Beachage à M’bouini : le maire de Kani-Kéli met l’État face à ses responsabilités

Mercredi, les habitants du village de M’bouini ont érigé un barrage pour empêcher les forces de l’ordre d’emmener une trentaine de clandestins, arrivés sur la plage dans la journée, au centre de rétention administratif par voie terrestre. Cet événement a débouché sur un règlement de comptes entre la préfecture et le maire de Kani-Kéli, Rachadi Abdou.

Mercredi. 17h30. Une centaine de riverains du village M’bouini érigent un barrage au niveau de l’école pour empêcher les gendarmes d’emmener par voie terrestre 34 clandestins débarqués à l’aide de deux kwassas-kwassas. Un mano-à-mano s’installe alors entre la population et les forces de l’ordre. Sur place une heure plus tard, l’adjointe de Kani-Kéli en charge des affaires sociales, Tahanlabati Tissianti Oili Ahamadi, joue les entremetteuses et négocie un dénouement pacifique avec les jeunes et les mamans du collectif de défense des intérêts de Mayotte (Codim). Un apaisement stérile qui finit par s’embraser avec l’arrivée des militaires du détachement de la Légion étrangère. « Ils ont tout défoncé sans demander la permission à qui que ce soit », s’insurge l’élue, blessée « légèrement » selon un communiqué de la préfecture au moment du franchissement par un camion. « Une barre de fer est tombée sur ma cuisse gauche et mon pied droit… » Emmenée à l’hôpital de Mramadoudou, elle en ressort groggy avec 12 jours d’incapacité temporaire de travail. Et profite de sa période de convalescence pour engager des éventuelles poursuites.

 

« Elle m’a raccroché au nez »

 

Un incident qui rajoute de l’huile sur le feu puisqu’un statu-quo finit par s’installer sur les lieux. « Les autorités trouvaient que je ne forçais pas assez la population à lever le barrage. Mais moi, je respecte ceux qui m’ont élu », défend de son côté, le maire de la commune, Rachadi Abdou. Un échange téléphonique se tient alors vers 23h avec la sous-préfète en charge de la lutte contre l’immigration clandestine, Nathalie Gimonet, qui lui rappelle sa qualité d’officier de police judiciaire. Avant que la conversation ne s’envenime… « Elle m’a dit que j’allais devoir assumer les conséquences. Puis, elle a commencé à insinuer que toute ma famille hébergeait des étrangers, qu’une enquête serait ouverte et que je serais poursuivi. Ma mère, ma sœur et moi-même n’avons aucun clandestin chez nous. C’est une accusation grave ! J’ai essayé de discuter avec elle, mais elle m’a raccroché au nez », ne décolère pas le premier magistrat, face à de tels propos. Contactée, la préfecture ne souhaite pas s’exprimer en dehors des communiqués de presse officiels.

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Finalement, un retour à la normale s’opère vers 23h45. Le lendemain, ce jeudi 18 mars, la préfecture apporte donc sa version des faits concernant cette obstruction sur ses réseaux sociaux. « Si les forces avaient accédé à cette demande, un intercepteur aurait été détourné de sa mission de protection des frontières pendant plus de quatre heures. C’était autant de moyens en moins pour intercepter les kwassas », peut-on lire. « Or, la nuit dernière, les brigades nautiques de la PAF et de la gendarmerie ont intercepté trois kwassas, transportant 49 clandestins. » Une déclaration qui intervient quelques minutes après le passage au journal télévisé de 13h de Rachadi Abdou. Tandis que ce dernier reçoit dans le même temps un SMS pour le moins étonnant… « Le préfet a écouté votre intervention. Il sera vigilant à chacune de vos paroles. »

 

Un message reçu à la suite du JT

 

Face à ce message, le maire de Kani-Kéli avoue ne pas savoir «comment le prendre». «Peut-être que j’aurais dû me retenir sur certains propos», s’interroge-t-il. Ayant bien conscience de «dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas». Alors l’édile n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il s’agit d’évoquer les rouages de l’opération Shikandra. «Si vous voulez vraiment arrêter l’arrivée massive [d’embarcations de fortune], cela ne devrait pas poser problème. L’État a une réelle responsabilité. S’il avait bien fait son boulot, nous n’arriverions pas à cette situation. Quelque chose ne marche pas dans leur dispositif», peste-t-il. Et encourage tout simplement les agents en mer «à travailler encore davantage au large» pour inciter les demi-tours ou propose, au pire, «de renforcer la présence des gendarmes sur les plages» pour favoriser les interpellations lors des beachages.

Car Rachadi Abdou ne se fait pas d’illusion sur le sort de ces personnes en situation irrégulière fraîchement arrivées sur la terre ferme. « Ils sont récupérés par des taxis mabawas, ils transitent dans des cases en tôle construites à proximité des champs avant de regagner les grandes villes. » Mais avec l’intensification des décasages, comme à Kahani, Hajangoua, Dzoumogné et Koungou, l’élu craint le pire pour sa commune. « Sans une vraie politique de relogement, toutes ces populations se déplacent de plus en plus en brousse où elles pensent que les forces de l’ordre sont moins regardantes. » Donc il n’hésite pas à mettre en garde ses propres administrés, qui auraient la fâcheuse habitude de leur prêter mains fortes. « Je leur ai rappelé mi-janvier les conséquences pénales d’un tel acte », insiste-t-il.

Loin d’être singulière, cette obstruction du mercredi 17 mars à M’bouini met en lumière le ras-le-bol généralisé des Mahorais face à ces vagues incessantes – « au moins un kwassa arrive quotidiennement ici » – de clandestins dans le Sud de l’île. Et même si « le préfet renouvelle son soutien à ses collaborateurs, aux militaires, gendarmes et policiers dont l’engagement au service de la lutte contre l’immigration clandestine et de la population est totale », la relation de confiance semble bel et bien rompue avec les habitants de Kani-Kéli, et son maire Rachadi Abdou.

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