Fort d’une vingtaine d’années de travail collectif et acharné, l’ancien padza situé sur les hauteurs de Moinatrindri est aujourd’hui un exemple de végétalisation. Une victoire inspirante pour les associations qui se sont réunies ce week-end sur le site pour participer à sa préservation et comprendre les clés de sa réussite.
Au sens propre comme au figuré, l’investissement des habitants de Moinatrindri porte aujourd’hui ses fruits. Pour constater ce succès et le reproduire, un panel d’associations environnementales se sont réunies ce week-end au Parc botanique de Mdoumbajou, situé sur les hauteurs du village. Un lieu autrefois désertique qui constitue désormais un exemple de biodiversité. Co-organisée par la FMAE (fédération mahoraise des associations environnementale), le Parc marin, et l’ACEEM (association culturelle, environnementale et éducative de Moinatrindri), l’événement remplit deux objectifs: « présenter le site et participer à sa préservation« , résume Haoussi Boinahedja, le président de l’ACEEM.
Aux arbres citoyens
Perché sur sa petite estrade, le gaillard n’a pas besoin de micro pour s’adresser à l’assemblée. « Nous allons nous répartir en plusieurs groupes pour aider à l’entretien des pieds que nous avons déjà plantés. Ensuite, nous organiserons une tournée pour vous présenter le site« , annonce-t-il face à une foule jeune et motivée. Bambous sous le bras et sac d’engrais sur les épaules, les troupes s’élancent. En première ligne : les Ambassadeurs du lagon dispatchés dans les associations dans le cadre de services civiques. À charge pour les membres fondateurs de l’ACEEM de les orienter sur le site. « Nous allons répartir les bambous autour des pieds, puis déverser de l’engrais. À terme, ces espèces produiront du fruit à pain. L’idée, c’est d’être le plus bio possible« , insiste Oihabi Daoulabou, un habitué du site. Des étincelles dans les yeux, l’homme se galvanise face à la mobilisation des bénévoles. « Quand je pense qu’il n’y avait que des padzas ici, je suis fier de voir le chemin parcouru« , reconnaît-il.
« On entend à nouveau le chant des oiseaux »
L’histoire de ce succès commence par une catastrophe : « Il y a environ 20 ans, une tempête a ravagé la forêt. Il ne restait plus qu’une terre glissante sur laquelle aucun arbre ne pouvait pousser. Nous avons dû procéder étape par étape« , rembobine Oihabi. La première de toute : trouver une espèce capable d’encaisser la chaleur caniculaire. « La Daaf a galéré pendant des années sans y arriver« , glisse-t-on du côté des bénévoles de l’ACEEM. Une espèce est finalement sélectionnée grâce aux conseils des experts du lycée agricole de Coconi : l’acacia. Un allié endémique qu’il faut utiliser avec parcimonie… »Les feuilles mortes de l’acacia permettent d’enrichir le sol. Ses racines le maintiennent. Mais il peut aussi être envahissant. Il faut donc trouver un équilibre en ajoutant d’autres espèces tout en supprimant progressivement les arbres qui ne sont plus nécessaires« , résume un ancien de l’ACEEM.
Le sol stabilisé et recouvert de feuilles, la forêt offre désormais un terrain fertile pour la biodiversité. Citrons, mangues, oranges, bananes, noix de coco… les hauteurs de Moinatrindri retrouvent des couleurs. « Nous entendons à nouveau le chant des oiseaux« , se réjouit Oihabi. Lui qui utilisait dans son enfance le sol glissant et farineux comme un toboggan n’a cependant rien oublié de l’effort qu’il a fallu déployer. « Nous nous sommes relayés tous les jours pendant des années pour monter des jerricanes d’eau. Les femmes ont joué un rôle primordial. Tous les week-end, le village se réunissait avec les enfants dans la forêt pour l’entretenir et conclure la matinée par un petit voulé« , se remémore-t-il.
Agir pour la jeunesse
Toujours présentes 20 ans plus tard, les bouénis du village attendent les bénévoles au pied de la colline. « Si on m’avait dit à l’époque que nous en serions à ce stade aujourd’hui, je ne l’aurais pas cru« , s’émeut une mère de famille de 62 ans. Le regard porté sur le bébé qu’elle tient dans ses bras, elle répète inlassablement : « On fait ça pour eux. Pour qu’il puisse profiter d’un tel lieu et en prendre soin à leur tour. »
Possédé par le conseil départemental mais attribué à l’ACEEM, le site offre désormais de belles perspectives. Pour les anciennes du village, la crainte d’un investissement des lieux par des visiteurs non désirés n’est pas à l’ordre du jour. « Nous sommes régulièrement sur le terrain. Des gens ont déjà essayé de poser un matelas pour commencer à s’installer. Nous leur avons dit dès le départ qu’il fallait partir car nous ne pouvons pas risquer de gâcher nos efforts« , expliquent-elles à tour de rôle. Investir le terrain, le préserver, et agir à la racine pour ne pas s’exposer à une situation hors de contrôle, tels sont les principes à priori adoptés par les habitants pour pérenniser leur victoire.
Un exemple pour Mayotte
Au terme d’une matinée bien remplie, chacun repart dans sa commune avec de l’optimisme dans les idées. « Nous venons de Bandrélé. Une partie de la mangrove est en voie de disparition. Ce genre d’initiative nous aide à réfléchir sur les projets à mettre en place pour reboiser à notre tour« , explique-t-on du côté de l’association 976 Sud Prévention. Avant d’ajouter : « Nous travaillons aussi dans la lutte contre la délinquance. Le lien social et la cohésion autour de ce lieu sont un exemple pour nous comme pour le reste de l’île. »
Plus qu’un atout pour le territoire, l’initiative constitue également un espoir dans la préservation du lagon. En permettant à l’eau de pluie de s’infiltrer dans les nappes phréatiques plutôt que de se glisser vers le récif, ce dernier gagne en résilience. « L’envasement provoqué par les coulées de boue perturbe l’équilibre du récif corallien. Celui-ci abrite de nombreuses espèces qui sont également impactées. À terme, ce sont les ressources halieutiques qui sont menacées« , résume le Parc marin par la voix de sa chargée de mission « Mobilisation citoyenne« . Sur les chemins du Parc Botanique comme sur les chemins de la paix sociale, Moinatrindri montre la bonne voie.