Soimidine Mohamed Bacar a été reconnu coupable de vol avec arme et de violences commises sur deux agents de l’Office français de la biodiversité en mars 2021, dans la commune de Bandrélé. La cour d’assises de Mayotte le condamne à quatorze années d’emprisonnement ferme, soit le double de la peine prononcée à l’encontre du deuxième accusé, Biaydine Houmadi.
Trois jours durant lesquels ils ont attentivement scruté la présidente de l’audience, Nathalie Brun. Trois années qu’ils attendaient ce procès. Les deux agents de l’Office français de la biodiversité ont pu quitter le banc des parties civiles lorsque le couperet est tombé, ce mercredi, à la cour d’assises de Mayotte. Soimidine Mohamed Bacar, un colosse de 43 ans, identifié et déjà condamné pour avoir organisé des passages de kwassas entre Anjouan et Mayotte, écope de quartorze années d’emprisonnement fermes pour avoir sauvagement agressé un agent de l’Office français de la biodiversité (OFB), le 12 mars 2021, alors qu’il guettait l’arrivée d’une embarcation avec trois personnes à son bord. Le deuxième participant à cette violente embardée, de vingt ans son cadet, s’est vu infliger une peine conséquente, mais moins longue : sept années d’emprisonnement ferme. « Un dossier en connexion totale avec l’actualité en termes de manque de respect total de l’autorité », dans les mots d’Albert Cantinol, avocat général. Le ministère public avait requis douze ans d’emprisonnement contre Soidimine Mohamed Bacar et huit ans pour le second accusé, le seul à avoir – partiellement – reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Un deuxième agent de l’OFB, obligé d’ouvrir le feu pour disperser les agresseurs, s’était constitué partie civile.
Dangereux guet-apens à Bambo-Est
Le 12 mars 2021, Sidi N. et Prince H., deux agents expérimentés de l’Office français de la biodiversité, sont appelés à intervenir sur la plage de Saziley, au sud de M’tsamoudou. Les actes de braconnage sont nombreux en cette période et plusieurs signalements ont été effectués sur ce site de ponte des tortues vertes. Mais rapidement, au lieu de repérer des tueurs de tortues en flagrant délit, les agents aperçoivent au loin un kwassa avec trois personnes à bord sur le point d’accoster à Bambo-Est, plus au nord en direction de Bandrélé. Les deux agents prennent l’initiative de contrôler les passagers. Avec l’aide d’un pêcheur, ils parviennent à atteindre le lieu de « beachage », où le kwassa était censé accoster. Un accueil hostile leur est réservé : cinq individus leur lancent des projectiles avant d’être rejoints par une vingtaine de personnes, sorties de la végétation.
Prince H., la quarantaine, parvient à remonter dans la barque. Sidi N., douze ans de plus, n’a pas la même vivacité face au danger. Rattrapé par le groupe, il est roué de coups de pied, et reçoit plusieurs coups de poings, ainsi que des cailloux. Sidi N. est armé d’un Glock 17, comme l’ensemble des agents de l’OFB en patrouille sur l’île. Un individu parvient dans l’échauffourée à défaire le ceinturon de l’agent, sur lequel se trouvaient également deux chargeurs dotés de 17 cartouches, un bâton de défense et une paire de menottes. Voyant son collègue en difficulté, Prince H. ouvre le feu à quatre reprises en direction des agresseurs, sans blesser personne. La foule est dispersée et Sidi N. remonte dans la barque, choqué. Il fait état de contusions au niveau du côté droit du dos, d’hématomes au bras gauche, de plaies sur les mains, aux genoux et d’abrasions sur l’ensemble du corps. Quatorze jours d’incapacité totale de travail lui seront prescrits.
Le sud de l’île est alors placé sous cloche par la gendarmerie, après la fuite des auteurs à bord de deux ou trois barques en direction du sud. Des barrages de forces de l’ordre passent au peigne fin les véhicules qui circulent. La police aux frontières est également mobilisée, mais les individus ne seront pas retrouvés. Les gendarmes ne mettront pas non plus la main sur l’arme de service de Sidi N., dérobée pendant l’agression de l’agent. La barque échouée à Bambo Est est saisie, tout comme un deuxième kwassa localisé à proximité.
Biaydine Houami, surnommé « Biay », un jeune homme né en 2003 aux Comores, sera mis en cause plusieurs semaines après par des témoins. Il se serait vanté auprès de ces derniers d’avoir « caillassé des gendarmes » (en réalité des agents de l’OFB) le jour des faits, alors que son groupe était en train de réceptionner des kwassa kwassa. Le jeune homme, désigné par Sidi N. comme le « rasta » aux longues dreadlocks qui a posé une machette sur son cou, aurait même précisé qu’il avait l’intention de se couper les cheveux pour ne pas être reconnu. C’est raté. Biaydine sera interpellé le 25 juin 2021. Il expliquera alors aux enquêteurs qu’il revenait de vacances à Anjouan en kwassa kwassa, le 12 mars.
Et reconnaîtra finalement qu’il a aidé le groupe à attraper l’agent de l’OFB, sans toutefois admettre avoir asséné des coups et menacé Sidi N. avec une machette. Le deuxième mis en cause, Soimidine Mohamed Bacar, était quant à lui en détention provisoire (depuis avril 2021) lorsqu’il a été identifié par les enquêteurs. Les écoutes téléphoniques mises en place dans le cadre de cette information judiciaire démontrent que le quadra s’est – lui aussi – targué d’avoir roué de coups une personne. « J’ai pris quelque chose de dur et lourd qui pourrait peser environ quatre kilogrammes et j’ai continué à frapper avec ça tellement fort dans le ventre qu’il a commencé à crier comme si il allait mourir en disant ‘au secours, au secours’ (sic) », raconte-t-il à celui qu’il appelle « Carotte », à 12h16, le jour des faits.
Une affaire « un peu atypique »
Les recherches effectuées dans l’objectif d’identifier les autres personnes présentes restent vaines. Prince H., l’agent de l’OFB qui a échappé au lynchage avant d’ouvrir le feu, fait part d’un stress post-traumatique « modéré voire sévère », lié à « l’irruption inopinée de la mort », souligne une expertise psychologique. Son collègue, blessé physiquement, aura besoin de « plusieurs années pour se remettre de ce vécu », conclut l’expert mandaté.
« Cette triste affaire qui date maintenant de trois ans en arrière a fait grand bruit au sein de l’OFB parce que c’est un organisme qui a vocation à défendre la nature, l’écologie et les grands principes de préservation de l’environnement », déclare Erick Hesler, avocat des deux parties civiles, lors de sa plaidoirie. Si le tribunal correctionnel, si ce n’est la cour d’assises, a l’« habitude de voir des policiers dans les parties civiles », il s’agit là d’une affaire « un peu atypique », rajoute-t-il, avant de rappeler que les deux agents des « brigades vertes » sont encore aujourd’hui « lourdement affectés ». « A cet effet, ils ont besoin d’être soutenus pour pouvoir se réparer et sortir de cette situation le plus tôt possible. »
Pour l’avocat général, si réponse il doit y avoir, c’est par un « message de fermeté ». « Les deux endossent la responsabilité de ce qui est une scène inique de violence. C’est ce qu’on appelle la coaction », fait valoir Albert Cantinol. Ce dernier n’a pas hésité à souligner le rôle de premier plan qu’aurait joué Soimidine Mohamed Bacar dans cette affaire, par le nombre « extrêmement important de messages envoyés à ses lieutenants », dans des « conversations édifiantes ». Le quadragénaire, détenu pour autre cause, a cependant nié toute implication pendant l’instruction et son procès. Il en est même venu à contester sa présence sur les lieux le jour des faits. « Il a essayé de tromper votre religion avec des réponses qui ne tiennent pas la route », tranche le ministère public en s’adressant aux jurés.
A la défense, l’avocate Mélanie Trouvé estime que le « vol » de l’arme de service n’est pas caractérisé et s’en tient aux déclarations de son client, Soimidine Mohamed Bacar : « il assure qu’il n’était pas sur les lieux des faits ». Son confrère, maître Ahmed Idriss, fait quant à lui part de ses doutes quant aux témoignages qui inculpent Biaydine Houmadi, mineur au moment des faits. « Il y a des éléments objectifs qui nécessitent une disparité dans la peine que vous allez infliger », quémandait la robe noire.
La cour d’assises a condamné Soimidine Mohamed Bacar à quatorze années d’emprisonnement ferme, soit le double de la peine prononcée à l’encontre de Biaydine Houmadi.