Sur le terrain aux côtés des gendarmes de Sada

Sécurité routière, patrouilles de proximité, interventions, prises de renseignement… Les missions des gendarmes départementaux sont nombreuses à Mayotte. Nous avons pu suivre pendant une matinée deux militaires affectés à la brigade de gendarmerie de Sada. Reportage.

Il est un peu plus de 7h, ce vendredi matin, à la gendarmerie de Sada. Le major Franck Martinelli, commandant des 24 militaires affectés à la brigade locale, est en bout de table, dans le réfectoire. Le ton est amical et l’ambiance plutôt familiale au petit-déjeuner. A la tête de la brigade depuis décembre 2022, le commandant est fier de nous présenter les hommes et femmes chargés du maintien de l’ordre dans cette brigade qui rayonne sur quatre communes : Tsingoni, Ouangani, Chiconi et Sada, pour une superficie cumulée évaluée à 72 km2. Ce vendredi matin, nous embarquerons avec deux gendarmes locaux. Abdel, neuf ans de gendarmerie dans les jambes et un concours d’officier de police judiciaire passé avec succès il y a un an, et Abchi Ben, affecté à Mayotte après trois années en tant que gendarme mobile dans l’Île-de-France, nous emmènent sur une de leur patrouille de prévention quotidienne.

Pas de « train-train »

8h10. Le talkie-walkie d’Abdel grésille pour la deuxième fois. Alors que les deux gendarmes s’apprêtaient à partir en direction du village de Barakani, dans la commune de Ouangani, leur présence est sollicitée quelques kilomètres plus loin sur un accident de la route entre Miréréni et Vahibé. Il s’agirait d’un « choc frontal » entre un véhicule léger et un deux-roues, selon les premiers éléments communiqués. En parallèle à la sécurisation nécessaire des lieux sur cette route très fréquentée le matin, les deux gendarmes veulent arriver au plus vite sur place pour faire souffler le conducteur. Les accidents sont fréquents, et souvent imputables à la consommation d’alcool, dans le secteur. Mais, même pied au plancher, quinze longues minutes de trajet seront nécessaires pour rejoindre la scène, où le Smur (Structure mobile d’urgence et de réanimation) et les pompiers sont déjà présents.

Au beau milieu de la route, un homme gît au sol. Sur place, un témoin interpelle les gendarmes et raconte des brides de circonstances : la voiture impliquée aurait dévié de sa trajectoire et le pilote du deux-roues n’a pu l’éviter. Le jeune homme, en arrêt cardiaque dans un premier temps, s’en sortira : un pompier volontaire est parvenu à la réanimer avant l’arrivée des secours. L’écart qui a conduit à la collision n’est pas dû l’alcool, comme le révèlent les résultats de son éthylotest. Sous le choc, l’homme, qui se rendait au travail, fournit ses documents d’identité aux deux gendarmes. Après ces constatations et pendant une heure environ, les militaires et la police municipale de Tsingoni se chargeront de réguler la circulation afin de faciliter le départ des secours et l’arrivée de la dépanneuse pour emmener le scooter.

Une fois la voie dégagée, Abdel et Abchi Ben prennent la direction de Barakani afin de constater des dégradations sur le portail de l’école maternelle. Si l’établissement est équipé d’un dispositif de vidéosurveillance, le parvis et l’équipement sportif extérieur – un complexe presque neuf avec un terrain de basket et un autre de football – échappent aux caméras. Difficile de comprendre le sens des quelques mots et abréviations « graffés » en noir sur le portail. Abchi Ben demande à un jeune présent à proximité s’il a vu les auteurs. On n’en saura pas plus sur le modus operandi. L’œuvre illicite est prise en photo et le cap est mis sur la plage de Sohoa, à Chiconi, un autre « point sensible » où les gendarmes sont fréquemment appelés.

On passe de l’accident aux dégradations, puis à la patrouille plus classique. Il n’y a pas de « train-train ». C’est ce qui plaît à Abchi Ben. Le jeune gendarme affectionne ces patrouilles et le contact avec la population. Comme Abdel, sa maîtrise du shimaore et du shibushi lui permet d’échanger facilement avec les habitants et donc de prendre des renseignements utiles pour les enquêtes. Il faut dire que l’omerta fait parfois obstacle à la manifestation de la vérité. « Pendant un moment, j’ai beaucoup ressenti cette culture du silence à Miréréni », souligne-t-il. Depuis une dizaine d’années, un conflit perpétuel oppose les bandes de jeunes à des groupes du village voisin, Combani. L’unique motif rationnel qui permettrait d’expliquer les causes de ce divorce inter-villages repose sur des explications géographiques. Les habitants de Miréréni viennent dans leur grande majorité de l’île d’Anjouan, quand ceux de Combani sont originaires de Grande Comore. Dans leur discorde, les assaillants trouvent toutefois des projets communs : ils parviennent très souvent à créer un semblant d’union pour caillasser les gendarmes appelés pour les séparer.

« Il y a toujours un meneur »

Pour Abdel et Abchi Ben, ces bandes disposent d’une hiérarchie clairement établie. « Dans tous les villages où on est « emmerdé », il y a toujours un meneur », décrit le premier. En communiquant sur les réseaux via des groupes, l’adversaire se réarticule et fait même appel à des renforts pour mettre en difficulté les gendarmes. « Ils ont l’avantage du terrain et sont très mobiles », rajoute Abchi Ben. Dans les autres communes chapeautées par la brigade, la plupart des caillassage signalés prennent pour racine des motifs plus futiles les uns que les autres. « Ça peut partir d’un regard de travers dans une cour d’école », prend pour exemple Abdel. Récemment, des affrontements violents ont opposé des jeunes collégiens de Kahani à d’autres élèves de Ouangani.

Les enquêtes déclenchées après coup sont souvent semées d’embûches. Les gendarmes doivent par exemple composer avec le silence des témoins qui ont peur des représailles. « S’il y a une agression à Miréréni et que personne n’appelle la gendarmerie ou vient déposer plainte, on ne peut pas être au courant. Quand on passe sur place, des gens nous interpellent parfois, sans savoir que nous n’avons pas été informés », illustre Abdel. Pourtant, des boucliers juridiques existent. « Les gens peuvent, par exemple, témoigner anonymement, c’est-à-dire sans que leur identité soit dévoilée dans la procédure », souligne Abchi Ben.

Cette année, en plus des enquêtes autour des vols et des violences qui prennent lieu et place dans son rayon d’intervention, la brigade de gendarmerie de Sada va poursuivre la lutte contre « les complicités locales » de l’immigration irrégulière. « Toute une économie souterraine est mise en place », déplore Franck Martinelli.

Pour cela, l’arrivée prochaine d’une brigade de gendarmerie à Combani (tandis qu’une autre sera à Dzoumogné), prévue en mai, devrait permettre aux gendarmes affectés à Sada de se pencher davantage sur ces enquêtes plus complexes.

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