La montée de la violence à Mayotte pousse les habitants à se faire justice ou à trouver des solutions par leurs propres moyens. C’est en ce sens que Kamardine Ahmed a imaginé « les rôdeurs nocturnes ». Une association qui aura pour mission de sécuriser les routes de Mayotte grâce à des bénévoles implantés sur les quatre coins de l’île.
On ne compte plus le nombre d’agressions qui ont lieu chaque semaine sur le territoire. La population de Mayotte manifeste un réel ras-le-bol qui pousse certains à imaginer de nouvelles solutions pour en finir avec ce climat d’insécurité. Parmi ces personnes se trouve Kamardine Ahmed. C’est dans l’intérêt de ses enfants et de ceux des autres que le père de famille a imaginé « les rôdeurs nocturnes ».
Encore en phase d’élaboration, ce mouvement a pour objectif de « protéger aussi bien les automobilistes que les sorties d’école », indique Kamardine Ahmed. Le penseur du projet dit s’inspirer des « 500 Frères », un collectif créé en Guyane en 2017 alors que la violence était à son paroxysme dans cet autre département d’Outre-mer. À la différence de leurs homologues guyanais, les rôdeurs nocturnes acceptent également les femmes. Le seul critère à respecter est l’âge. « J’aimerais qu’il y ait des gens assez matures, donc nous prendrons des bénévoles qui ont plus de 25 ans », précise Kamardine Ahmed, impatient d’apporter la paix et la sérénité dans le 101ème département.
Ces personnes devront effectuer des rondes dans certains quartiers et villages sensibles de l’île à partir de la tombée de la nuit jusqu’au petit matin. « Je me suis rendu compte que la majorité des délits commis sur les routes se déroulent le soir ou à l’aube. Mais cela ne nous empêchera pas de circuler également en journée », indique l’initiateur du projet. Ce dernier refuse de dévoiler toute sa stratégie pour « garder l’effet de surprise », mais il l’assure, il a pensé et élaboré son idée durant de longs mois avant de l’annoncer. Parmi les stratégies qu’il souhaite mettre en place figure la formation des bénévoles. « Il faut s’attendre à ce qu’il y ait des accrochages ou des agressions, c’est la raison pour laquelle tous ceux qui veulent intégrer le projet devront se soumettre à des stages, des tests et des exercices de simulation avant d’aller sur le terrain. Je ne veux pas de gens qui n’arrivent pas à se contrôler. » Kamardine Ahmed veut éviter d’en arriver à une situation similaire à celle des trois hommes de Petite-Terre accusés d’avoir séquestré et tué un jeune homme prétendu délinquant.
« L’idée n’est pas de se transformer en milice »
Simple citoyen, Kamardine Ahmed appelle d’autres habitants lambdas comme lui à l’aider pour lutter contre le fléau de la délinquance à Mayotte. Il sait donc que les membres de l’association devront respecter les limites. « L’idée n’est pas de se transformer en milice, mais de monter une organisation qui soit approuvée par les autorités. Nous n’oublions pas que nous sommes dans un pays de droit et que nous ne pouvons pas nous positionner au-dessus des lois. » Pour cela, il souhaite s’allier aux forces de l’ordre. « Nous leur tendons la main et nous espérons qu’elles vont l’accepter. » Pour Kamardine Ahmed, cette collaboration est aujourd’hui nécessaire puisque le lien entre la population, la police et la gendarmerie serait rompu selon lui. « Nous allons jouer la carte de la proximité pour restaurer cette confiance qui s’est perdue », précise le père de famille. Il a notamment pour ambition d’intégrer les habitants de chaque village et quartier de l’île dans sa politique de reconquête en demandant des informations auprès de ceux qui connaissent mieux leurs territoires, et en les responsabilisant.
Des limites à ne pas franchir
Si l’initiative de Kamardine Ahmed est louable, elle doit prendre en compte les lois de la République. « Il existe un dispositif en France qui permet uniquement à la population d’avoir un rôle de surveillance, cela ne va pas au-delà. Et quand les personnes constatent un fait, elles doivent alerter les forces de l’ordre », indique Elad Chakrina, avocat. Ce dispositif place le maire de la commune dans laquelle il se déploie au centre de l’organisation pour qu’il puisse encadrer la participation. « La gendarmerie ou la police, le maire et les citoyens doivent travailler main dans la main pour que l’action puisse être menée à bien. Et la préfecture doit avoir les rapports qui dressent une analyse de la situation et les solutions à apporter avant de signer le protocole », précise l’avocat. Selon lui, il faudrait également des référents connus par les forces de l’ordre et les communes respectives pour faciliter les échanges.
Les bénévoles qui voudront devenir des rôdeurs nocturnes doivent être sensibilisés à la question de la responsabilité pénale en cas d’agression. « Si une personne se fait taper dessus, dans le cadre de la légitime défense elle peut se défendre mais ne peut pas utiliser une force trop importante ou disproportionnée », rappelle Elad Chakrina. C’est là tout l’enjeu puisque la légitime défense est très limitée en droit. Les futurs rôdeurs nocturnes devront donc redoubler de vigilance pour ne pas se faire justice et éviter que la situation se retourne contre eux. Plus facile à dire qu’à faire !