Exceptée une légère trêve, la route vers le port de Longoni est toujours bloquée par des barrages filtrants. Rencontrés ce lundi, les barragistes disent appliquer la charte des Forces vives à la lettre afin de laisser passer collecteurs de déchets ou encore marchandises le week-end tout en continuant le mouvement pour lutter contre l’insécurité par leur action sur le terrain.
« Si ! On laisse passer, on a reçu la liste des plaques ! », coordonne Ibou, au barrage de Longoni, remis en place la semaine passée, après quelques petits jours d’arrêts après des appels de représentants des Forces vives à lever les barrages. Grâce aux plaques d’immatriculations envoyées aux barragistes par le Sidevam, en charge de la collecte des déchets à Mayotte, trois de ses véhicules sont autorisés à traverser. Mais le conducteur d’un scooter venu ce lundi pour tenter de rejoindre le travail n’ira pas plus loin. « Mon patron demande à prendre une photo du barrage pour justifier qu’on ne peut pas passer », renseigne le salarié en s’armant de son téléphone tandis que d’autres font demi-tour.
Depuis le début des barrages érigés pour lutter contre l’insécurité et l’immigration clandestine, début février, les gens semblent avoir pris l’habitude de continuer la route à pied. Sur toute la distance entre le barrage de Longoni et la commune de Kangani, les voitures stationnées de part et d’autre de la chaussée donnent même lieu à quelques difficultés de passages pour les militaires autorisés à circuler afin de transporter les conteneurs de bouteilles d’eau.
« Même le gaz et le carburant, on laisse passer »
« On fait respecter la charte [établie par les Forces vives] », assure Ibou, sous la pluie, près d’une barrière qu’il ouvre aux urgentistes, aides à domicile, camions de poubelle, forces de l’ordre, soignants, habitants qui se rendent à des rendez-vous médicaux, agriculteurs… « Il ne faut pas laisser mourir les animaux ! Même les distributeurs de gaz et de carburant, on laisse passer. »
Les ravitaillements alimentaires, permis par les conteneurs stockés au port, ne passent en revanche que le week-end, de 6 heures à 18 heures, nous apprend-il. « On laisse passer pour qu’il y ait un petit peu d’activité. Il faut bien qu’on mange de temps en temps ! »
« Ce week-end, on a essayé de faire circuler tout le monde pour que les gens puissent souffler un peu et se ravitailler. » Sinon, c’est la même règle pour tous. « Que vous soyez de notre camp ou de l’autre côté », précise Ibou. Selon lui, ni les barragistes qui ont décidé de lever le blocus, ni les chauffeurs de camions qui soutiennent la mobilisation et tentent de négocier, ne passent. « Pas d’impartialité, pas d’arrangements, ici ce n’est que la charte », répète-t-il, tout en décrivant une ambiance bon enfant. « On explique gentiment aux gens notre action. Parfois ils viennent nous soutenir avant leur prise de poste à Vallée 3. Ils amènent le petit-déjeuner. » Ici, une vingtaine de barragistes officie. Plus au nord, ceux du carrefour Milou et de Bandraboua « font le travail en amont ».
« Quand ça pète au loin, on peut alerter du problème »
Sous son parapluie arc-en-ciel, un autre protestataire, patron dans le secteur de l’événementiel et du tourisme, admet que le barrage de Longoni a un poids tout relatif dans l’avancée du mouvement car aucun barrage n’est présent à Mamoudzou, capitale économique de l’île. Mais il y voit une façon de sensibiliser et prévenir du danger. « Quand ça pète au loin, on peut alerter du problème. Ces barrages, c’est le seul moyen qu’on a trouvé pour casser le dynamisme de délinquance. Aucun troupeau de jeunes n’est venu nous agresser jusqu’ici », déclare celui qui estime cependant que c’est aux adultes de « trouver les mots » pour discuter avec les jeunes. Il juge que les forces de l’ordre devraient profiter de ces barrages pour contrôler la population.
Même « mauvaise foi » selon lui de la part des chaînes de magasins qui pourraient s’organiser pour remplir leurs rayons de nourriture grâce aux passages de camions permis le week-end au lieu de « les laisser vides », et « diviser la population » quant au bienfondé de la mobilisation.
Dimanche, les Forces vives ont adressé un communiqué (voir par ailleurs) au nouveau préfet, François-Xavier Bieuville, arrivé la veille, pour afficher leur intention de collaborer avec l’administration en vue d’obtenir l’état d’urgence à Mayotte ainsi que la mise en place d’un comité de veille de lutte contre la délinquance et l’immigration clandestine. « Chaque levée de barrage offre aux délinquants l’opportunité de reprendre leurs activités nocives », peut-on lire.
Ibou espère que ceux qui maintiennent les barrages seront entendus par le nouveau préfet, convaincu que ceux qui ont arrêté « vont se remobiliser ». « Il y a toujours des phases où les gens sont fatigués, voire démotivés. On est tous en lien. On s’encourage, on partage nos difficultés », liste-t-il.
À Longoni, une voiture de barragistes venant du nord s’arrête pour épauler voire relayer l’équipe. Il fait remarquer qu’ils préfèrent « être fatigués un instant et être en sécurité après tout le temps ».
La ministre des Outre-mer à Mayotte ce mardi
Deuxième visite officielle depuis sa nomination. Selon le programme communiqué à la presse ce lundi, la ministre déléguée chargée des Outre-mer, Marie Guévenoux présidera, ce mardi, dès 9 heures, la cérémonie d’installation du nouveau préfet François-Xavier Bieuville, place de France, à Dzaoudzi, en remplacement de Thierry Suquet. Dans le cadre de son déplacement, la représentante devrait poursuivre les discussions avec les élus sur la situation sécuritaire et l’élaboration du projet de loi pour Mayotte présenté en conseil des ministres le 22 mai prochain. Elle a rendez-vous avec l’ensemble des services de l’état et le procureur de la République, à la préfecture, le matin. Elle assistera ensuite à la présentation du dispositif « École ouverte » au lycée Bamana. C’est à midi qu’elle devrait s’entretenir avec les élus pour une réunion de travail au cours de laquelle la loi Mayotte (prévue le 22 mai) devrait être sur la table. Dans l’après-midi, une visite de la constitution du stock stratégique d’eau de M’tsapéré est prévue. La journée devrait se terminer après la rencontre d’acteurs économiques, dont l’activité a été affectée par la situation sécuritaire, à la Chambre de commerce et d’industrie.