“On restera là jusqu’à ce qu’on voie nos noms sur le panneau” : les demandeurs d’asile manifestent devant le tribunal administratif de Mayotte

Alors qu’ils ont formé un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) depuis de longs mois, des demandeurs d’asile originaires de plusieurs pays arabes ou africains sont toujours dans l’attente d’une convocation. Un délai qui les laisse dans une grande précarité, en les privant notamment de la possibilité de travailler.

Il est un peu plus de 9h ce mardi, quand un groupe d’hommes commence à dérouler des bannières et enfiler des t-shirts noirs devant le tribunal administratif. Sur leur dos, la question “Jusqu’à quand ?” est floquée en lettres blanches. Originaires pour la plupart du Yémen, mais aussi de Syrie ou du Soudan, ces demandeurs d’asile attendent depuis parfois plusieurs mois voire des années une convocation pour une audience devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Alors cette fois-ci, ils ont décidé de dire “bass”. “On restera là jusqu’à ce qu’on voie nos noms sur le panneau d’affichage”, martèle Ahmed*, tandis que ses congénères commencent à monter une tente sous les yeux éberlués d’un policier.

Déboutés de leur demande par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en première instance, ces potentiels réfugiés peuvent en effet former un recours devant la CNDA dans le mois suivant la notification de la décision. Le problème ? C’est que cette procédure rallonge d’autant le moment où ils pourront enfin obtenir un statut et donc l’autorisation de travailler. “Les délais d’obtention d’une convocation devant la CNDA sont très longs. Et en attendant, ces personnes se trouvent en situation de grande précarité”, confirme Solène Dia, chargée de projet à La Cimade.

 

Sans convocation, pas d’espoir de travailler

 

Dans l’impossibilité de gagner de quoi vivre, les demandeurs d’asile de Mayotte ne perçoivent pas non plus l’ADA, l’allocation pour demandeur d’asile, à cause du régime dérogatoire qui s’applique dans le 101ème département français. Cette allocation a été remplacée par des bons alimentaires donnés par l’association agréée Solidarité Mayotte. Mais ce coup de pouce de trente euros par mois ne dure que pendant six mois seulement…

Une situation que Hussein*, un yéménite originaire d’Aden, connaît bien. Arrivé à Mayotte en mars 2019, cet employé d’administration avant la guerre désespère d’obtenir un jour des papiers, alors qu’il a déposé son recours en novembre de la même année. Or, avec l’expiration de son récépissé dans un mois, ce jeune homme qui souffre de drépanocytose (maladie génétique des globules rouges, ndlr) craint en plus de ne plus pouvoir se faire soigner ou se procurer les médicaments indispensables à sa santé. “Pour l’instant, j’ai rendez-vous toutes les semaines. Mais je ne peux pas dormir avec le stress”, explique-t-il avant de sortir un papier du centre médical de référence (CMR) comme pour prouver le diagnostic. “Tout ce qu’on demande, c’est d’avoir une convocation et pouvoir se mettre à travailler”, complète Hicham*, en réajustant son masque bleu, blanc, rouge sur le nez.

 

Le Covid a rallongé les délais

 

Le Covid qui est passé par là n’a pas non plus arrangé les affaires de ces demandeurs d’asile. “La crise sanitaire a encore davantage amplifié les délais de la CNDA, qui avait suspendu les audiences pendant le premier confinement”, rappelle Solène Dia. Pire, pour certains, des bugs techniques ont même douché les espoirs d’obtenir enfin le précieux sésame. “Moi le 31 mars, j’étais ici-même, de 9h à 11h, mais comme la visioconférence avec la métropole ne fonctionnait pas, je ne suis pas passé. Et je n’ai toujours pas eu de nouvelle convocation”, s’épanche Ahmed, un ancien enseignant au Yémen, arrivé à Mayotte en avril 2019.

 

Un bug technique handicape le tribunal

 

Comme si tout cela ne suffisait pas, un cas de Covid vient d’être confirmé qui a conduit le tribunal à fermer ses portes cette semaine. Et un problème de caméra empêche en effet le bon déroulement des audiences en lien avec la Cour, qui se trouve en métropole. Tombée en panne une première fois pendant le confinement national de mars 2020, le matériel a à nouveau décidé de jouer des siennes aux magistrats, il y a deux mois et demi. À croire que l’engin attrappe lui aussi le virus ! “Nous avons relancé plusieurs fois Orange, car le technicien qui doit venir s’en occuper est à La Réunion. Mais vous n’êtes pas sans savoir qu’il faut des motifs impérieux pour se déplacer”, déroule le président des tribunaux administratifs de l’île Bourbon et de Mayotte, Gil Cornevaux. Une nouvelle caméra devrait normalement être livrée. Mais encore faut-il pouvoir l’installer… “Ce problème nous touche autant pour les référés et les audiences collégiales. J’ai secoué le cocotier, mais je ne suis pas ingénieur !” Avant de rappeler que le tribunal administratif n’est pas responsable des délais d’attente pour les demandes d’asile. “Nous ne sommes que le réceptacle, aucun magistrat du tribunal administratif ne prend part à ces audiences. La CNDA pourrait tout à fait se mettre d’accord avec la préfecture pour arranger une pièce dans un gymnase ou autre pour faire leur visio !”, s’agace-t-il.

*les prénoms ont été modifiés

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