« Nous ne pouvons plus subir cet ensauvagement urbain ! »

Plus de 300 personnes ont participé, ce jeudi 9 mars, aux Assises de la reconquête foncière, initiées par la ville de Mamoudzou, et organisées avec le concours de la préfecture, du conseil départemental, de la Cadéma (Communauté d’agglomération Dembeni-Mamoudzou), de la Commission d’urgence foncière (Cuf) et de l’association des maires de Mayotte. Les participants se sont réunis en quatre ateliers thématiques, pour discuter et faire émerger des idées et solutions concrètes pour mieux maîtriser et planifier l’espace à Mayotte.

« Les autorités ont perdu le contrôle des terrains ! » La phrase, prononcée en toute innocence par une lycéenne, membre du « conseil municipal des jeunes » de Mamoudzou, a fait sourire l’assemblée réunie dans la salle du cinéma Alpa Joe, ce jeudi 9 mars, dans le cadre des Assises de la reconquête foncière (voir encadré), bien forcée d’en constater la justesse. Plus tôt dans la matinée, le maire de Mamoudzou, Ambdilwahedou Soumaïla, l’exprimait en d’autres termes. « Notre territoire s’est métamorphosé sous nos yeux », constatait-il, debout derrière son pupitre, pour introduire les travaux du jour. « Nous avons vu nos villages s’étendre, parfois de façon anarchique, et des bidonvilles pulluler dans nos communes », raconte-t-il, précisant qu’en 2020, 13 % de son territoire communal était recouvert par les bidonvilles, soit près de la moitié des zones construites. « Nous ne pouvons plus subir cet ensauvagement urbain ! Ce développement au détriment des règles d’urbanisme et parfois sous couvert du droit coutumier, a déjà trop dégradé notre patrimoine naturel et nos conditions de vie… Ces assises sont un outil nécessaire pour qu’ensemble, nous partagions une vision commune sur le foncier. Ces ateliers doivent servir d’incubateurs d’idées et de propositions ! » Le cadre est planté. Gouverner, c’est prévoir : il s’agit donc de discuter, de débattre, et de planter les graines qui, en germant, devront garantir la pleine maîtrise du foncier à Mayotte, condition sine qua non d’un « aménagement territorial durable ». « Avec du foncier, nous construisons les hôpitaux. Avec du foncier, nous construisons les routes ! », argue Madi Madi Souf, président de l’association des maires de Mayotte (AMM976), pragmatique.

Régulariser plus vite

Chaque atelier permettait d’approfondir une thématique. Ainsi, le premier faisait la part belle à l’accélération de la régularisation du foncier. « Beaucoup de Mahorais ne savent pas à quelle porte cogner pour effectuer les démarches de régularisation de leurs terrains ! », interpelle Salim M’Déré, premier vice-président du conseil départemental chargé de l’aménagement, et rapporteur du premier atelier du jour, copiloté par Ségolène de Bretagne, directrice de la Cuf. Les travaux des participants ont ainsi mis en exergue le manque de connaissances – voire la méfiance – de la population vis-à-vis des mécanismes de régularisation foncière. Solution proposée ? Un guichet unique, potentiellement numérique, pour centraliser les demandes, clarifier et fluidifier les procédures.

Dans le deuxième atelier sur le relogement, « les constats sont simples », prône Psylvia Dewas, chargée de la résorption de l’habitat illégal et de la construction de logements sociaux à la préfecture de Mayotte, et désignée pour restituer les travaux de l’atelier. « Nous manquons de places d’hébergement, et il y a urgence ! » L’objectif est clair : en renforçant l’offre d’hébergement et de relogement, le foncier doit pouvoir être libéré plus rapidement. Les intervenants rapportent également la nécessité de reloger les ménages in situ. « Le premier argument de ceux qui refusent l’offre de relogement est le risque de déscolarisation de leurs enfants. Un ménage de Doujani qui se voit proposer un logement à Longoni préférera reconstruire une case en tôle 50 mètres plus loin pour que les enfants restent dans la même école », rapporte Elise Guilloux, de l’Établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (Epfam). Par ailleurs, la mobilisation des logements vacants, en incitant les communes à conventionner dans le parc privé, a été présentée comme une potentielle solution pour répondre aux besoins les plus pressants.

Une police de l’urbanisme ?

« De plus en plus de personnes construisent sur le terrain d’autrui, sans permis, ou construisent quelque chose de différent de ce pourquoi le permis leur a été accordé ! », renseigne El Mahaboubi Omar, directeur général adjoint au développement urbain et à la stratégie territoriale de la ville de Mamoudzou, rapporteur de l’atelier consacré aux règles de l’urbanisme. « Pour autant, l’ensemble des communes sont dotées d’un PLU (plan local d’urbanisme, NDLR). Il s’agit de mettre en application la réglementation existante ! », appuie-t-il. Parmi les idées proposées : une police de l’urbanisme donc, mais aussi une campagne de communication à l’échelle de l’île sur les règles de l’urbanisme, ou encore un accompagnement financier pour inciter la population à les respecter.

Enfin, et de l’aveu de son rapporteur, Mohamed Moindjié, directeur général des services de l’AMM976, l’atelier 4 « aurait pu durer des heures ! » Quelques chiffres, glanés par le cabinet de conseil Inovista, brossent le tableau : l’immobilier d’entreprise représente aujourd’hui 250.000 m² à l’échelle de Mayotte, soit moins d’1m² par habitant, contre 4m²/habitant à la Réunion, et 7m²/habitant à Bordeaux. D’ici 2032, 1,5 millions de m² seront nécessaires pour combler les besoins en foncier destiné aux sociétés. Mais où donc installer les entreprises mahoraises ? Pour Hindou Madi Souf, ingénieure responsable du service maîtrise d’ouvrage de la Chambre de commerce et d’industrie de Mayotte (CCIM) – que nous avions interrogée en amont de ces assises – les acteurs économiques ont une place à se faire sur les terrains dits « bidonvilisés ». « Plusieurs d’entre nous sont réticents à se poser sur ce genre de foncier. L’idée est de pouvoir intéresser les porteurs de projets et leur rendre ces terrains accessibles rapidement », avance-t-elle. Les questions des loyers, des prix de ventes, de la concentration des activités à Mamoudzou, ou encore de la cherté de logistique à Mayotte ont aussi été largement discutées.

L’ensemble des travaux de ces Assises de la reconquête foncière feront l’objet d’une synthèse, et donneront corps dans les prochaines semaines à un « plan d’action clair qui permettra de reconquérir le foncier de notre territoire », conclut le maire de Mamoudzou. « On l’a vu, le sujet nous préoccupe depuis 1996 (N.D.L.R. première politique de régularisation foncière à Mayotte, consistant à reconnaître l’occupation coutumière des terres, et mise en œuvre par le CNASEA – Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles). Chacun travaillait dans son coin, maintenant toutes les institutions vont travailler ensemble, et c’est la première satisfaction de cette journée ». Un premier bilan pourra être tiré les 3, 4 et 5 juillet prochain au Forum de la ville mahoraise durable, annoncé par Yves-Michel Daunar, le directeur général de l’Epfam, et au cours duquel le sujet du foncier sera, sans nul doute, une nouvelle fois au centre des échanges.

Collectivités et préfecture main dans la main

L’événement, initié par la municipalité de Mamoudzou, était organisé conjointement avec la préfecture, le Conseil départemental, la Cadema (Communauté d’agglomération Dembeni-Mamoudzou), la Commission d’urgence foncière (Cuf) et l’AMM976. Quatre ateliers thématiques participatifs se sont déroulés simultanément dans la matinée, réunissant chacun un large panel d’institutionnels et de professionnels de terrain directement concernés par les problématiques traitées.

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