Bilan d’une nuit de tensions à Koungou : trois interpellations, la mairie incendiée… et des habitants sous le choc

L’image symbolique de l’Hôtel de ville en feu dans la soirée de lundi illustre la violence des affrontements dans la commune du nord de l’île, après le lancement d’une nouvelle opération de décasages au lieu-dit Carobolé. Au moins 200 individus ont participé aux échauffourées, d’après le préfet.

Il est un peu avant 9h, sur la route entre Majicavo et Koungou. Les restes d’un barrage encore fumant annoncent déjà la couleur. Un peu plus loin, dans la commune, théâtre des affrontements, le désordre règne, témoin de la violence des événements : partout sur le bitume, des cailloux de la taille d’un poing, des déchets carbonisés, des bennes renversées. Et les odeurs de brûlé et de poubelles qui prennent le nez, les yeux, la gorge. Une colonne de fumée noire s’échappe des hauteurs et des restes du bidonville de Carobolé à côté de la mairie. Mais il ne s’agit plus – heureusement – du bâtiment municipal, lui aussi envahi par les flammes en milieu de soirée, lundi.

Là, c’est impressionnant parce que c’est encore humide, mais la plupart des bureaux ont été épargnés. Je pense qu’environ un tiers du bâtiment a été touché”, décrit le patron du SDIS Olivier Neis, venu constater les dégâts ce mardi. “Hop, hop, hop !”, lance le pompier à l’attention d’un élu qui vient passer une tête par la porte d’entrée. “Je n’ai pas eu de blessé pour l’instant, il ne s’agit pas d’en avoir un maintenant !”, ajoute-t-il avec un regard inquiet pour la tôle instable de la toiture. Le feu, qui a pris depuis la façade arrière de la mairie, où des véhicules ont été incendiés par les fauteurs de trouble, a rejoint le toit et s’est propagé dans un patio central à l’intérieur de la structure. Un peu plus tôt, une tentative d’incendie avait été déjouée au niveau de la police municipale, qui n’en porte pas ou peu les stigmates ce mardi.

Pour les habitants, en revanche, le traumatisme est palpable. “J’ai été attaquée devant chez moi, hier c’était le jeu du chat et de la souris, avec les gamins et les gendarmes ! Et ils sont partis chez ma collègue l’ex-femme du maire, elle n’est pas bien ! Qu’est-ce qu’elle a à voir là-dedans !”, s’étrangle entre deux sanglots une conseillère municipale, dans la petite salle de la mairie annexe de Majicavo, où s’est tenue une réunion en présence d’élus, du préfet, du procureur et du président du conseil départemental. En effet, la rumeur avait rapidement circulé hier soir que l’ex-femme du maire avait été prise pour cible.

“C’était une insurrection”

On parle d’elle, mais il a dû y en avoir beaucoup d’autres ! Il n’y avait pas de limite, ils étaient là pour détruire, pour tout casser. Je pensais avoir vu le pire, aujourd’hui j’ai vu encore pire”, abonde Thomas Lévy, qui n’a pas pu rentrer chez lui lundi soir. Coincé entre deux barrages, littéralement encerclé, cet habitant de Trévani a cru y passer et a dû être escorté par les gendarmes pour échapper aux hordes d’assaillants… jeunes comme moins jeunes. “C’était pas comme d’habitude, des adolescents. C’était une insurrection. Hier, ils n’étaient pas une quarantaine, non, je les ai eus en face de moi, c’étaient les jeunes habituels mais aussi des femmes, des hommes. Ils m’ont couru après, ils étaient 80, 100 personnes !”, décrit cet habitué des trajets mouvementés sur l’axe Koungou-Mamoudzou.

200 individus estimés, 3 interpellations

Une estimation qui semble plutôt proche de la réalité. À Koungou ce mardi matin, le préfet Thierry Suquet confirme la présence d’environ 200 personnes “au plus fort” de la soirée. “Mais ce n’est pas une manifestation comme on a pu le lire, ce sont des violences urbaines avec des poches dispersées de 40, 50 personnes”, assure-t-il. Le déroulé établi par la gendarmerie évoque “plus d’une centaine d’individus très hostiles et très mobiles” vers 19h, qui ont dressé “des barricades enflammées à différents endroits du village sur la RN1” et ont caillassé et pillé les “automobilistes, blessant deux d’entre eux”. Ce mardi matin, à l’issue des affrontements, trois mineurs avaient par ailleurs été interpellés.

On voit bien qu’on dérange. Car avec ces opérations de décasage, nous luttons aussi contre la délinquance et l’immigration clandestine. La riposte se fait donc par ces guerres de territoires, de la part des délinquants”, réagit le préfet, qui entend poursuivre le calendrier des destructions. “La seule chose que cette situation renforce, c’est ma détermination.” De son côté, le procureur a invité tous les habitants victimes à porter plainte. Au total 200 grenades lacrymogène et cinq LBD ont été lancés, et les affrontements ont mobilisé près de 66 militaires, l’hélicoptère de la gendarmerie, deux blindés et 14 personnels de la police nationale.

 

Le monde politique en émoi : florilège de Paris à Mayotte

Preuve que le sujet est éminemment politique, surtout à la veille des élections présidentielles, les communiqués, de tous bords politiques ou presque, n’ont pas tardé à fuser. Sur Twitter lundi soir, le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu a ainsi condamné “les actes de violence inadmissibles qui ont eu lieu cette nuit à Koungou à Mayotte”. “Les forces de sécurité sont déterminées à rétablir l’ordre (…). Nous continuerons à lutter contre l’habitat illégal malgré ces actions”, a-t-il assuré. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a lui aussi réagi en apportant « tout son soutien au maire et aux agents municipaux de Koungou à Mayotte. Merci aux forces de sécurité mobilisées pour rétablir l’ordre républicain ». Une heure avant, le député Les Républicains Mansour Kamardine avait lui appelé “à la plus grande fermeté face aux délinquants et à une détermination sans faille dans la reconquête des territoires perdus”. Jamais loin à la veille d’un scrutin, la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen s’est elle aussi fendue d’un tweet pour adresser son soutien “à nos compatriotes mahorais”. “Demain présidente, je ne les oublierai pas”, a-t-elle précisé. “Violence inouïe”, selon l’avocat Elad Chakrina, “attaques odieuses sur les symboles de la République”, pour Soula Said-Souffou du parti Le Temps d’Agir (LTA), “actes odieux”, juge le Rassemblement national 976, “scènes de guerre quotidienne”, dans les mots du conseiller départemental Daniel Zaïdani, ou encore “événements dramatiques” pour le président du Département Ben Issa Ousseni… Chacun y est aussi allé de sa plume dans le 101ème département, avec partout les mêmes messages de “fermeté” et appels à la “reconquête”. “Le président du Département et les élus locaux saisiront le président de la République à propos de ces évènements”, a par ailleurs annoncé le chef de l’exécutif.

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