5 semaines après son arrivée à Mayotte, la nouvelle cheffe de la LIC donne sa feuille de route

Négociations avec les Comores, reprise des éloignements, lutte contre le travail clandestin… Les défis qui reposent sur Nathalie Gimonet, la nouvelle sous-préfète en charge de la lutte contre l’immigration clandestine fraîchement débarquée sur le territoire, sont multiples. Elle fait le point sur ses premiers constats et ses ambitions pour sa nouvelle mission.

Flash Infos : Vous avez pris la suite de Julien Kerdoncuf à la mi-août, qui s’est envolé pour Paris après deux ans à ce poste clé, inexistant avant son arrivée et pourtant stratégique pour le territoire de Mayotte. Quel a été votre parcours avant d’atterrir sur l’île aux parfums, pourquoi avez-vous fait le choix de reprendre ce flambeau et quels premiers constats faites-vous depuis votre arrivée ?

Nathalie Gimonet : J’ai passé huit ans dans les services de l’État, d’abord comme contractuelle sur des thématiques liées à l’Union européenne. Puis j’ai passé le concours de l’ENA et je suis arrivée à l’Inspection générale de l’administration, un service qui dépend du ministère de l’Intérieur, et où j’ai découvert beaucoup de problématiques relatives aux territoires ultramarins. C’est là que j’ai fait mes premières billes avant de venir à Mayotte. Je suis venue ici en premier lieu car je voulais exercer un poste très opérationnel et qui a du sens. La LIC répondait à ces attentes. Bien sûr, je ne peux pas tout mener de front à moi toute seule, mais avec les moyens mis à disposition, je pense qu’il y a matière à faire beaucoup de choses. Aujourd’hui, je constate que beaucoup a déjà été fait sur la coordination et le renforcement des moyens. Mais les défis restent nombreux, car nous avons affaire à un phénomène qui se renouvelle et est très évolutif, nous le voyons par exemple avec les passeurs, qui s’adaptent très vite. Donc c’est vraiment un travail considérable et je mesure l’ampleur de la tâche. Et déjà depuis cinq semaines, ce qui me mobilise c’est d’améliorer et d’optimiser la détection en mer, avec notamment le projet d’avion qui apporterait un soutien considérable aux effectifs en mer. En effet, j’ai eu l’occasion de partir en mer avec la brigade maritime de la police aux frontières. Ils encaissent un travail impressionnant ! Il faut le voir pour le comprendre : ils naviguent des heures durant à bord de ce petit bateau qui prend toutes les vagues de plein fouet, avec tout juste une tonnelle pour s’abriter en cas d’intempéries. Ils doivent récupérer des gens sur des embarcations de fortune, parfois faire face à des naufrages… Vraiment j’insiste, ils font un travail remarquable. Et crucial pour Mayotte, car il faut éloigner les personnes le plus tôt possible pour éviter qu’elles ne se fixent sur le territoire. Qui plus est, en ce moment, pour des raisons sanitaires. À chaque fois, nous procédons à des tests PCR sur les étrangers en situation irrégulière en mer et à terre et c’est vrai que nous avons plus de positifs à bord des embarcations, il y a donc aussi un enjeu sanitaire à les éloigner rapidement. 

FI : Où en sommes-nous des moyens mis à disposition de la lutte contre l’immigration clandestine ?

N. G. : Nous allons recevoir ce nouvel intercepteur, ce qui portera à trois le nombre de bateaux en surveillance des frontières maritimes 24h sur 24 et sept jours sur sept. Moi-même j’ai plusieurs idées que j’aimerais mettre en place notamment pour la surveillance. Je vous évoquais déjà ce projet d’avion, déjà présent à Mayotte, et qui pourrait être équipé pour anticiper encore davantage sur l’arrivée des embarcations. C’est une piste qui est en train d’être étudiée. Au niveau des moyens humains, pour la LIC en mer, entre les brigades de la gendarmerie et celles de la PAF, nous avons un peu plus de 70 agents. Ce à quoi il faut ajouter le concours de la gendarmerie maritime, d’ailleurs équipée de plus gros bateaux, qui peuvent rester plusieurs jours sur l’eau et peuvent eux aussi intercepter des kwassas. Ils font aussi du contrôle de pêche, ce qui est important pour la LIC car il arrive que des pêcheurs fassent traverser des étrangers, voire parfois qu’ils en embauchent. Et à terre aussi les effectifs ont été rehaussés, avec deux groupes de 40 agents pour le GAO, qui a repris son activité. Même si bien sûr ils n’avaient pas cessé de travailler, puisqu’ils contribuaient aux dispositifs de maintien de l’ordre. Aujourd’hui encore, ils font le maintien de l’ordre le matin et les interpellations l’après-midi, ils sont sur le pont sans discontinuer. S’il y a une chose à dire, c’est bien que la LIC dépend de la niaque de ces gens-là !

FI : Vous dites qu’ils ont repris leur activité, mais il n’y a toujours pas eu de décision formelle de l’Union des Comores pour réadmettre ses ressortissants depuis le début du confinement et la fermeture de ses frontières. Où en est-on des éloignements ?

N. G. : Il y a eu 900 personnes éloignées depuis le 6 août. Cela a été rendu possible par le fruit de négociations très intenses entre le ministère des Affaires étrangères, celui des Outre-mer et même avec le concours de l’Élysée, le plus haut niveau de notre diplomatie a été mis à pied d’œuvre pour permettre la reprise des éloignements. Mais ces chiffres restent très en-deçà de ce que nous attendons. Avant mars cette année pour un mois complet, nous tournions à 2.600 éloignements, et là nous sommes tombés à 900 pour un peu plus d’un mois. Donc ce qui m’occupe le plus actuellement, c’est bien sûr la normalisation de la situation avec l’Union des Comores.

FI : Même sans cette normalisation, le centre de rétention administrative a rouvert ses portes et accueillent à nouveau des personnes en situation irrégulière. Quelle est la situation ?

N. G. : Le CRA a en effet dû s’adapter vu la situation sanitaire. Les capacités d’occupation ont été réduites à une centaine de places, ce qui est encore le cas aujourd’hui. Cet enjeu sanitaire n’est pas pris à la légère, dès l’interception en mer, nous fournissons aux personnes des masques et du gel hydroalcoolique, puis nous les transportons au tri sanitaire où l’infirmier fait le point sur leur état de santé, ce qui permet déjà de détecter les symptômes. Si la personne est en bonne santé, elle est envoyée au CRA où il y a à nouveau du gel hydroalcoolique, avant d’accéder au point d’eau. Nous leur rappelons aussi les règles de distanciation, les gestes barrières… même si bien sûr, nous ne pouvons pas mettre un gendarme derrière chaque étranger. J’oubliais de préciser aussi que les personnes en situation irrégulière sont bien évidemment testées dans les 72h avant leur éloignement. Quant à celles qui sont testées positives au CRA, nous les envoyons depuis le 15 août au centre Abdallah Mami à Cavani avec l’opérateur Mlézi Maoré et non plus à Tsararano avec la Croix Rouge. 

FI : Certains syndicats ont pourtant fait part de leurs doutes et de leurs inquiétudes, de voir le CRA se transformer en “cluster”, alors que comme vous le disiez, des cas positifs ont été détectés chez les personnes en situation irrégulière en route vers Mayotte. 

N. G. : C’est très minoritaire. De ce que j’ai vu, l’esprit général est beaucoup plus sur une idée de “nous faisons le maximum”, que de “nous faisons ce que nous pouvons”. Et j’ai moi-même assisté à un éloignement, et j’ai vu les personnels du CRA désinfecter les locaux, c’était assez impressionnant, ils ont la tenue intégrale, ils nettoient absolument tout… Non, malgré ce qu’on a pu lire dans certains articles de presse, il n’y a pas de problème sanitaire au CRA. 

FI : Mis à part les éloignements, quelles sont les autres défis de la LIC que vous identifiez ?

N. G. : Il y a aussi tout le travail sur les perspectives, et donc la lutte contre le travail clandestin. C’est un travail constant. La DTPN prend sa part avec sa brigade mobile de recherche, composée de deux groupes : un premier chargé des enquêtes sur les filières de passeurs, et un deuxième chargé de la lutte contre le travail illégal et l’emploi de personnes étrangères sans titre de séjour. En tout, cela représente une quinzaine de personnes principalement en Petite-Terre mais avec aussi une antenne de Grande-Terre. Je suis sortie avec eux à deux reprises, et il arrive très fréquemment de tomber sur des travailleurs sans papier dès que nous nous arrêtons sur un chantier. Nous les entendons, et puis nous voyons rapidement les gens fuir à l’approche des agents. C’est pourquoi, il y a un gros travail de terrain, les enquêteurs y sont au moins deux jours par semaine. Le reste du temps étant occupé par les suites à donner, à savoir traiter l’employeur, le maître d’œuvre, le propriétaire… à chaque fois ce sont des dossiers avec énormément de personnes mises en cause. Et tout cela est complété par le travail du Gelic (groupe d’enquête sur la lutte contre l’immigration clandestine) en charge des plus grosses enquêtes sur les réseaux structurels, sur saisie du parquet. Enfin, il y a encore beaucoup à faire sur les reconnaissances frauduleuses de paternité. Là encore, j’ai plusieurs pistes à mettre sur la table. Je veux travailler avec les mairies et proposer des formations pour lutter contre ces reconnaissances frauduleuses. C’est quelque chose d’assez simple à mettre en place et nous pouvons le faire à moyens constants.

 

 

 

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