Avec un premier bilan en demi-teinte, un deuxième acte déjà annoncé

Petite-Terre a été le théâtre de son premier décasage dans le cadre de l’opération Wuambushu, ce dimanche matin. Qui plus est, celui-ci s’est fait en présence des ministres Gérald Darmanin, Jean-François Carenco, Olivier Klein, et du préfet de Mayotte, Thierry Suquet. Dans le quartier Oupi de Labattoir, aux abords du vieux cimetière de Marouzouk, ils ont pu compléter le bilan déjà réalisé la veille et promettre « une nouvelle formule » à la rentrée.

Avant de voir les tractopelles détruire les trois dernières cases du quartier informel Oupi-Badamiers, dimanche matin, Gérald Darmanin avait très vite exprimé pourquoi il était là, l’opération Wuambushu et la crise de l’eau (voir par ailleurs). Pour la première, il était d’autant plus difficile pour le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer de ne pas l’aborder alors qu’il est sur le territoire mahorais pour la première fois depuis son commencement. « Elle a connu des difficultés techniques, juridiques avec d’innombrables recours, diplomatiques », a-t-il reconnu, lors d’un point presse sur la place d’armes du Régiment de service militaire adapté de Mayotte, à Combani, samedi. « Et puis je pense que la force de la volonté politique l’a emportée. Ce qui compte le plus aujourd’hui, c’est le choc psychologique. C’est de dire aux Mahorais que nous les aimons, que nous mettons énormément de moyens, qu’on ne va pas reculer. » Sur le volet des chefs des bandes identifiés sur l’île, le ministre se targue que « 47 sur 57 ont été arrêtés ». Alors que du côté de l’immigration, toujours selon lui, « il y a des journées entières où il n’y a pas eu de kwassas arrivés à Mayotte ».

Le gros point noir reste toutefois qu’au premier jour de l’opération, le 24 avril, les Comores ont fermé le port d’Anjouan aux personnes expulsées du territoire mahorais. Trois semaines de négociations ont été nécessaires pour que les expulsions reviennent à la normale. Combien de personnes sont concernées depuis ? Le numéro 3 du gouvernement s’est bien gardé de le dire, comme il a été convenu avec les autorités des autres îles de l’archipel, avant d’évoquer des départs plus compliqués à mettre en œuvre pour les Africains des Grands lacs. Gérald Darmanin compte, après les vacances estivales, ainsi se muer en « ambassadeur de l’Intérieur » en allant au Burundi, Rwanda, Tanzanie et Mozambique pour « négocier des accords de réadmission » de leurs ressortissants. Il dit espérer toujours dépasser le chiffre des expulsions de l’année dernière, soit 25.000 au total.

« 1.250 démolitions à la fin de l’année »

Montrer que l’opération se passe comme prévu, c’était le sens de la visite aux Badamiers, dimanche matin. Après les nombreux recours au tribunal administratif de Mamoudzou et le coup d’arrêt temporaire prononcé par le tribunal judiciaire, le troisième volet de l’opération, la démolition de cases en tôle, a repris de plus belle. Le ministre de l’Intérieur, flanqué de son collègue en charge des Outre-mer, Jean-François Carenco, est venu le constater de visu. Les deux ont été rejoints, en outre, ce dimanche matin, par Olivier Klein, le ministre délégué à la Ville et du Logement, pour assister au premier décasage sur Petite-Terre, à Dzaoudzi-Labattoir (les trois précédents étaient à Majicavo-Koropa, Longoni et Koungou). Pour cette première séquence de la journée, les trois ministres sont arrivés dans le quartier Oupi, au cimetière de Marouzouk, aux abords duquel un quartier informel avait pris forme au cours de ces dernières années. Une trentaine de cases en tôle y abritaient 21 familles, il y a quelques semaines encore. Dans le cadre de la loi Élan, les tractopelles n’ont eu besoin que d’une paire d’heures pour mettre à bas les logements précaires, ne laissant que trois sur pied le temps de la séquence ministérielle. À l’issue de celle-ci, Gérald Darmanin a été le premier à s’exprimer devant les micros de la presse nationale, régionale et locale. « J’aurais juste aimé que tous ceux qui sont venus faire du tourisme juridique à Mayotte visitent les bangas, ces endroits insalubres où les enfants n’ont pas d’eau courante et où s’il y a un cyclone, on aurait tous à pleurer les nombreux morts qu’il y aurait ici, pour empêcher de construire du logement social par ailleurs et tout simplement pour que les propriétaires aient la jouissance de leurs terrains ; pouvoir construire ici une station d’épuration [N.D.L.R. en référence à Koungou] et là des protections pour l’environnement au profit de la mangrove [N.D.L.R. Dzaoudzi], ou ailleurs un lycée [N.D.L.R. le lycée des métiers du bâtiment à Longoni]. » Lui qui ambitionnait la démolition de « 1.000 » cases en tôle en deux mois, a dû revoir ses ambitions à la baisse. Il en prévoit « 1.250 à la fin de l’année », en intégrant les 250 déjà réalisées.

« Une adéquation entre le décasage et le relogement »

A Labattoir, il ne s’agit pas ici de reconstruire de nouveau logements correspondant aux normes, mais de préserver la nature et l’écosystème des mangroves plantées en 2015 par le conservatoire du littoral et des espaces lacustres. Selon Saïd Omar Oili, le maire de Dzaoudzi-Labattoir, quatre autres arrêtés de démolition concernent actuellement sa commune, un autre est en cours de rédaction. Selon Olivier Klein, l’objectif de ces opérations de décasage est de permettre à chaque famille délogée d’intégrer un logement correct. « Il y a une adéquation entre le nombre de relogements et le nombre de démolitions. C’est un travail de longue haleine pour récupérer du foncier et pour construire. Nous sommes extrêmement attentifs et nous allons continuer à créer des lieux d’hébergement d’urgence si nécessaire, pour prendre des places en durs mais on a aussi des places en logement d’urgence. Il y a un objectif légal important qui est de proposer à chaque famille un relogement », estime-t-il, oubliant que celui-ci étant temporaire, les familles n’en veulent pas toujours. Par exemple, dans le quartier visé ce matin-là, seuls quatre foyers sur les neufs éligibles ont accepté les propositions de l’État (deux au village Coallia à Tsoundzou 2 et deux autres en Petite-Terre). Alors que deux familles n’avaient pas quitté les lieux et ont été prises en charge par le centre communal d’action sociale (CCAS) de la commune, quid des quinze autres. La préfecture indique ne pas savoir. Selon nos informations, une partie a pris la direction de Moya pour rester en Petite-Terre.

Pour sa part, Jean-François Carenco a tenu souligner que ces propositions de relogement ne concernent seulement les personnes en situation régulière sur le département, avec potentiellement deux étapes, un relogement d’urgence, en attendant une intégration dans un logement social. Il a développé son argumentaire en précisant que le chef de l’État a demandé de renouveler la convention avec Action logement en vue d’augmenter le nombre de logements à construire dans le département. « C’est fait, les moyens sont là, et quand on se balade, on voit des immeubles ici et là. L’objectif, c’est qu’il y en ait plus. C’est pour cette raison qu’un travail a été engagé avec les sociétés HLM et on a les moyens d’augmenter la ligne LBU (ligne budgétaire unique) qui finance ces opérations de logement ». Selon lui, le mot d’ordre est lancé auprès de tous les ministères concernés pour qu’il y ait plus de logements sociaux disponibles à Mayotte dans l’avenir sur un foncier salubre. Il a estimé que c’est un travail de longue haleine, une mobilisation comme on ne l’a jamais connu à Mayotte, en termes d’actions, et pour cela il est indispensable de disposer d’un foncier défini avec une propriété claire, un foncier salubre avec deux directions, Action logement et la Caisse de Dépôt et Consignations, ainsi que sa représentation locale (SIM) qui ont la même volonté que le gouvernement d’aller vers des constructions neuves et des réhabilitations de logements existants.

Une deuxième phase à la rentrée

Outre le prolongement d’un mois de l’opération Wuambushu en cours, Gérald Darmanin a annoncé, samedi, « une nouvelle formule » à la rentrée centrée davantage sur « l’économie informelle » en s’attaquant davantage « aux marchands de sommeil, à l’agriculture et la pêche illégales ». Cette « sorte de Shikandra 2 [opération de lutte contre l’immigration en vigueur depuis 2019] sera proposée au président de la République au cours de l’été ». « J’ai envie de dire à la société mahoraise quand est-ce qu’elle prendra ses responsabilités notamment parce que certains de ces bangas sont loués par des marchands de sommeil. Il faut quand même les dénoncer, il y a des gens propriétaires, qui sont parfois des Mahorais qui louent à des femmes et des enfants seuls ces bidonvilles. À quand la fin des certificats de paternité de la part de certains mahorais, quand est-ce qu’on arrêtera de faire de l’agriculture illégale, de la pêche illégale, des marchands de sommeil qui exploitent la misère humaine ? Donc, l’État fait son travail, maintenant il faut que la société mahoraise fasse la sienne ! », a-t-il complété ce dimanche, à Dzaoudzi.

Il déclare que les autorités mettront désormais énormément d’enquêtes judiciaires pour interpeller ceux qui, dans la société mahoraise, sont des complices de l’immigration irrégulière. Il a rappelé que l’année dernière, une enquête judiciaire a démontré les complicités locales avec les passeurs, parfois de certains élus.

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