Après la manifestation spontanée des lycéens de Younoussa Bamana lundi dernier, la marche blanche de samedi a connu à nouveau une forte mobilisation, avec le soutien des élèves de Kawéni, mais aussi d’enseignants et de parents des quatre coins de l’île. Si l’heure était plutôt à l’hommage, les revendications des jeunes cherchaient toujours des réponses, après la perte de deux de leurs camarades à la sortie des cours.
“Tirez fort ! C’est pas droit ! Les banderoles, bien haut !” Il est tout juste 8h30 et la voix qui sort du mégaphone joue les chefs d’orchestre en attendant les retardataires. Devant le lycée Younoussa Bamana, la foule toute en blanc est déjà bien dense, et une centaine d’élèves de Kawéni ne va pas tarder à venir grossir les rangs des manifestants du jour. En tout, ils seront près d’un millier à battre le pavé entre l’établissement scolaire endeuillé et la place de la République, ce samedi matin.
Les plus matinaux en auront profité pour peinturlurer leurs pancartes, leur t-shirt et même leur front, de messages en hommage à leurs camarades décédés, en particulier Momix, élève en seconde à Mamoudzou. Le mot d’ordre ? La paix, qui semble pourtant bien fragile depuis son agression mortelle le 15 avril dernier, soit une semaine après celle de Miki, à Mtsangadoua, décédé le 9 avril. “Cette manifestation doit être un signe d’espoir qui fera que l’on sera écouté, et que l’on compte ! S’il-vous-plaît, pas de cri, c’est une marche pour la paix”, reprend une autre voix amplifiée dans les baffles.
“En un jour, ton ami peut devenir ton ennemi”
Mais ces appels répétés n’occultent en rien les franches revendications de justice et de sécurité qui s’étalent sur les cartons brandis ici et là tout comme dans les discours. “Je suis venu pour rendre hommage à mon ami qui est parti, il avait rien demandé. Et aussi pour qu’on puisse avancer, parce qu’on en a marre de cette violence, ça nous bloque dans nos études, en un jour, ton ami peut devenir ton ennemi”, déverse Abdillah, élève en Terminale au lycée Bamana.
Après la marche blanche dans le nord en honneur à Miki, et la manifestation des lycéens lundi, la mobilisation de ce samedi a continué de brasser large. “Aujourd’hui, il y a plus de monde, il y a même les profs qui nous soutiennent et les parents”, notent Yani, Ahmed et Youssouf, tous trois présents lundi dernier. L’autre pas de côté selon eux ? “On n’est pas là pour parler à des responsables politiques ou quoi. On est plus là pour montrer que la jeunesse est présente. Et aussi pour que notre île soit enfin reconnue pour autre chose que pour la violence, comme une île qui se développe”, soulignent-ils.
Des absences remarquées
Reste que les élèves attendent toujours des réponses à leurs revendications. Des doléances qui concernent l’ensemble des établissements scolaires de l’île, en proie à des violences chroniques qui s’invitent jusqu’aux portails. D’où la présence des élèves du LPO de Kawéni venus chanter “Bassi Ivo” aux côtés de leurs camarades de Mamoudzou. “Les élèves sont venus de leur propre initiative, pour montrer leur solidarité. Mais je pense qu’on n’est en effet pas à l’abri, on est tous concernés par cette problématique, même si heureusement, nous n’avons pas eu de mort”, souligne Delphine, enseignante au lycée professionnel présente elle aussi au milieu des t-shirts blancs.
Pour certains d’ailleurs, les absences de certains responsables, comme le maire de Mamoudzou, le préfet ou le recteur, font tâche. À la place, deux adjoints à la mairie de Mamoudzou, et un chanteur. La faute du souvenir un peu chahuté de lundi dernier, où le premier magistrat Ambdilwahedou Soumaïla avait été chahuté par la foule en colère ? “Le maire est en conseil municipal et il m’a demandé de le représenter. Moi-même j’ai été hué, et ce n’est pas un problème, la jeunesse vit une situation difficile et nous sommes tous responsables”, balaie Mohamed Saïd Djanfar. Au même moment ou presque, l’édile et le responsable d’académie inauguraient en réalité le nouveau nom du lycée des Lumières à quelques kilomètres de là…
Pendant ce temps, les rivalités perdurent
“On aurait bien aimé qu’ils viennent… Au lieu de ça, on a le chanteur de “Bassi Ivo”, bon, c’est un petit bonus”, soupirent d’une même voix Ouxim, Anane et Neil, tous les trois en Terminale au lycée Younoussa Bamana. “Nous, on aimerait bien partir en sachant qu’on laisse nos frères et soeurs entre de bonnes mains. Là toutes les réponses qu’on a eues, c’est qu’ils vont refaire la clôture du lycée… Mais les problèmes de fond, les rivalités de quartiers qu’on connaît depuis un bon moment, ces problématiques-là ne sont jamais traitées”, déplorent-ils.
Un discours qui résonne d’ailleurs avec celui du proviseur de l’établissement, qui assiste un peu en retrait aux prises de paroles des camarades de Momix, sur la place de la République. “On a parfois des propos ubuesques de parents, qui nous demandent presque de fermer des lycées pour ouvrir des prisons !”, rapporte Laurent Prévost. “Il faut une vraie prise de conscience de la population mahoraise dans son ensemble, et mettre fin à cette posture délétère vis-à-vis des étrangers qui amène à cette violence-là”, poursuit le proviseur. “Nous, nous en sommes les premières victimes, dans l’éducation. Et nous ne pouvons que le subir.”