C’est un flashback qui permet de revenir six ans en arrière et explique (en partie) la crise de l’eau que vit actuellement le territoire mahorais. Selon des documents que Le Monde s’est procuré, l’État aurait favorisé la filiale de Vinci (la SMAE) en 2017, sans pour autant que celle-ci fasse les investissements nécessaires. Le syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement de Mayotte (Sieam) à l’époque, devenu syndicat des Eaux de Mayotte depuis, en prend également pour son grade.
Si on ne peut pas imputer la sécheresse que Mayotte vit depuis un an au rôle que l’État joue sur le territoire, il n’en demeure pas moins qu’il conserve une part de responsabilité dans la crise actuelle. État, syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement de Mayotte (Sieam) et son délégataire, la Société mahoraise des eaux (SMAE), étaient particulièrement attendus au sortir des sécheresses de 2016 et 2017. Sauf que les engagements pris à cette époque par les deux premiers n’ont pas été respectés. Pire, le réseau d’eau potable a été ni amélioré ni a suivi la demande croissante de la population.
Le Monde, dans un article daté du vendredi 20 octobre, pointe plusieurs erreurs. La première est d’avoir favorisé Vinci en lui signant un avenant pour son usine de dessalement qui n’a jamais atteint le volume d’eau espéré (un nouvel avenant devrait lui permettre d’atteindre 4.700 mètres cube d’eau à la fin de l’année, voir encadré). « Il est impératif de rendre opérationnelles ces unités de production au plus vite. Il a été convenu que le Sieam confiera cette opération à son délégataire, la SMAE [la Société mahoraise des eaux], par voie d’avenant au contrat de délégation de service public de production d’eau potable », avait indiqué l’État le 25 août 2017, dans un courrier envoyé au syndicat dirigé alors par Moussa « Bavi » Mouhamadi. Le conflit entre ce dernier et le délégataire en 2018 n’a pas aidé non plus. « Tous les travaux d’infrastructures du plan de 2017 prennent du retard. Sur une île où la population croît anarchiquement de 3 % à 5 % par an, ce qui induit une consommation d’eau supplémentaire de 1 500 mètres cubes par jour, la course contre la montre semble déjà perdue », écrivent Nathalie Guibert et Jérôme Talpin.
L’Europe a fermé le robinet
L’affaire des fonds européens rentre alors en jeu. Le Canard enchaîné l’avait rappelé, le mercredi 6 septembre, les investissements promis devaient être réalisés grâce à une enveloppe de l’Union européenne. « En 2020, c’est la Commission européenne qui met la première son nez dans un projet voué à recevoir les millions de Bruxelles. Sa direction de l’audit examine le dossier entre le 28 septembre et le 30 novembre. Elle torpille la délégation de service public confiée à Vinci », révèlent les deux journalistes du Monde. Deux faits sont marquants à ses yeux. Le délai du marché qui permettait à la filiale de Vinci d’être la seule à pouvoir répondre et même la présence du directeur de la SMAE dans la commission d’appel d’offres du 22 septembre 2017. Vinci se retranche derrière le fait que « l’autorité de gestion des fonds européens à Mayotte était la préfecture et que l’ensemble de la procédure de passation de marché a été scrutée et validée par le contrôle de légalité », fait valoir le groupe au quotidien national. On le sait, les difficultés de la préfecture de Mayotte a assuré son rôle dans la gestion des fonds européens a poussé à la création du GIP L’Europe à Mayotte, sans toutefois la sauver d’une longue suspension des fonds décidée par la Commission européenne.
Dix-sept personnes poursuivies
La Chambre régionale des comptes avait été la première à mettre en évidence un fonctionnement anormal du syndicat mahorais. « Plutôt que d’investir pour raccorder un nombre croissant d’abonnés, le Sieam privilégie d’autres dépenses : travaux de débroussaillage, dépenses de formation sans réalisation effective, voyages, ou encore flotte de trente-quatre véhicules pour 105 agents », avaient noté les magistrats, comme on le rappelait lors du changement de présidence en 2020. « Dans sa note de synthèse, transmise le 28 juin 2023, le PNF met en cause la présidence de Moussa Mouhamadi de 2014 à 2020. Outre le président du Syndicat intercommunal d’eau et d’assainissement de Mayotte, le ministère public entend poursuivre seize personnes dont quatre élus locaux, et quatorze petites entreprises, pour des délits de « favoritisme », « recel et complicité de favoritisme », « détournements de fonds publics », « corruption passive par personne chargée d’une mission de service public » », rappelle l’article du Monde. « 22,5 millions d’euros de commande » auraient échappé à la procédure classique des marchés publics grâce à la technique du saucissonage. Le marché est alors divisé en plusieurs devis même si la prestation est globale. Cela permet de ne pas atteindre les plafonds nécessitant une mise en concurrence.
Ces dernières semaines, « Bavi » et ses avocats ont parcouru les plateaux télévisés pour se défendre. Au Monde, le principal protagoniste affirme avoir « dit non au système et avoir tenu tête à certaines personnes ». « Depuis la crise de l’eau de 2017, le Sieam fonctionnait dans le cadre des comités de l’eau, toutes les décisions devaient être validées par le préfet », rapporte le journal en citant l’ancien président du Sieam.
Preuve que dans cette affaire, on cherche toujours à rejeter la responsabilité sur les autres. En tout cas, si ce nouvel article du Monde ne résoudra pas la crise actuelle, il a le mérite de rappeler au moins ses origines.
Et maintenant, on en est où ?
L’équipe de Moussa « Bavi » Mouhamadi et des entrepreneurs locaux font l’objet d’une enquête préliminaire du Parquet national financier dans le cadre de l’obtention de marchés publics. Nos collègues de Mayotte La 1ère annoncent un procès « pas avant 2025 ». Entretemps, la nouvelle présidence arrivée en 2020 a remis les comptes à flots (avec l’aide de l’État), sans toutefois réaliser les investissements nécessaires.
Concernant ces derniers justement, seule l’usine de dessalement de Petite-Terre devrait (enfin) atteindre une capacité de production de 4.700 m3 par jour à la fin du mois de novembre. Un avenant de quatre millions d’euros avait été signé dans ce sens, en juillet 2022. Pour la première fois, le syndicat a ajouté des pénalités si les travaux ne respectent pas les délais et si la production n’est pas au rendez-vous. Une autre usine, beaucoup plus importante, doit voir le jour dans la foulée à Ironi Bé (le maître d’ouvrage n’est pas encore connu). Pour ce qui est de la retenue collinaire d’Ourovéni, elle ne verra pas le jour tant que de nouvelles études ne sont pas faites et les négociations avec les propriétaires (voire des expropriations si besoin) n’ont pas eu lieu. La sixième campagne de forages, prévue il y a presque dix ans, n’a commencé que le lundi 4 septembre, à Coconi, sous la pression du ministre délégué à l’Outremer, Philippe Vigier.