Alors que le décasage du quartier informel de Mavadzani, à Majicavo-Koropa, doit commencer ce lundi (voir encadré), nous avons rencontré ce vendredi plusieurs des habitants dont la case doit être détruite. Reportage.
Le son des marteaux et le bruit de la tôle qui tombe résonnent dans le bidonville de Mavadzani, ce vendredi matin. Plusieurs habitants du plus grand quartier informel de Mayotte, situé sur les hauteurs de Majicavo-Koropa, ont décidé de démolir eux-mêmes leurs cases, plutôt que de laisser la tâche aux pelleteuses et perdre les matériaux qui leur serviront pour rebâtir une maison ailleurs. Car ce lundi, l’opération de décasage dans ce quartier de la commune de Koungou doit débuter. « On a commencé tôt ce matin », lance un des résidents en train d’apporter des plaques de ferraille vers un camion après avoir désossé sa maison. Sur les 474 habitations visées par l’opération, plusieurs dizaines auraient d’ores et déjà été désertées.
Si certains ont décidé de reconstruire ailleurs, d’autres attendent qu’on leur remette les clefs d’un des hébergements d’urgence récemment inaugurés à Massimoni, en aval du bidonville. Kalix, 21 ans, a reçu une proposition de relogement dans ce bâtiment avec sa mère et sa fratrie. Mais quand il voit la pièce quasi vide dans laquelle il va bientôt habiter avec six autres personnes, il s’inquiète. « Je ne comprends pas pourquoi ils cassent nos maisons. Ils ne construisent rien derrière après », s’interroge-t-il. Ce dernier nous conduit sur les hauteurs de Mavadzani, dans sa maison qui ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Il est fier de présenter le pigeonnier qu’il a fabriqué, où logent également ses chèvres. « Mes pigeons, ce sont comme des fleurs, j’en ai parce que je trouve qu’ils sont jolis », commente-t-il en nous faisant visiter. Des animaux qu’il va devoir abandonner, ne pouvant pas les amener dans sa résidence temporaire. « Ce n’est pas juste ce qui arrive. Mais bon, on n’a pas le choix », se résigne-t-il.
« On a construit cette maison »
D’autres habitants dont la case a été marquée par un numéro, signe qu’elle est vouée à disparaître, ne se sont pas vu proposer de solution. En effet, le relogement n’est prévu que pour les citoyens français ou les étrangers en situation régulière. Rachida, la voisine de Kalix, est une des résidentes sans papier qui ne pourra compter que sur elle-même à partir de ce lundi. « Avec mon mari, on a construit cette maison », indique celle qui est arrivée à Mayotte, il y a treize ans, et qui habite dans cette case depuis 2014. C’est d’autant plus dur pour la maman de voir son fils détruire les murs qu’elle a bâti. « On s’était dit qu’un jour, on rachèterait ce terrain. Mais là on va en chercher un ailleurs pour enfin être chez nous », indique, entre deux coups de massue, le jeune homme qui a fait toute sa scolarité à Mayotte.
Même avec un titre de séjour, la solution n’est pas toujours évidente. Natacha, à la tête d’une famille de cinq, s’est aussi vu proposer un studio dans la résidence de Massimoni gérée par Coalia. Mais avant de devenir une voisine de Kalix, cette dernière attend de voir l’agencement de la pièce. « On doit payer environ 150 euros par mois, alors que je peux louer une autre case pour cent euros où je pourrais avoir plus d’intimité », raisonne celle qui n’arrive pas à se défaire de sa colère. « On nous traite comme des animaux. Mes enfants ont grandi dans ma maison, c’est traumatisant pour eux. »
Des relogements éloignés
Une de ses amies, qui l’a accompagnée devant la résidence, ne sait pas ce qu’elle va faire à partir de ce lundi, bien qu’elle soit sur la liste de celles et ceux qui ont droit à un hébergement de trois mois, renouvelable jusqu’à un an. « On m’a proposé un logement en Petite-Terre. Mais comment je fais, moi, avec mes enfants qui sont scolarisés à Koungou ? », questionne-t-elle, alors que la loi Vivien prévoit de proposer un hébergement d’urgence dans le secteur où la famille habitait jusqu’alors. Elle n’est pas la seule à qui on a proposé un logement éloigné. Petite-Terre, Kahani, Hajangoua… des domiciliations qui ont été refusées par les futurs décasés pour assurer la continuité de la scolarité de leurs enfants.
Alors qu’une partie des néo-résidents du bâtiment de Massimoni prend ses repères dans ce nouveau lieu de vie éphémère, un camion qui s’est rempli de tôles toute la matinée part en direction d’un nouveau quartier informel.
Ne pas revivre les débordements de Carobolé
Prévue de longue date, l’opération de Mavadzani va concerner 465 cases, soit la plus importante en termes de nombre d’habitats. Au vu de sa nature, il y a « un fort enjeu au sujet de la sécurité », admet Aurélien Diouf, le directeur de cabinet du préfet lors d’une conférence de presse, vendredi 29 novembre. Pour cette raison, le périmètre de la zone sera bouclé par des gendarmes, qui bénéficient du renfort de deux escadrons supplémentaires de gendarmes mobiles (soit 144 hommes) par rapport aux quatre qui sont en permanence à Mayotte. Les cases sont installées sur un site en relief rendant l’intervention plus complexe, celle-ci pourrait durer quinze jours. Suite au décasage, un projet d’aménagement est prévu sur ce foncier avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru). Du logement sera construit.
Alors que des heurts ont pu éclater lors des précédents décasages, le sous-préfet se veut rassurant et déclare que « l’expérience a parlé, nous en avons tiré les leçons ». A la préfecture, tout le monde a en tête le décasage de Carobolé à Koungou et l’incendie de la mairie qui avait eu lieu en septembre 2021. La municipalité espère d’ailleurs tourner définitivement la page en organisant, en même temps que celui de Mavadzani, une cérémonie pour le premier coup de pelle de Carobolé, ce lundi, à 10h. « Environ 420 logements créés, dont en accession, en locatifs (libre, social, très social, LLTSA) et des lots libres, plus de 2.000 m² de surfaces commerciales et services, une école, une crèche, une police municipale, un parc d’un hectare, des jardins, places publiques, espaces de jeux, etc », liste la commune qui a prévu un direct sur sa page Facebook, à partir de 10h.