En déplacement à Mayotte du lundi 7 au jeudi 10 mars, le président de la Cimade, Henry Masson, revient pour Flash Infos sur le blocage du bâtiment de l’équipe locale depuis près de trois mois, mais aussi sur ses échanges avec les manifestants et le préfet de Mayotte, Thierry Suquet. Peu importe l’avenir et les décisions, l’association compte bien continuer ses missions.
Flash Infos : L’action en justice menée en amont de l’opération de décasage dans le quartier dit « La Pompa » à Combani prévue initialement le 30 novembre dernier a provoqué le blocage de votre local par une partie de la population depuis le 13 décembre. Quel sentiment vous prédomine face à cette action ?
Henry Masson : C’est la stupéfaction et la grande colère ! La stupéfaction parce que je n’ai jamais été confronté à des situations de ce type depuis ma prise de fonction il y a deux ans. La colère parce que nous pouvons avoir des désaccords, mais ces derniers ne peuvent s’exprimer de cette façon… Mon premier geste lors de mon arrivée ce lundi a été de me rendre sur place. Voir des banderoles avec des mots injurieux comme « escrocs » ou « trafic humain » alors que nous sommes un mouvement qui défend la dignité humaine m’a tout simplement créé un haut-le-cœur !
FI : Depuis plus de deux mois, l’association continue tant bien que mal son accompagnement au quotidien. Comment procédez-vous pour que vos missions ne soient pas perturbées ?
H. M. : N’imaginons pas que nous pouvons accepter cela… Malgré le blocage, nous avons tenu à continuer nos activités, même si c’est très difficile. Nous nous sommes appuyés sur le tissu associatif et nos partenariats pour réaliser des permanences délocalisées. Nous avons également poursuivi nos interventions dans les établissements scolaires pour sensibiliser les lycéens ainsi que notre volet formation auprès de partenaires associatif et institutionnel sur le droit des séjours. Toutefois, nous travaillons dans des conditions très précaires qui ralentissent nos actions…
FI : Dès votre arrivée, vous êtes rentré en contact avec les manifestants. Que leur avez-vous dit et comment vous y êtes-vous pris pour leur faire comprendre l’intérêt de votre travail ?
H. M. : Je me suis retrouvé face à huit personnes, dont deux semblaient avoir un rôle important. Je leur ai répété ce que le groupe local a déjà eu l’occasion de leur dire : il est nécessaire que nous puissions échanger et confronter nos points de vue, même si nous ne nous attendons pas à nous convaincre mutuellement !
Alors oui, il y a un temps pour la confrontation d’idées, mais à un moment, il faut aussi nous asseoir autour d’une table. C’est la proposition que j’ai faite lorsque je me suis retrouvé face à ces dames hier [ce lundi 7 mars]. Elles m’ont indiqué qu’elles y réfléchiraient… Si elles acceptent, j’entendrai et j’écouterai la position de la partie adverse. Ce temps d’écoute est fondamental car je souhaite qu’il débouche sur le retour dans nos locaux. Si ce n’est pas le cas, nous utiliserons tous les procédés possibles dans un état de droit pour y parvenir.
FI : Vous n’avez pas attendu de rencontrer les manifestants pour prendre le taureau par les cornes puisque diverses actions juridiques ont déjà été engagées…
H. M. : Il y a eu des dépôts de plainte au nom de la Cimade, mais aussi au nom d’une salariée qui a vécu très brutalement cette journée de la mi-décembre. Nous les suivrons toutes avec la plus grande attention ! J’ai d’ailleurs réécrit depuis au procureur de la République, que je n’ai pas souhaité rencontrer car je suis très attaché à la séparation des pouvoirs. Je tiens à rajouter que je suis en train de déposer une plainte contre Madame Marine Le Pen qui avait accusé de manière diffamatoire la Cimade à la suite de sa venue en fin d’année dernière.
FI : Depuis le 24 novembre 2018, la loi portant sur l’évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) permet au représentant de l’État à Mayotte d’ordonner par arrêté aux occupants de locaux illégaux et indignes d’évacuer les lieux afin de lutter contre l’habitat insalubre. Ce mercredi, vous allez notamment rencontrer le préfet, que vous assignez régulièrement en justice face à l’absence de propositions de relogement ou d’hébergement adaptées aux familles en amont de la publication de l’arrêté, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 197 de la loi Elan…
H. M. : À chaque fois que je me déplace dans une région, j’essaie de rencontrer les préfets ou les secrétaires généraux car ils sont en charge de beaucoup de dossiers par rapport aux personnes étrangères. Comprenez bien que je ne peux vous livrer l’ordre du jour. Mais bien évidemment, vous devinez qu’il y aura au programme l’accès à nos locaux et les conséquences de la décision du tribunal administratif à l’occasion du recours. J’ai entendu ici ou là que nous serions pour le maintien de bidonvilles… Évidemment que non ! C’est une telle bêtise de sortir ce genre d’arguments. Toutefois, il y existe une vie sociale que nous ne pouvons pas nier. Nous ne pouvons pas dire à toutes les familles qui en ont tissées de partir du jour au lendemain à l’autre bout de l’île. Cela doit se faire en concertation avec les associations et dans le cadre d’un hébergement permanent qui permet une scolarisation correcte des enfants car ces décasages mettent fin à celle qui existait jusqu’alors. Encore une fois, ce n’est pas parce que nous contestons un arrêté que nous sommes pour les bidonvilles… C’est scandaleux de faire ce rapprochement ! Cela ne sert en aucun cas les personnes que nous accompagnons, qui soit dit en passant ne sont pas forcément étrangères puisque nous défendons aussi l’ensemble des Mahorais.
FI : Entre les invectives d’un côté et l’inertie des autorités de l’autre, comment votre équipe locale fait-elle pour garder le cap et le moral ?
H. M. : C’est très dur pour l’équipe locale, il faut en être conscient ! Et je tâcherai de rapporter la situation au siège dès mon retour ce vendredi. Mais il faut savoir une chose : plus on frappera sur la Cimade, plus nous continuerons ! Cela fait 80 ans que l’association existe et nous nous sommes toujours battus dans des circonstances difficiles. Ici, il s’agit d’un combat noble à l’égard des personnes étrangères et mahoraises. J’ai entendu dire qu’il fallait que nous partions… Eh bien, je tiens à vous dire que nous ne baisserons pas les bras et que nous resterons coûte que coûte. Nous avons reçu le soutien de plusieurs associations reconnues publiquement ainsi que d’une vingtaine de parlementaires. Nous avons des réserves de courage personnel très très fortes !