Dans une vidéo diffusée sur le net, Gérard Rouvera apparaît ensanglanté, le visage maculé. Il rapporte avoir été agressé par des jeunes à la pointe de Koungou, lundi, au retour du lycée de Dzoumogné. Son collègue, Patrick Dedieu, témoigne à sa place, avec son autorisation.
« Il s’est vu mourir. » Patrick Dedieu, professeur au lycée de Dzoumogné, sera notre seul témoin de ce qu’a vécu son « collègue ami », Gérard Rouvera, blessé lundi. Depuis son agression par des jeunes à la pointe de Koungou, « tout près de chez lui », ils échangent par téléphone. Selon le premier, « il ne veut pas en parler, il est trop fatigué. »
Dans une vidéo partagée sur les réseaux sociaux, l’homme de 62 ans apparaît en sang, complètement hagard, en train de se faire soigner, « certainement chez un membre de sa famille », juste après l’agression. Patrick Dedieu l’a visionnée mardi. « Ça fait trois ans que l’on discute tous les jours, on boit le café ensemble. Je ne l’ai pas reconnu. Ce n’est pas le même visage. » C’est un collègue qui informe qu’une attestation d’arrêt de travail a été envoyée à la direction du lycée au nom de Gérard Rouvera. Concertés, Patrick Dedieu parle en son nom pour retracer cet événement. Pour lui, « Gérard a failli mourir sur le champ de l’éducation. »
Ce professeur d’histoire, géographie et de français rentrait du lycée, lundi, dans l’après-midi, quand sa voiture a commencé à être entourée par des jeunes à un barrage. Gérard Rouvera reçoit des coups sur la tête. « Ils l’ont massacré. » Il n’a pas de souvenirs de ce qu’il s’est passé ensuite, ni comment il est rentré. « Je pense qu’on l’a déposé. » Il ne serait pris en charge par les secours que trois ou quatre heures après pour être conduit au centre hospitalier de Mayotte (CHM). Le crâne est fracturé. Un muscle du bras est coupé. Le blessé rentre chez lui le soir-même et a déposé une plainte en gendarmerie. « Mais il n’a aucune information sur son état de santé, ce qu’il doit faire. » C’est son frère médecin en métropole qui le conseille. La compression au crâne l’empêcherait de prendre l’avion pour être évacué.
« C’est sidérant parce que ce sont des jeunes qu’on côtoie »
« Là, c’est en train de retomber. Il se sent désemparé et souffre certainement d’un syndrome post-traumatique, comme on n’en parle pas assez chez les enseignants. Ça fait quinze ans qu’il vit ici, il aime vraiment Mayotte. Il ne me l’a pas dit comme ça mais je pense qu’il va partir », raconte Patrick Dedieu à qui cette histoire fait penser à d’autres récits de collègues partis du jour au lendemain après avoir dû se calfeutrer sous des tables de classes avec des élèves ou subi une agression, un billet d’avion vers la métropole. Il a notamment le souvenir d’un enseignant de la trentaine d’années, agressé, mâchoire cassée. « Ce sont des séquelles que l’on garde à vie. »
« Depuis six ans, il y a eu au moins cinq enseignants agressés, rien que pour ce lycée », indique-t-il. « C’est sidérant parce que ce sont des jeunes qu’on côtoie quotidiennement. On ne sait pas si on va en voir le bout. » Il regrette le manque de psychologues mais aussi de consignes de la part du rectorat. Même si, rappelle-t-il, la direction n’oblige aucun enseignant à se rendre au travail, où le lycée ne compterait qu’environ 20 élèves par jour sur les 700 scolarisés et où des professeurs, bloqués par les barrages, ne seraient pas revenus depuis deux mois. « La semaine dernière, des élèves trouvaient encore le moyen de venir en traversant à pied les barrages et en sautant de taxis en taxis, mais ils ne prennent plus le risque. »
« À quoi ça sert ? », s’interroge-t-il. Dans un groupe WhatsApp qui regroupe plusieurs enseignants partagés entre « le découragement, la sidération et la colère », la décision est prise, qu’au retour au lycée, il y ait une discussion autour des évacuations. Mais aussi sur quoi faire lorsqu’il y a des barrages. « Lorsque l’établissement est ouvert, des enseignants essaient quand même de venir pour voir s’il y a des élèves. Il faudrait dire que c’est trop dangereux. »