Après l’annulation de l’édition 2020 pour cause de Covid, l’historique festival Milatsika revient du 14 au 16 octobre sur le plateau de Chiconi. Une 15ème édition qui, fidèle aux premières heures de l’événement, proposera une fois encore aux Mahorais d’ouvrir leurs horizons musicaux.
Dans le paysage culturel mahorais, Milatsika est un mastodonte. Il faut dire que le festival organise cette année sa 15ème édition. Du jamais vu sur le territoire pour un événement musical. Mélange de langue mahoraise et malgache, son nom résume à lui seul la philosophie de l’organisation : “milatsika”, terme kibushi se traduisant par “besoin de nous”, et qui, à Mayotte, signifie “notre tradition”, ou “notre culture”. De quoi symboliser le caractère cosmopolite de l’île, et des populations qui la peuplent.
“Quand on va au Milatsika, toutes les catégories d’âge et d’origine y sont représentées : il y a des occidentaux, des Mahorais, des Malgaches, des Comoriens, des familles, des jeunes, des moins jeunes…”, sourit Del Zid, organisateur de la première heure. Preuve qu’en près de 20 ans, la formule inédite du festival a su (re)trouver son public année après année. “La démarche qui le sous-tend est de dépasser l’opposition fausse entre tradition et modernité en démontrant qu’une identité doit puiser à ses racines pour se construire dans la sphère contemporaine, à la façon d’un arbre qui croît et se ramifie”, défend fermement l’organisation qui entend dépasser “les clichés folkloriques”.
Car sur le plateau de Chiconi, où est érigé chaque année la scène du Milatsika, la musique n’est pas qu’un simple support de danse. “À Mayotte, celle que l’on écoute et connaît revêt surtout un rôle de divertissement. Notre but n’est bien évidemment pas d’empêcher les gens de danser, mais avant tout de leur montrer que la musique permet de réfléchir, de méditer, de guérir l’âme par l’art”, développe encore Del Zid. “Et je pense qu’aujourd’hui le public a compris le principe : la majorité des gens qui viennent ne connaissent pas le programme, mais ils viennent quand même parce qu’ils savent qu’ils vont découvrir quelque chose de nouveau, sortir de leur zone de confort.” Le secret de la longévité du festival reposerait-il ici ?
“Non, le seul secret, c’est la persévérance, la motivation”, balaye le musicien d’un revers de la main. De quoi raviver le douloureux souvenir de l’année 2011, où le mouvement de grève qui secoue alors l’île pousse l’organisation à annuler l’événement, laissant un déficit de 40 à 50.000 euros dans les caisses de l’association Milatsika. “On a cru devoir fermer définitivement boutique à ce moment-là”, retrace Del Zid, amer. “Mais nous avions déjà une image et un honneur à conserver, que nous avons construit édition après édition.” Alors, poussés par leur passion pour la musique et ce qu’elle véhicule, les cinq membres permanents de l’organisation parviennent finalement à sortir la tête de l’eau et reviennent finalement plus forts dès l’année suivante, grâce au concours des institutions locales que sont la direction des affaires culturelles ou le Département notamment. « Économiquement, un tel événement n’est pas rentable, il faut savoir s’accrocher. Mais maintenant, on sait qu’on est très attendu chaque année, alors on ne peut plus se permettre de décevoir”, conclut le père du rendez-vous culturel.
Une programmation éclectique
Du jeudi 14 au samedi 16 octobre, des artistes de tous les horizons se succèderont sur la scène du plateau de Chirongui, afin de proposer au public mahorais une large palette sonore et culturelle.
Jeudi 14 octobre, retrouvez Sisygambis à travers une performance vidéo-musicale “De la Méditerranée à l’océan Indien”. Sisygambis traverse des territoires que réunit la musique de transe, fil conducteur du parcours, de l’Égypte à Mayotte, de Zanzibar à Madagascar, via la Tanzanie, le Kenya, les Comores, le désert d’Arabie, la Malaisie, l’Australie… Le projet artistique joue d’une interaction entre musiques traditionnelles et électroniques, images de cultures ancestrales et contemporaines, via le fil rouge de rituels rares et puissants, l’espace des paysages, les détails de la vie quotidienne, la marque des gestes, la singularité des voix ordinaires ou extraordinaires, la beauté et la présence de ces hommes et de ces femmes, à l’autre bout de notre monde commun.
Vendredi 15 octobre, la place sera faite au local Bodostyle, finaliste du concours « jeune talent SFR » en 2008, il sort sa première mixtape intitulée Maore Yatru, produite par DJ H. Après plusieurs collaborations artistiques, il sort sa deuxième mixtape en 2011 intitulée Yangou Musique (ma musique). La sortie en 2013 de son premier album Mahabari (les nouvelles) ne fait que confirmer son talent à travers des répertoires intégrés dans un registre musical qui inclut rap, reggae one drop, mgodro et sega…. Son dernier album qui s’intitule Roho, une coproduction avec le collectif DIX-15, reste un projet authentique alliant l’afrobeat, le mgodro et la musique du monde.
Il sera suivi, le même jour, du groupe Cadavreski, aux multiples influences artistiques. Du rap-à-texte au disco, en passant par la chanson, Cadavreski se joue des genres, et les concerts s’enchaînent. Les plumes, les beats et les scratchs plus aiguisés que jamais, Cadavreski parcourt le monde pour distiller sa déferlante d’énergie, de bonne humeur et d’esprit, de poésie et d’amour-toujours…
Puis, la chanteuse, bassiste et percussionniste Manou Gallo viendra offrir au public mahorais son énergie irrésistible, doublée d’une puissance remarquable, faisant sa renommée à l’international. Sa façon de jouer de la basse est si unique que même des gens comme Manu Dibango, Mamady Keita, Wyclef Jean, Marcus Miller et Lucas van Meerwijk l’ont saluée.
Le Mahorais Lathéral viendra conclure ce deuxième soir avec ses rythmes traditionnels. Lauréat du concours « 9 semaines et un jour », édition 2007, Lathéral cultive le rythme mgodro accéléré, s’accommodant d’un mélange tradition et cuivres, donnant de nouvelles sonorités. Les textes souvent incisifs de ses chansons font une analyse pertinente de la situation politique et sociale dans les îles comoriennes et celle de Mayotte en particulier, ce qui lui a inspiré l’album “Mayotte Département ?”
Vendredi 16 octobre, les Mahorais du groupe Talangu viendront ouvrir le dernier soir de festivités. Originaires de Chiconi, les six musiciens de la formation, passionnés de musique et d’écriture, orientent leur création vers le hip-hop, le reggae et la pop, en y ajoutant une touche de musique traditionnelle mahoraise.
Suivra la performance du légendaire Baco et son groupe Urban Plant, grand nom de la musique locale. Une invitation au voyage, dans un univers sonore où les genres sont décomposés et reconstruits et habillés de textes conscients et profonds, portés par une voix chaude et solaire.
Puis, tout droit venus d’Angers, le duo Bonbon Vodou fera vibrer sa voix douce marquée par la culture africaine et réunionnaise. Les deux pieds dans 20 pays, le binôme joue d’instruments glanés au gré des voyages, mais aussi d’un boxon hétéroclite d’objets quotidiens.
Ensuite, place à la Réunionnaise Queen Favie et son coffre puissant et aux textes ciselés. Ses lyrics affirment un engagement de tous les instants. Queen Favie, une artiste aux influences hip-hop, reggae, soul, afro, dub et trap, élève avec elle, les femmes au rang des reines. Elle raconte leurs histoires, leur redonnant courage et espoir, avec une énergie positive qui la caractérise si bien.
Enfin, le groupe mahorais Mwalim Klan se verra confier la mission de clôturer l’événement. Son style se veut original, innovant et authentique, marqué par le reggae et le shigoma. Une formule qui séduit, puisque ceux qui se définissent comme les messagers de Jah ont déjà fait les premières parties d’Alpha Blondy, The Wailers ou encore Tiken Jah Fakoli. Rien que ça…