Une semaine après l’assassinat de Momix, sa famille a décidé de sortir du silence pour la première fois. La mère et la sœur de l’adolescent nous ont exclusivement ouvert leurs portes pour partager leur peine, leur colère mais surtout leur peur.
Allongée sur son lit, entourée de ses enfants et de quelques voisines, Badirou semble ailleurs. Le regard dans le vide, elle écoute les femmes qui l’entourent et qui essayent de la réconforter. Mais ces dernières savent que leurs mots ne suffiront pas à apaiser le cœur de cette mère qui vient de perdre son fils. « Je suis musulmane et je m’en remets à Dieu, mais ça n’atténue pas ma tristesse. Je pense qu’elle ne partira jamais parce qu’il n’y a rien de plus dur que de perdre enfant », dit-elle d’une voix tremblante. Peu de gens con-naissent la vérité, Badirou n’est pas la mère biologique d’Ambdoullah, dit Momix, mais plutôt sa tante. Originaire d’Anjouan, elle a pris le jeune garçon sous son aile alors qu’il n’avait que deux ans à la suite du décès de sa mère. Pour ne pas séparer Ambdoullah de ses frères et sœurs, elle décide d’emmener toute la fratrie avec elle à Mayotte. Cinq enfants viennent alors s’ajouter à ses neuf enfants biologiques.
Mais la mère de famille dit ne jamais avoir fait de différence entre eux. « Je les ai élevés comme mes propres enfants, j’ai toujours été leur maman », raconte-t-elle. Alors lorsque ce jeudi 15 avril, elle reçoit un coup de fil lui annonçant la mort d’Amboullah, tout s’écroule autour d’elle. La douleur est d’autant plus difficile puisqu’elle ne se trouvait pas sur le territoire à ce moment-là. « J’étais à Anjouan, cela faisait des mois que j’étais coincée là-bas. Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai remué ciel et terre pour pouvoir rentrer et grâce à l’aide du maire de Mamoudzou et du préfet, j’ai pu dire adieu à mon fils », indique-t-elle pleine de reconnaissance.
Sous le choc pendant plusieurs jours, Badirou préfère aujourd’hui se remémorer les bons souvenirs comme pour faire taire les rumeurs qui affirment que son fils faisait partie d’une bande de délinquants. Elle se souvient au contraire d’un garçon exemplaire. « Il est allé à l’école coranique, il allait à la mosquée, à la maison c’était un enfant adorable. Je ne sais pas comment il se comportait dehors, mais personne n’est jamais venu se plaindre de mon fils auprès de moi », affirme-t-elle. Et sa grande soeur Sadjida d’ajouter : « L’une de ses professeurs nous a dit que c’était un bon élève, il était gentil, il souriait tout le temps. C’était un enfant joyeux. » Des propos qui interrogent encore plus sur les raisons de ce drame.
« Je me disais que c’était juste une embrouille entre gamins »
Si certains disent que Momix était au mauvais endroit au mauvais moment, selon le témoignage de sa famille, tout porte à croire que l’agression mortelle a été pensée par un groupe de jeunes qui visaient la victime ainsi que son frère jumeau. Tout commence lors-que le grand frère de Momix se dispute avec l’un de leur voisin. Le fils de Badirou aurait mis une tape à l’autre garçon. « Tu vas regretter ce que tu as fait. Si je croise l’un de tes petits frères, je le tue », lui aurait-il répondu, selon les dires de la la mère de famille. Mais personne ne prend cette menace au sérieux. « Je me disais que c’était juste une embrouille entre gamins. Jamais, je n’aurais pensé qu’il l’aurait réellement tué », poursuit Sadjida, la sœur.
Pourtant, avant son assassinat, Momix était sujet à des agressions venant du même groupe de jeunes qui lui auraient ôté la vie. « Notre voisin l’a frappé une première fois ici à M’tsapere. Ses amis de Doujani et lui l’ont agressé une deuxième fois dans le lycée. Ils lui ont cassé le bras et il a été opéré. Ils ont attendu qu’il soit rétabli pour en finir avec lui », détaille la mère, cette fois-ci en colère. Selon sa sœur, Momix ne se sentait plus en sécurité. Il avait même changé ses habitudes par peur. « Avant, quand ils allaient au lycée, ils passaient par M’tsapere. Après les disputes, mes frères ont décidé de passer par Cavani Sud. Comment les agresseurs ont-ils su qu’ils avaient changé d’itinéraire ? Je suis sûre qu’ils l’ont suivi », persiste Sadjida. Âgée de 18 ans, cette dernière ne souhaite qu’une seule chose : que la justice prenne des sanctions exemplaires. « Ils ont tué mon frère, alors ils méritent la peine maximale. Ils ne doivent pas être jugés comme des enfants, parce que les enfants ne font pas ce qu’ils ont fait », supplie-t-elle à qui veut bien l’écouter.
Quand la peine laisse place à le peur
Aujourd’hui, la famille de Momix vit constamment dans la peur. Ce même groupe d’individus, accusé par la famille endeuillée, aurait proféré des menaces de mort sur les réseaux sociaux destinées au jumeau de Momix. « Ils ont dit qu’ils ne vont pas s’arrêter et qu’ils sont déterminés à trouver l’autre frère pour en finir avec lui », tremble Badirou. Elle ne comprend pas un tel acharnement et a peur pour la vie de ses enfants ainsi que la sienne. Certains ne vont plus à l’école, d’autres sont constamment surveillés. « J’ai un fils qui étudie au lycée de Kahani et j’ai peur de le laisser partir seul. Mon fils ainé l’accompagne jusqu’à l’arrêt de bus, et à la fin de la journée, il va l’attendre au même en-droit pour le récupérer », raconte la mère. Elle refuse d’envoyer à l’école le petit dernier scolarisé au collège de Doujani.
Quant au jumeau de Momix, il ne sort tout simplement plus de la maison. La famille, qui habite dans une case en tôle dans les hauteurs de M’tsapere, ne trouve plus le sommeil. « Ces délinquants savent où j’habite et j’ai peur qu’ils viennent mettre le feu chez moi. Tous les soirs, nous partons tous dormir chez ma fille aînée. Mais nous ne pouvons pas éternellement vivre comme ça », souligne Badirou. Elle souhaite déménager, partir là où personne ne les connaît. Toute la famille se dit même prête à quitter Mayotte, mais n’en a pas les moyens… Elle lance donc un appel aux autorités compétentes pour les sauver.
Pour des raisons de sécurité, la famille n’a pas souhaité être photographiée.