Dans notre édition de mercredi, nous avons relaté l’agression dont a été victime une voiture de police, lundi soir, à Doujani. Deux fonctionnaires du groupe de sécurité de proximité (GSP) ont été blessés à la tête, sans trop de gravité toutefois. Le policier qui conduisait la voiture, âgé de 35 ans, a quand même tenu à témoigner dans nos colonnes notamment pour pointer du doigt les agressions récurrentes dont sont victimes les forces de l’ordre à Mayotte.
Flash Info : Tout d’abord, pouvez-vous nous rappeler les faits ?
Le policier : Nous patrouillions mes collègues et moi en direction de Passamaïnty après avoir effectué un contrôle routier à M’tsapéré. Tout à coup, à hauteur du rond-point de Doujani, nous avons reçu de violents jets de pierres et de barres de fer qui ont cassé la vitre côté passager, qui était pourtant blindée. Nous avons été extrêmement surpris par cette agression soudaine, car quelques secondes auparavant, c’était le calme plat. Mon collègue assis côté passager a été touché, et moi, je me suis carrément évanoui sous le choc. Même blessé au visage, mon collègue a eu la présence d’esprit et l’adresse de manier la voiture à ma place pour l’arrêter un peu plus loin. Je l’en remercie d’ailleurs vivement ! Nous avons appelé nos collègues en renfort et une autre patrouille, qui n’était pas loin, est intervenue pendant que les pompiers nous transportaient à l’hôpital. L’autre patrouille est entrée dans Doujani et a essuyé aussi des jets de pierre sans doute de la part de la même bande. Malheureusement, celle-ci était déjà loin et aucune interpellation n’a pu avoir lieu. Nous avons déposé plainte pour « violences sur agents de la force publique » et une enquête a été ouverte.
F.I : Quelle a été la gravité de vos blessures ? Est-ce la première fois que vous êtes blessé dans l’exercice de vos fonctions ?
Le policier : Le chef de bord a eu l’arcade sourcilière éclatée et un hématome au visage. Moi, j’ai écopé d’une plaie au crâne avec hématome et d’une légère commotion cérébrale. Nous avons été transportés au CHM où on nous a fait un scanner de la tête et nous en sommes ressortis la nuit même vers 3h du matin. Je travaille à Mayotte depuis 2018, donc non, ce n’est pas la première fois que je me fais agresser dans l’exercice de mes fonctions ! Cela m’est déjà arrivé plusieurs fois ! Mais là, j’ai vraiment eu chaud ! Pour que la vitre blindée se soit brisée, c’est que le coup a été porté avec une violence extrême ! Sans le blindage de la vitre, j’aurais pu y passer ! Les collègues qui ont examiné les projectiles m’ont dit qu’il y avait notamment de gros morceaux de parpaing et des barres de fer. Depuis le début de l’année 2022, déjà douze policiers ont été blessés lors de patrouilles, essentiellement par des jets de pierre.
F.I : Le nombre d’agressions de policiers est-il en augmentation ?
Le policier : la délinquance en général est en augmentation d’année et année et, nous policiers, le constatons en direct sur le terrain. Les forces de l’ordre sont la cible privilégiée des délinquants qui reconnaissent tout de suite nos véhicules. Il y a une véritable guerre à Mayotte entre les forces de l’ordre et les délinquants qui prennent ça pour un jeu. Ils s’amusent à détruire notre matériel et nous tendent régulièrement des guet-apens. On constate aussi une banalisation des jets de cocktails molotov artisanaux que les délinquants apprennent à fabriquer sur internet. Il y a environ un mois et demi, un collègue a eu le crâne fracturé par un jet de pierre à Tsoundzou. Qu’est-ce que l’Etat attend pour réagir ? Qu’il y ait un mort ? Oui, la délinquance explose à Mayotte, il y a de plus en plus de crimes, de délits et d’agressions sexuelles. Les enquêteurs sont surbookés ! Nous policiers sommes obligés d’être perpétuellement sur le qui-vive, ce qui génère une grosse fatigue physique et psychologique. Beaucoup de collègues ne tiennent pas le coup et rentrent en métropole avant la fin de leur contrat.
F.I : Que répondez-vous aux personnes qui affirment que la délinquance « n’est pas pire à Mayotte que dans certains quartiers de grandes villes comme Marseille » ?
Le policier : Pour moi, les personnes qui affirment cela ne vivent pas à Mayotte ou alors, elles sont complètement « dans leur monde ». Ici, c’est une petite île et il y a une concentration de délinquants énorme par rapport à la taille du territoire. Et puis, ce n’est pas le même type de délinquance qu’à Marseille. Ici, les jeunes vivent dans une misère noire que l’on ne retrouve pas en métropole même dans les quartiers les plus défavorisés. C’est une délinquance « de survie », beaucoup plus dangereuse qu’une délinquance « d’envie » car à Mayotte, les jeunes se disent qu’ils n’ont plus rien à perdre !
Le syndicat Alternative Police CFDT demande de nouveaux moyens
Le syndicat Alternative Police, dont le bureau mahorais a été créé en 2018, propose quelques solutions pour lutter contre la délinquance à Mayotte. Il souhaite mettre en place des opération Slic (structures légères d’interventions coordonnées). Ces opérations « coup de poing » permettent à plusieurs unités de travailler ensemble sur une zone prédéfinie avec l’autorisation du procureur de la république. « Cela fait trois ans que nous demandons la mise en place de ces opérations sur le territoire, sans jamais obtenir de réponse. De la même manière, nous avons demandé à être reçu par le préfet, mais notre demande est restée lettre morte », déplore Abdel Sakhi, le secrétaire de zone adjoint du syndicat. Des véhicules de police mieux sécurisés et plus adaptés au terrain mahorais seraient là aussi bénéfiques. « Nous avons des difficultés à intervenir dans les zones de bangas avec nos véhicules actuels. En attendant, les victimes sont en danger ! » ajoute le secrétaire de zone, avant de pointer le manque d’armement adapté. « Ici, les affrontements entre délinquants et policiers se font la plupart du temps à distance et les flash ball ne sont pas assez efficaces. Il faut donc des lanceurs multi-coups ou des fusils type gomme-cogne. C’est un armement non létal permettant de couvrir une quarantaine de mètres. L’effet serait plus dissuasif et permettrait aux policiers de mieux pouvoir se défendre en cas d’agressions ». Un renfort d’au moins une cinquantaine de policiers supplémentaires serait ainsi souhaité, comme l’organisation de tables rondes entre tous les acteurs de la sécurité à Mayotte : police, gendarmerie et justice. « Tous les acteurs doivent se coordonner afin de trouver une solution viable au problème de la délinquance sur le territoire », conclut Abdel Sakhi.