Mayotte n’a pas encore la pêche

Naufragé depuis plusieurs décennies, le secteur de la pêche à Mayotte n’est pas assuré d’un avenir radieux et serein. A un an de la fin du moratoire accordé aux pêcheurs locaux pour devenir des professionnels répondant aux standards européens, la métamorphose souhaitée par les autorités n’est pas encore au rendez-vous. La pêche est plutôt maigre pour atteindre le chiffre magique et arbitraire de 100 pêcheurs mahorais normés aux standards européens (voir encadré). Pas sûr qu’une nouvelle grogne dans ce secteur réussisse à faire bouger les lignes durant 2025.

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Tantôt pêcheurs, tantôt marchands, les revendeurs de poissons fixent le prix du kilo à leur guise malgré une prime d’équilibre qui leur est versée par les pouvoirs publics

S’il y en a une bizarrerie qui tient le haut du pavé à Mayotte par les temps qui courent, c’est bien celui du secteur de la pêche (après le destin funeste de l’aquaculture marine il y a quelques années) qui vacille entre le rêve d’une exploitation hauturière, jugée plus rentable et plus rapide, et la pêche côtière qui n’intéresse quasiment plus personne, tant les charges à assumer sont à présents importantes. Depuis 2023, la question récurrente porte sur comment transformer des pêcheurs traditionnels locaux en entrepreneurs vertueux capable de répondre à une demande sans cesse croissante en raison de la démographique exponentielle sur l’île. La situation de la pêche à Mayotte est illustratrice du paradoxe dans lequel les institutions locales ont le chic de se fourvoyer, sans craindre d’être mal perçues par des consommateurs médusés.

En effet, le département est le seul territoire ultramarin de l’Union européenne où le poisson est une denrée rare dans l’assiette du citoyen lambda, le seul produit de grande consommation où l’augmentation du prix au kilogramme se fait selon le bon vouloir des pêcheurs et ne repose sur aucun critère technique (dans la composition classique des prix) alors même qu’il bénéficie d’une prime compensatoire sensée atténuer le portefeuille du citoyen. « Sans qu’aucun élément ne le justifie, hausse de carburant, augmentation du Smic, condition météorologique particulière, le poisson est devenu comme l’or sur le marché mondial, son prix grimpe sans cesse sans distinction de qualité ni de race. Ce qui fait le bonheur des restaurateurs ne l’est pas forcément pour la ménagère mahoraise que la grande distribution contraint à consommer du poisson surgelé d’Alaska et de Scandinavie. Quelle époque, mes aïeux ! », commente avec une pointe d’humour Rachid Abdallah, fils et petit-fils de pêcheur dans la commune de Bandrélé dans le sud de l’île.

Des nouvelles règles

« Ce qui est affligeant dans cette affaire, c’est que l’ensemble des protagonistes engagés dans ce dossier pêche, autorités diverses et variés, artisans pêcheurs, syndicat et chambre consulaire, ne se rendent pas compte du ridicule dont ils se couvrent aux yeux des consommateurs locaux. Nous avons compris depuis un bon moment que ce gâteau-là est trop juteux et que la tentation de le refiler à de gros poissons venus d’ailleurs est trop forte » balance Kamardine Abdallah Abdourahamane, attablé à la terrasse du Monaco, au Four-à-chaux, à Labattoir. De là, il observe le ballet des scooters, depuis les quartiers proches, ravitaillant en poisson congelé les glacières et étals alignés sous des parasols le long de l’ancien beaching de Colas (créer au moment de la prolongation de la piste aéroportuaire de Pamandzi pour alimenter le chantier en matériaux importés de Grande-Terre). Marché au poisson à ciel ouvert, c’est aussi le haut lieu de la contestation contre les mesures de contrôle que les services de l’État tentent d’imposer vaille que vaille à la profession.  « Vous allez voir l’hypocrisie du système, on va encore nous ressortir le coup du manque d’ingénierie pour pêcher le poisson de nos eaux et justifier l’arrivée en masse de pêcheurs bretons ou du Finistère », assène Kadhafi, un restaurateur du coin.

Qu’en est-il exactement de cette professionnalisation annoncée depuis trois ans de la pêche mahoraise ? Du côté du conseil départemental, les services en charge du dossier admettent que la cadence est loin d’être satisfaisante (voir encadré), malgré les efforts déployés vers la profession. Selon Ali Robert, de la direction des ressources terrestres et maritimes, « l’incompréhension domine. Discussions, consultations et concertations entre les différentes parties en présence avaient abouti sur un compromis d’un total de cent pêcheurs professionnels à Mayotte en fin 2025 ». En contrepartie de cette reconnaissance, il faut respecter les nouvelles normes imposées par l’administration de tutelle, à savoir disposer d’un bateau et d’un équipage diplômé sachant que le capitaine doit impérativement être de nationalité française et disposer d’un certificat d’aptitude au commandement d’un petit navire (CACP). Cet équipage peut varier d’une à trois personnes, la moyenne étant de deux individus. A défaut, il est permis de devenir « armateur de bateau de pêche », sous réserve de pouvoir joindre à sa demande de subvention une promesse d’embauche à un jeune diplômé.

Une enveloppe de 30.000 euros

« Curieusement, à ce jour, seules trois femmes pêcheurs ont entamé une telle démarche auprès des services du Département », note Ali Robert. Pour éviter les suspicions et les accusations de collusion d’intérêts avec les vendeurs de bateau, une liberté est laissée aux pêcheurs de choisir le type d’embarcation dont ils ont besoin sans restriction de pays d’origine (Europe, Madagascar, Maurice ou autres). Trois types d’embarcations sont possibles selon des distances de pêche autorisées au-delà de la barrière de corail. Il est même possible d’acquérir un bateau de neuf à douze mètres, pour qui dispose d’un diplôme de « capitaine 200 » et autres pêches. Ce qu’il importe de retenir dans cette démarche de professionnalisation de la pêche à Mayotte, c’est que les pouvoirs publics acceptent de mettre la main à la poche pour aider à l’acquisition de bateaux de pêche à travers une enveloppe de 30.000 euros. Il s’agit d’une mesure exceptionnelle visant à pallier le manque de capitaux de la part des pêcheurs locaux.

Pour percevoir cette subvention versée en deux parties, le pêcheur remplissant les critères d’éligibilité doit être en mesure de présenter une commande ferme de bateau, à ce moment-là, 80 % des 30.000 euros lui sont versés, les 20 % restants le seront sur présentation de service fait. A retenir que le pêcheur devra impérativement prendre attache auprès des services des Affaires maritimes (AffMar) avant toute commande de bateau, ces dernières étant chargées d’homologuer lesdites embarcations. Sur la base de cette enveloppe standard de 30.000 euros, une participation de 4.000 euros est demandée au pêcheur professionnel, lequel peut investir jusqu’à 70.000 euros s’il le souhaite dès l’instant qu’il est en situation d’apporter une quote-part de 47% de la valeur du navire qu’il souhaite acquérir.

La situation actuelle interroge fortement quant à l’avenir de la pêche à Mayotte, dès lors qu’un centre de formation maritime existe à Dzaoudzi et qu’il en sort une promotion chaque année, et qu’un lycée des métiers de la mer est appelé à sortir de terre aux Badamiers dans un avenir proche. Dès lors, la limitation à 100 pêcheurs ne représente-elle pour le développement de la filière. Sur les quais, on fait état à ce jour de 120 bateaux déjà homologués par les autorités compétentes, mais qui ne disposeraient pas d’un équipage français.

22 dossiers validés en 2024

Le comité régional de programmation de la pêche (instance composée des services des Affaires maritimes, du département de Mayotte, de la Capam et du syndicat des pêcheurs de Mayotte) était appelé à se prononcer sur 36 demandes de subvention pour l’achat de bateaux de pêche, le 26 novembre. A l’issue de ses travaux, il a émis un avis favorable pour 22 dossiers, en a ajourné neuf et déclaré cinq inéligibles, ses porteurs ne disposant pas de la nationalité française. A ses 22 dossiers validés, il convient d’en rajouter onze au titre de 2023, soit un total de 33 dossiers validés à ce jour contre les 100 souhaités. Et le temps presse, le comité a fixé au 31 décembre 2025, la date butoir de dépôt de demande d’aides à l’achat de bateaux de pêche à Mayotte.

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