du préfet de lever les barrages. « Le barrage représente un symbole. C’est son barrage. Cela lui fait perdre la raison. » A ce titre et alors qu’une quarantaine de personnes des Forces vives sont dans la salle, il indique qu’il ne « porte aucun jugement sur les barrages. Ce n’est pas mon sujet ». Il a, à plusieurs reprises, tenté de s’adresser au public rarement aussi nombreux. « Ils ont pu constater les conséquences de votre initiative malheureuse », souligne-t-il, par exemple, en s’adressant aux deux pères de famille. Sur le fait de ne pas les poursuivre en tant que complices, il explique qu’ils sont autant responsables que les jeunes auteurs du caillassage des gendarmes, puisqu’ils en sont à l’initiative. Cela aurait pu déboucher sur des réquisitions plus lourdes. Mais en raison de leurs profils et des regrets exprimés par « Maddou », qui passe l’audience avec les mains sur son visage, il demande une peine similaire à la plus lourde déjà prononcée dans ce dossier, à savoir celle d’un jeune de 20 ans envoyé pour quatre ans à la prison de Majicavo-Koropa.
Le défenseur de Maddoudine Abdou, maître Jean-Baptiste Kondé, réplique en estimant qu’il y a « des failles » dans les dires du procureur. L’argent promis par les adultes aux plus jeunes n’a jamais été retrouvé, alors que cela a été évoqué plusieurs fois. Il n’y a pas non plus d’images de vidéosurveillance qui confirme la présence de son client lors de l’attaque. Selon lui, les messages trouvés montrent bien un lien entre « Maddou » et les auteurs du caillassage, mais à aucun moment, les textes ne mentionnent la gendarmerie. Il demande à ce que le tribunal ne suive pas les réquisitions, tout comme il souhaite qu’une possible condamnation ne soit pas inscrite au casier judiciaire et l’empêche de travailler dans l’éducation. Pour maître Askani Moussa, la constance d’« Alger » quand il dit qu’il n’était pas là joue en sa faveur. Selon l’avocat, il « n’y a pas de preuves » contre lui, simplement les déclarations des uns et des autres. Que la réputation de son client n’est plus à faire. « Vous avez parlez des habitants qui sont victimes. Mais comment expliquer que ces habitants sont amenés ici à les défendre ? », questionne-t-il. Il le décrit comme pacifiste et non-violent, oubliant qu’« Alger » se disait, en garde à vue, « prêt à défendre son île, même en utilisant la violence ». Maître Askani Moussa demande sa relaxe.
Le tribunal correctionnel a cependant jugé que la matérialité des faits était constatée et a reconnu les deux hommes coupables des destructions des biens d’autrui et des violences aggravées sur les gendarmes présents ce soir-là. La provocation à un attroupement armé a aussi été retenue contre « Maddou ». Les deux hommes ont été condamnés à quatre ans de prison ferme avec mandat de dépôt. La centaine de soutiens encore présents a quitté alors le tribunal judiciaire de Mamoudzou, vendredi soir, avec un air dépité. Les avocats ont laissé entendre qu’ils pourraient faire rapidement appel.