Avant les élections interprofessionnelles (lire encadré), les 1er et 8 décembre, une délégation de l’Unité SGP-Force ouvrière était en visite à Mayotte pendant trois jours. Outre la campagne électorale, le secrétaire général adjoint Unité SGP Police FO, Jérôme Moisan, a pu se rendre compte quelles sont les conditions de travail des policiers locaux.
Flash Infos : Quelle est la raison de votre présence à Mayotte, ces jours-ci ?
Jérôme Moisan : On voulait venir au contact des responsables de nos structures dans les territoires, des agents, faire le point sur leurs appréciations de notre action, leur expliquer nos ambitions et les écouter surtout. On a un maillage de délégués, mais c’est important de venir écouter les collègues nous expliquer leur quotidien avec leurs émotions, leur prisme. En période électorale, pour nous qui sommes en responsabilité nationale, on n’a pas de commissions, de comités ou de réunions, ça nous libère du temps pour nous déplacer en Outre-mer. Ça nous permet de nous imprégner des problématiques pour qu’on ne soit pas en décalage quand on porte la parole des collègues à l’échelon central.
FI : Vous avez pu rencontrer les différents services ?
J.M. : Oui, on est allés à la Paf (Police aux frontières) le premier jour, au commissariat hier (ce mardi 12 octobre). On a rencontré le directeur territorial de la police nationale (N.D.L.R. le commissaire Laurent Simonin). On y retourne ce mercredi matin pour boucler notre séjour avant de repartir pour La Réunion.
FI : Qu’est-ce qui ressort de vos échanges ?
J.M. : Beaucoup de collègues parlent de l’ultraviolence à laquelle ils sont confrontés, particulièrement en lien avec le fléau de l’immigration. C’est le quotidien des collègues. La plupart des unités pourchassent les clandestins pour les mettre à disposition des autorités. C’est une action de police qui commence à être très tendue, compliquée, avec une exposition aux risques. Beaucoup de collègues ont l’expérience de cités en métropole où il y a parfois des situations qui s’assimilent à une situation insurrectionnelle avec de la guérilla urbaine. Là, ils nous disent que c’est autre chose.
FI : Les conditions d’exercice varient selon les territoires. Est-ce que Mayotte est un territoire d’exception ?
J.M. : On avait un éclairage. Mais dès qu’on touche du doigt, forcément l’impression est différente. C’est vrai qu’il y a une situation extraordinaire, inquiétante même. Il y a une vraie hostilité. Malgré les moyens déployés, nautiques, aériens, c’est compliqué d’éviter les afflux de migrants. C’est une population qui est amenée à augmenter. Plus de monde et plus d’hostilité, c’est un cocktail dangereux pour les forces de l’ordre.
FI : L’un des plus gros problèmes ici, c’est le phénomène de bandes. L’avez-vous vu ailleurs ?
J.M. : Oui, cet ancrage de territoire et sa défense existent particulièrement dans les banlieues françaises. On a l’impression que les bandes s’approprient une portion de territoire et le défendent becs et ongles. Effectivement, on ne s’attendait pas à retrouver ce phénomène à Mayotte. On voit ça plutôt dans des zones très denses comme les cités.
FI : Les policiers ont également la sensation d’être attaqués beaucoup très facilement.
J.M. : Nous, de toute manière, on a eu une exigence particulière au niveau de la justice, d’avoir une réponse forte à l’endroit de ceux qui sont auteurs d’infractions envers les policiers. Ces derniers s’engagent dans la sécurité des concitoyens, c’est la collaboration de la justice et de la police qui peut y parvenir. On protège tout le monde sans distinguo, on attend que la justice ait une approche toute particulière des affaires dans lesquelles les policiers sont victimes.
FI : Quel type de demandes est justement remonté ?
J.M. : Les policiers demandent qu’il y ait comme préoccupation principale leur intégrité physique. Donc les demandes tournent autour d’éléments matériels, les véhicules sont très vite endommagés. Il y a un vrai besoin technique pour que le parc roulant reste en état. On a parlé aussi de protections individuelles. Quand les collègues mettent le pied à terre, ils doivent se sentir protéger avec des pare-cous, des casques, des boucliers en cas d’affrontement. On a un petit souci aussi sur le gilet tactique modulaire qui permet de porter des plaques pare-balles visibles et porter toutes sortes d’équipement sans contraindre le bassin. Ça existe en métropole et c’est parvenu ici de manière sporadique. On a refait une demande pour que toutes les équipes qui luttent contre l’immigration en soient équipées. Et on a un souci de radio. Dans la police, c’est pourtant essentiel. Le matériel est vieillissant et il y a un gros problème de couverture réseau. Il reste des zones d’ombre et cela crée des situations où les collègues peuvent être coupés du reste.
FI : Qu’est-ce que vous pensez des moyens alloués à Mayotte ? Il y a quand même des avancées avec du renfort arrivé en septembre.
J.M. : La situation de Mayotte semble être prise en considération. L’allocation d’effectifs en témoigne. C’est compliqué d’allouer sur un département 90 collègues par an comme c’est le cas récemment. Après, il va falloir peut-être travailler sur l’aspect qualitatif. Il va falloir penser à spécialiser les agents sur certaines formes de délinquance. Évidemment, sur un terreau comme celui-là, on va avoir de la criminalité, des bandes organisées. Alors qu’il n’y a pas de police judiciaire à Mayotte, il va falloir développer des groupes d’enquête qu’on déconnectera un peu de la délinquance de masse.
FI : Pourtant, la réforme annoncée de la police judiciaire ne va pas forcément dans ce sens.
J.M. : Oui, c’est plutôt l’effet inverse. Mais ce qui conduit aussi à biner l’outil police judiciaire en métropole, c’est cette obstination à vouloir tout départementaliser. En métropole, la PJ est souvent une compétence territoriale qui va bien au-delà des départements. Et c’est aussi parce que les champs d’action sont aussi vastes qu’on peut avoir des effectifs spécialisés en fonction des délinquances. Sur Mayotte, on ne parviendra jamais à ça. Mais ce qu’il faut, ce sont des groupes d’enquêteurs parce que les bandes organisées, ça demande des temps d’enquête plus longs.
Un choix entre deux blocs syndicaux
La particularité de ces élections interprofessionnelles dans le corps policier, les 1er et 8 décembre 2022, tient au nombre de listes présentées. Il n’y en a que deux, cette année. En effet, treize organisations syndicales, dont les chefs de file sont l’Unsa et Alliance, ont décidé de s’allier autour d’un seul bloc. Cette manœuvre vise à contrer la majorité formée par l’Unité SGP Police-Force Ouvrière aux dernières élections. « Ils ont peur de nous. Ils ont fait ça pour la première fois alors qu’ils ne s’entendent pas d’habitude », indique Jérôme Moisan, le secrétaire général adjoint Unité SGP Police FO. Celui-ci ne semble pas inquiet puisque si le bloc de treize obtient la majorité, il assure qu’il se délitera ensuite.
Bientôt des munitions intermédiaires pour les policiers
Promises par le ministère de l’Intérieur, Gérald Darmanin, lors de sa dernière visite à Mayotte, des munitions intermédiaires comme celles utilisées par le Raid seront bientôt allouées aux policiers de Mamoudzou. La dérogation étant en vigueur, ne restent que l’équipement à acquérir et les formations à suivre pour les membres de la brigade anticriminalité (Bac). Selon une source policière, ces munitions pourraient rejoindre l’équipement policier « d’ici la fin de l’année ». Elles s’ajouteront ainsi aux grenades lacrymogènes et lanceurs de balle de défense employées aujourd’hui dans les affrontements avec les bandes. Quant aux drones en cours d’acheminement, des négociations sont en cours avec le Département de Mayotte concernant l’octroi de mer.